« Il n'y a pas de sexualité spécifique à la personne en situation de handicap » (2)

« Il n'y a pas de sexualité spécifique à la personne en situation de handicap » (2)

24.02.2017

Action sociale

Pourquoi les personnes en situation de handicap font-elles des enfants lorsqu'elles vivent à domicile, mais pas en institution ? Après un constat des difficultés en établissement, ce deuxième volet de notre reportage analyse les ressorts de ces blocages. Il s'appuie pour cela sur l'enquête de la sociologue et chercheuse Lucie Nayak "Sexualité et handicap mental".

Éducateurs, AMP, directeurs d’établissement… Lorsqu’on interroge les professionnels du médico-social sur la sexualité des résidents en situation de handicap en établissement, tous s’accorde sur un constat : « c’est compliqué ».

Lire la première partie de notre reportage consacré au colloque organisé par le conseil départemental du Finistère : Handicap : s'il n’est plus tabou, le sexe reste compliqué en institution.

 

Compliqué

Lorsqu’on entre dans le détail auprès des uns et des autres, on se rend compte que si « c’est compliqué », les raisons divergent largement d’un professionnel à l’autre. Pour l’une, c’est compliqué parce que les rapports sexuels sont interdits dans cet IME accueillant adolescents et jeunes adultes jusqu’à 21 ans.

Pour tel autre en foyer de vie pour adultes, c’est compliqué à cause des consignes de sécurité incendie. Les impératifs de sécurité impliquent d’être au courant lorsqu’un résident veut dormir avec quelqu’un dans une autre chambre. Précisément, le résident doit solliciter la permission auprès de l’équipe éducative qui rend ensuite sa décision collégiale…

Dans tel autre cas, c’est compliqué mais on utilise des outils clés en main bien pratiques : un jeu de l’oie support à la discussion, une vidéo sur la rencontre amoureuse ou une mallette de sensibilisation sur les maladies et la contraception. Au risque parfois de médicaliser et de dramatiser la sexualité.

In fine, il ne semble pas simple en institution de statuer une fois pour toutes sur un sujet qui ne devrait toucher que l’intime ; mais qui s’avère pourtant coincé à l’intérieur d’un arsenal de règles, contraintes et bonnes intentions. Comme en établissement pour personnes âgées dépendantes, l’équation entre règles de sécurité, liberté d’aller et venir et droit à l’intimité semble encore irrésolue en 2017.

Cache-sexe

Alors on bricole, on affiche des chartes, on discute : en groupes de parole, en conseils de la vie sociale, au Planning familial. Pour échanger sur les pratiques et nourrir le débat, le Conseil départemental du Finistère a même lancé une plateforme collaborative à l’intention des professionnels du handicap : Vie affective, intimité et sexualité des personnes en situation de handicap (accessible après l’envoi d’un e-mail à l’adresse espacecoph.vais@finistere.fr).

Lucie Nayak est sociologue et chercheuse à l’Inserm sur la thématique. Elle y a consacré une thèse de doctorat en 2014 intitulée « Sexualité et handicap mental », fruit de plusieurs années d’enquête en établissement. Lorsqu’on l’interroge sur les solutions, son point de vue est on ne peut plus clair. « Les groupes de parole, ce sont un peu des cache-sexe, une caution pour ne rien faire d’autre ».

Alors quoi ? « Il ne faut pas forcément faire quelque chose d’ailleurs. La sexualité devrait être envisagée plus largement en tant que composante de l'autonomie. Le seul objectif doit consister à amener la personne vers son autonomie. Il est vrai qu’il est dur aujourd’hui de séduire dans une société à ce point mue par des modèles stéréotypés. Mais des sites de rencontre existent, par exemple, entre femmes et hommes en situation de handicap ou avec les personnes non-handicapés. » Citons par exemple : chat-handicape.fr, idylive.fr, serechercher.com, notamment. En tout cas, « le travail éducatif ne devrait pas se résumer à la sensibilisation aux risques ou à la médicalisation. »

Entre anges et bêtes

A la tribune du colloque quimpérois du 9 février, Lucie Nayak présente les conclusions de ses recherches, devant mille personnes concentrées, parmi lesquelles nombreuses sont en fauteuil. Un rappel utile en préalable : « le handicap est une construction sociale. Il n'y a pas de sexualité spécifique à la personne en situation de handicap mental. » La sociologue rappelle au passage : « Les personnes 'handicapées mentales' en foyer de vie ne sont ni des enfants ni des adolescents, ce sont des adultes. » Son enquête a en effet montré le fait que les éducateurs expliquaient principalement la sexualité des résidents par leur handicap mental. Or, a-t-elle démontré, cette sexualité est davantage déterminée par la désignation des personnes en tant que « handicapées mentales » et par la contrainte institutionnelle.

En particulier, elle expose les différentes représentations de la sexualité hier et aujourd'hui. Hier, même si cette vision a toujours cours aujourd'hui minoritairement, la personne en situation de handicap mental était plutôt perçue selon la dichotomie de l'ange et de la bête. Elle était ange parce que pure, tendre et dénuée de la sexualité de ses parents. C'était la vision des parents des personnes handicapées, empreinte de religieux. A contrario, elle pouvait aussi apparaître comme un monstre, une bête dénuée d'affectivité, qui ne maîtrise pas sa sexualité. C'était plutôt la vision des éducateurs.

L'enquête montre qu'aujourd'hui, ces représentations ont laissé la place à une nouvelle vision. Celle-ci assimile la sexualité à une norme de bonne santé à encourager absolument, une sorte de morale contemporaine de la bonne santé. Entre ces différentes représentations et pratiques de normalisation ou d'anormalisation, un équilibre serait à trouver, du côté du simple accompagnement à l'autonomie.

Différentes sexualités

Si la sexualité des personnes en situation de handicap mental se révèle être exactement la même que celle des non-handicapés, Lucie Nayak a en revanche établi une typologie des comportements sexuels de ces personnes. Soit quatre comportements sexuels, qui pourraient tout aussi bien s'appliquer à des « neurotypiques » s'ils étaient confrontés au même environnement. Le premier type de sexualité, qu'elle appelle « écartée » implique que la personne a des relations affectives mais aucune relation sexuelle. Elle concerne surtout les personnes les plus lourdement handicapées.

La deuxième forme de sexualité, « conformiste » et « normalisante », fait référence à une vie affective et sexuelle conforme aux normes de la « santé sexuelle ». Elle est l'apanage des personnes dont le handicap est le moins invalidant. Le troisième type de sexualité, « revendicative », concerne des personnes qui luttent au sein de l'institution où elles résident pour l'autodétermination de leur vie affective et sexuelle. Elles sont souvent perçues par leur environnement institutionnel comme n'acceptant pas leur handicap ou même comme souffrant de troubles psychiques associés.

Enfin, la quatrième forme de sexualité observée en établissement pour adultes en situation de handicap mental fait référence à des pratiques sexuelles « inhabituelles » ou hors norme, n'impliquant pas une pénétration : bandage, jeu de mimes etc. D'après les observations de la chercheuse, ce dernier comportement serait surtout celui de personnes atteintes de troubles autistiques.

 

 

Vidéo extraite du colloque du 9 février à Quimper. Témoignages de résidents et intervention de la sociologue Lucie Nayak.

Source : Conseil départemental du Finistère.

 D'autres vidéos sont disponibles sur le site du conseil départemental.

 

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Marie Pragout
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