« Je n’ai pas assez le temps de me poser auprès des enfants »

« Je n’ai pas assez le temps de me poser auprès des enfants »

16.12.2016

Action sociale

Educatrice de jeunes enfants depuis 2015, Hnou Va exerce dans une crèche associative en Guyane où elle tente de convaincre de la nécessité de réfléchir à l’accompagnement des enfants dans une culture où l'éducation se veut assez autoritaire. Notre série "En quête de sens" met en lumière la trajectoire de travailleurs sociaux désireux de faire valoir leur approche du métier.

Ancienne agricultrice, Hnou Va est éducatrice de jeunes enfants (EJE) depuis 2015. Après un passage éclair dans une structure privée, elle a pris début 2016 un poste dans une crèche associative qui venait d’ouvrir en Guyane. Elle sent son identité professionnelle se dessiner, et tente de garder le cap de ce qui compte pour elle – notamment le développement d’une pédagogie active et le temps pour la pensée clinique – tout en composant avec la réalité des équipes et de l’organisation du travail. Regard d’une jeune professionnelle sur sa pratique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir éducatrice de jeunes enfants ?

Avant d’être éducatrice de jeunes enfants, j’ai travaillé dans l’agriculture, en Guyane. Dans ce milieu, et plus généralement dans le milieu rural, il n’est pas rare que les enfants soient présents sur le lieu de travail des parents. Cela m'a interpellée, je me disais qu’ils auraient besoin d’un lieu d’accueil pour pouvoir évoluer et jouer, et que cela permettrait à leurs parents d’aller travailler tranquillement. J’avais depuis longtemps en tête l’idée de devenir éducatrice – j’en avais une notion floue, celle d’un animateur pour enfants – mais cette réalité de terrain a servi de déclencheur. Je suis venue me former en métropole. La rencontre des formateurs, des autres étudiants, des lieux de stage ont peu à peu façonné ma vision du métier.

Une fois diplômée, vous restez un mois dans une crèche privée en métropole. Pourquoi si peu ?

Ça n’a pas été une bonne expérience. Je suis arrivée dans un moment complexe pour cette équipe, il y avait beaucoup d’absentéisme, de turn-over. J’étais alors la seule éducatrice de jeunes enfants sur le terrain, et je devais tourner sur les trois sections de la structure (les bébés, les moyens et les grands). Celle-ci, du fait de sa vocation lucrative, cherchait bien sûr à avoir le taux de remplissage maximum de ses places, sachant qu’on était dans un cadre de multi-accueil. Or avec le manque de personnel, il était difficile d’accompagner les enfants dans la continuité pendant leur période d’adaptation, on n’avait pas assez de temps à leur consacrer. J’avais l’impression que l’enfant devait s’adapter à la crèche, alors que ça aurait dû être l’inverse. Il fallait l’intégrer au plus vite dans un groupe, alors qu’il avait parfois besoin de plus de temps. Qui plus est, la directrice m’a d’emblée demandé d’accompagner les personnels non diplômés et de prendre des stagiaires, en plus des projets qu’elle voulait que je mette rapidement en place. Je crois que je ne me sentais pas assez forte pour porter tout ça si vite, je ressentais le besoin de gagner d’abord en expérience. Je l’ai exprimé, mais ça n’a pas été entendu. Je me suis vite rendu compte que je rentrais très nerveuse du travail. Je me suis questionnée : était-ce moi qui faisais mal mon travail, est-ce que je manquais de compétences ? J’ai finalement annoncé ma décision de partir, c’était trop lourd.

En recherchant votre second poste, vous aviez des exigences particulières ?

Pas forcément. J’avais surtout envie de retourner en Guyane, de vivre près de la nature. J’ai trouvé mon poste actuel via un blog tenu par des EJE guyanais. Comme il s’agissait de l’ouverture d’une nouvelle structure, ça m’a motivée, j’aime bien les challenges. C’était une association, ça me plaisait de me dire que j’allais commencer avec une équipe motivée, pouvoir penser des choses en amont. La réalité s’est avérée plus complexe…

Comment s’est passée votre arrivée sur ce poste ?

Nous n’avons été au départ que trois professionnelles, pour recevoir vingt enfants en deux semaines ! Ça a été stressant pour tous, enfants et professionnels. La direction nous a expliqué que c’était à cause des subventions, qui arrivaient au compte-gouttes, et donc qu’on ne pouvait pas faire travailler l’équipe au complet. De nouveaux professionnels sont ensuite arrivés toutes les deux semaines. Par ailleurs, nous n’avons jamais eu de temps de réunion pour organiser les journées, la modalité des adaptations. On a juste bénéficié d’une formation de prévention incendie et d’une rencontre pour se présenter les uns aux autres et connaître les dates d’ouverture. Rien sur l’organisation de la structure, dont je me suis rendu compte qu’elle n’avait pas été pensée. J’étais donc un peu perdue, au départ.

Quels sentiments vous traversaient ?

Le même sentiment qu’à ma première expérience : j’ai mis en doute mes compétences. Était-ce moi qui faisais mal ? Avec le recul, je me dis que rien n’était préparé, que j’étais dans le flou, sans aucune information.

Comment vivez-vous votre poste actuellement ?

La structure commence à fonctionner, l’équipe est dynamique et motivée. Pour ma part, je me retrouve à beaucoup coordonner le travail des équipes et à faire le relais entre elles et la direction. À exercer aussi, en plus des projets qu’il faut concevoir et rédiger, des tâches normalement dévolues aux auxiliaires de puériculture comme l’accueil, les soins, l’accompagnement à la sieste, le rangement des jouets… La direction laisse en effet entendre que chacun peut remplir la tâche de n’importe quel autre, malgré nos postes assez distincts, qu’il faut être dans l’entraide. Je suis bien sûr favorable à l’entraide, mais ce qui me dérange, c’est cette confusion des fonctions, car cela m’éloigne de mon travail. Cela me donne parfois l’impression de ne pas assez jouer mon rôle d’EJE. J’ai peu de temps pour me poser et réfléchir à l’accompagnement des enfants, notamment auprès de ceux qui rencontrent des difficultés. Quand on me parle d’un enfant agressif, je voudrais pouvoir rester un moment avec lui, l’observer, mais ce n’est pas possible. Du coup, j’écoute surtout ce que les autres professionnels m’en disent et je vois, en fonction de ça, quoi mettre en place pour lui.

Vous estimez que l’accueil et l’accompagnement des enfants se passent malgré tout correctement ?

Les adaptations se font beaucoup mieux, on a un système de référent, qui permet à un professionnel d’accueillir un enfant pendant une semaine entière. J’ai par ailleurs proposé des temps de réunion par section, pour que chaque équipe puisse déposer sa réflexion sur l’accompagnement. Mais cela a lieu une fois par mois et par section, durant trente minutes pour l’instant. Ce n’est vraiment pas beaucoup. J’ai insisté pour qu’on évoque tous les enfants, et pas seulement ceux qui posent problème, parce que chacun a son importance, mais de fait, on aborde tout succinctement et on n’a souvent le temps de parler que de la moitié des enfants accueillis (12 petits, 24 moyens, 27 grands).

Y a-t-il des éléments qui vous heurtent parfois au travail ?

En Guyane, l’éducation peut sembler rude. Mes collègues trouvent que je devrais être plus autoritaire avec les enfants. Moi, j'essaie de les amener à parler un peu moins fort, à faire plus attention aux mots qu’ils emploient avec les petits. J’ai l’impression de faire un travail de fourmi auprès des autres professionnelles, qui heureusement sont assez ouvertes. On essaie de se comprendre mutuellement. Je mets aussi en place des façons de travailler avec les enfants pour qu’elles puissent s’en inspirer. Je valorise notamment la pédagogie active, c’est-à-dire une façon de proposer aux enfants un espace d’expérimentation, où ils puissent choisir eux-mêmes leurs jeux, se saisir de leur environnement à leur rythme et selon leur désir, plutôt que de subir les activités qu’on leur impose. Par exemple, pour la fête des pères et des mères, la direction nous pousse à faire que les enfants préparent des cadeaux pour les parents. Or pour moi, un enfant doit prendre du plaisir à une activité et y trouver du sens pour lui. Ce cadeau, pourquoi le donnerait-il plutôt que de le garder ou de le jeter, à cet âge-là ? Pourquoi lui imposer quelque chose qui ne fait pas encore sens pour lui ? N’est-il pas plus intéressant de le laisser explorer son univers ? Comme tout cela est très éloigné de l’approche directive de l’éducation guyanaise, je tâche d’y initier mes collègues. Je le fais en essayant de laisser aux équipes que je coordonne beaucoup de liberté. On me le reproche, mais je pense nécessaire que les professionnelles expérimentent sur elles-mêmes cet espace de créativité, pour s’en inspirer ensuite auprès des enfants.

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous dans votre travail ?

D’avoir trop peu d’échanges avec des professionnels extérieurs à mon équipe : en Guyane, on manque de structures – tous les collègues que je connais sont en métropole – et de formations. Donc je me sens assez seule. Par ailleurs, je trouve qu’on n’est pas assez préparés, au cours de nos études, à gérer une équipe, à laquelle il faut dire quoi faire à telle heure. J’ai parfois l’impression de devoir faire la police, même si comme je l’ai dit, j’essaie de laisser le plus possible d’autonomie aux auxiliaires de puériculture, afin qu’elles soient force de proposition. Mais quelles que soient les difficultés du métier, en tant que jeune éducatrice, je le trouve très gratifiant. Un enfant qui me sourit, un parent reconnaissant sont une sacrée source de satisfaction. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est la rencontre avec chacun – enfants, parents, professionnels – qui crée toujours un effet de surprise, et c’est de cette altérité que je ne cesse de m’enrichir.

Vous souhaitez témoigner de votre parcours personnel, faites-le nous savoir à l'adresse suivante : tsa@editions-legislatives.fr, et la rédaction vous recontactera.

 

Pourquoi cette série "En quête de sens" ?

Le travail social est atteint par une grave crise de sens : le sujet n'est hélas par nouveau, il était au cœur des États généraux du travail social. Mais par-delà le constat collectif, comment cette mise en question résonne-t-elle individuellement pour les professionnels du secteur ? Comment et à quel moment chacun peut-il être amené dans son travail à se regarder et à se demander : «Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? ». Lorsque la réalité de terrain s'éloigne trop de l'idéal qu'on s'était forgé de sa mission, comment surmonter le décalage ? Décide-t-on de fermer les yeux en investissant d'autres pans de sa vie, de tout lâcher, de militer, de ruser avec les contraintes, de les enfreindre ? Où trouve-t-on les ressources, l'énergie, pour conserver le cas échéant une créativité interne – créativité au service des personnes que l'on accompagne et souvent aussi de notre santé psychique et physique ?

Si chacun n'a d'autre choix que de s'inventer ses propres réponses, rien n'empêche d'aller puiser de l'inspiration dans l'expérience d'autres collègues. Notre rubrique « En quête de sens » se propose justement de vous donner à entendre la trajectoire singulière de travailleurs sociaux désireux de partager leurs interrogations, leurs découragements, leurs enthousiasmes, et les stratégies qu'ils mettent en œuvre dans ces métiers aujourd'hui si chahutés. Des métiers mis plus que jamais en demeure de penser leur propre sens pour éviter qu'ils deviennent – malgré eux – vecteurs de maltraitance.

 

A lire (ou à relire) :

Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

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