« Les praticiens devront appliquer trois droits des contrats », prévient M. Mekki

« Les praticiens devront appliquer trois droits des contrats », prévient M. Mekki

04.04.2018

Gestion d'entreprise

La loi de ratification de l'ordonnance portant réforme du droit des contrats sera applicable à tous les actes conclus à compter du 1ᵉʳ octobre 2018. Alors que les praticiens doivent encore se familiariser avec les nouveautés issues de l'ordonnance, Mustapha Mekki fait le point sur les principales évolutions du texte et leur portée.

Le 14 mars, les députés et les sénateurs se sont mis d’accord sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Le texte devrait être publié dans le courant du mois d'avril. Mustapha Mekki, agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université Paris XIII-Paris Sorbonne Cité et directeur de l'Institut de recherches de droit des affaires (IRDA), nous apporte quelques éclairages sur le dispositif de ratification.

Quelles sont les principales modifications apportées à l'ordonnance d'octobre 2016 ?

La version finale du projet de loi de ratification est plutôt respectueuse de l’équilibre du texte d’origine. Pour l’essentiel, il y a surtout eu des corrections et des clarifications. Il n’y a pas eu de bouleversement majeur. Ce n’est pas une « réforme de la réforme », comme on a pu l’entendre.

Que pensez-vous de la nouvelle définition du contrat d’adhésion ? Quelles sont les conséquences pour les professionnels ?

Au départ, le Sénat a souhaité modifier substantiellement la définition du contrat d’adhésion (article 1110 du code civil) afin d’en réduire le champ d’application. Cela n’était pas dans l’esprit des rédacteurs de l’ordonnance. Le Sénat a également voulu modifier l’article 1171 du code civil sur les clauses abusives afin de le rendre uniquement applicable aux clauses non négociables. En définitive, l’objectif du Sénat était de limiter la définition du contrat d’adhésion aux seuls contrats de masse. Finalement, les sénateurs n’ont pas été suivis. La définition du contrat d’adhésion est beaucoup plus claire et plus large. Il est défini comme un contrat « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties ».

Les praticiens doivent être très prudents car la définition finale qui a été retenue est très large. Elle intègre toute une série de contrats d’affaires, notamment les contrats dits de « dépendance ».

Comment prouver qu’un contrat est négociable ?

Le critère déterminant est la négociabilité. C’est plutôt positif pour les professionnels. Sans avoir besoin de prouver la négociation effective du contrat, il conviendra « seulement » d’établir sa négociabilité ou sa non-négociabilité. Ce critère est plus souple, mais la difficulté se situera au stade de la preuve en cas de contentieux. Nous ne savons pas qui aura à prouver la négociabilité du contrat. Est-ce qu’il s’agit de celui qui se prévaut du contrat d’adhésion ? Quel sera le faisceau d’indices qui sera retenu par le juge ? Ce dernier n’aura-t-il pas tendance à prendre en considération la qualité et la compétence des parties ? Une inégalité entre les parties, d’ordre intellectuel, économique ou social, ne permettrait-elle pas au juge de douter de la négociabilité réelle du contrat ?

La question reste entière. Insérer une clause qui précise que l’ensemble des clauses du contrat était négociable ne sera pas suffisant, si on prend pour comparaison le contentieux allemand du contrat d’adhésion.

Les contrats sont donc désormais soumis à différentes lois selon leur date de conclusion ?

La difficulté liée au texte concerne la période transitoire. Les praticiens devront appliquer trois droits différents :

  • les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 seront soumis au droit antérieur à l’ordonnance ;
  • les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018 seront soumis à l’ordonnance du 10 février 2016. Il faut y intégrer toutes les dispositions « interprétatives » de la loi de ratification identifiées par une liste d’articles qui entrent en vigueur au jour du texte interprété.
  • Enfin, la loi de ratification sera applicable aux actes juridiques conclus ou établis, renouvelés ou reconduits, à compter du 1er octobre 2018 pour les dispositions « modifiées » par le texte.

Il y aura nécessairement une période de rodage.

Selon vous, comment les juges vont s’approprier ce nouveau texte ?

Tous les parlementaires ont condamné « l’anticipation » de la réforme par les juges et son application aux contrats conclus avant son entrée en vigueur. Ils se sont donc mis d’accord pour interdire l’application anticipée de la réforme en condamnant les théories de l’ordre public impérieux et de l’effet légal du contrat. Le deuxième alinéa de l'article 9 de l’ordonnance (« Les contrats conclus avant [le 1er octobre 2016] demeurent soumis à la loi ancienne ») serait ainsi complété par : « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public ».

A vrai dire, cela ne changera rien. En effet, les arrêts critiqués sont des interprétations du droit ancien par la Cour de cassation à la lumière de l’ordonnance. Les juges n’ont pas eu recours aux critères de l’effet légal et de l’ordre public pour faire évoluer la jurisprudence. C’est donc un « coup d’épée dans l’eau » de la part du législateur.

Pour les dispositions nouvelles, la commission mixte paritaire a établi une distinction entre :

  • les modifications substantielles de l’ordonnance, qui ne s’appliqueront qu’aux contrats conclus après le 1er octobre 2018,
  • les règles « interprétatives », simples corrections et précisions terminologiques, qui entrent en vigueur à la même date que l’ordonnance, le 1er octobre 2016.

La tâche est rendue encore plus difficile pour les professionnels. Et à cela s’ajoute, ironie du sort, la liberté du juge d’interpréter les différents droits (ancien et intermédiaire) à la lumière de la loi de ratification !

Que conseillez-vous aux juristes concernant l’aménagement des contrats en cours et les contrats qui seront soumis au nouveau texte ?

Il ne faut pas être alarmiste. Le résultat reste modéré. Cela aurait pu être plus grave. Finalement, les praticiens pourront profiter des débats parlementaires afin de mieux articuler le droit commun et les règles spéciales ou de mieux distinguer les règles supplétives des règles impératives. Ces propositions et réflexions pendant les travaux préparatoires de la loi de ratification relèvent-elles pour autant de la ratio legis ? S’il s’agit d’expliquer les textes nouveaux et modifiés par la loi, sans aucun doute. En revanche, les interprétations des textes de l’ordonnance qui n’ont pas été modifiés par la loi de ratification ne relèvent pas au sens strict de la recherche de la ratio legis, dès lors que ces textes n’ont pas été - à proprement parler - rédigés par les parlementaires. Il s’agit, pour ces derniers textes non modifiés, d’une interprétation proposée par les parlementaires, parmi d’autres interprétations. Le Sénat a ainsi considéré que son rôle était d’expliquer certaines règles issues du texte. Leur interprétation peut guider les praticiens et leur donner quelques pistes. Il y a des éclairages qui peuvent s’avérer utiles aux juristes pour aménager leurs contrats. En fin de parcours, le juge aura tout de même toujours le dernier mot.  
Propos recueillis par Leslie Brassac

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