«Comment nous avons mis en place un quotient familial qui tient compte du "reste à vivre" »

«Comment nous avons mis en place un quotient familial qui tient compte du "reste à vivre" »

30.10.2017

Représentants du personnel

Suite de notre série sur les initiatives de CE partout en France, en partenariat avec le réseau inter-CE Cezam. Aujourd'hui : le CE de l'Urssaf des Pays-de-Loire. Myriam Robin, la secrétaire adjointe du comité, nous explique pourquoi et comment les élus ont mis en place un quotient familial qui prend en compte les dépenses incompressibles des ménages selon leur composition.

Gestionnaire de comptes à l'Urssaf basée à Nantes (Loire-Atlantique), Myriam Robin est élue du personnel depuis 1987 (*). "J'avais envie de m'impliquer autrement dans la vie de l'organisme, de savoir comment les choses fonctionnent, et d'être un acteur utile. Et puis il y avait à l'époque un délégué syndical charismatique qui entraînait les autres", explique-t-elle. D'abord déléguée du personnel, elle est rapidement devenue élue CE, puis secrétaire adjoint et enfin secrétaire de CE de l'Urssaf de Loire-Atlantique de 2000 à 2012. Elle a retrouvé un mandat de secrétaire adjointe du CE en 2015 à la faveur des élections professionnelles où son syndicat, la CFDT, a obtenu la majorité. Mais entre-temps, la régionalisation de l'Urssaf a changé la donne : la nouvelle entité du CE regroupe désormais 640 à 650 salariés sur 6 sites répartis sur le territoire de la région administrative, en Loire-Atlantique (Nantes), Vendée (La Roche-sur-Yon), Mayenne (Laval), Sarthe (Le Mans) et Maine-et-Loire (Cholet et Angers).

D'un CE départemental à un CE régional

Lorsqu'elle était secrétaire de CE de l'Urssaf de Loire-Atlantique, Myriam Robin et son équipe géraient les activités sociales et culturelles en utilisant le quotient familial, un système qui permet de faire varier la subvention que verse le CE aux salariés en fonction du niveau de vie attesté par la déclaration fiscale . Mais quand l'Urssaf s'est régionalisée, ce qui perturbé les repères des élus, la nouvelle majorité syndicale a changé la pratique, et opté pour une large redistribution vis à vis des salariés, sans quotient familial.

 Tenir seulement compte du bulletin de salaire crée des situations inéquitables

Du coup, en retrouvant la gestion des affaires dans un CE régional, les élus se sont interrogés en 2015 sur la politique à suivre. Ils n'ont pas considéré comme satisfaisant d'opter pour une attribution différenciée sur la seule base des bulletins de salaire fournis par les agents, mais seulement après avoir testé cette pratique. "Le problème, c'est qu'en faisant ainsi on ne tient pas compte des charges de famille ni du revenu du conjoint. Nous avons constaté des situations inéquitables. Par exemple, des femmes élevant seules 2 ou 3 enfants avaient peu de soutien sur les chèques vacances parce qu'elles étaient cadres", expliquent Myriam Robin et Sandrine Pavé, élue au CE et DS CFDT.

Les élus ont vu leur réflexion appuyée par le réseau inter-CE Cezam des Pays-de-Loire, dont Myriam Robin est la présidente. "Ils nous ont sensibilisé à la notion de reste à vivre", raconte la secrétaire adjointe. Cette notion a été forgée à partir d'un tableau de l'Insee qui a calculé, selon la composition d'un ménage, quels sont les coûts incompressibles (les dépenses annuelles moyennes par ménage) auxquels il doit faire face. Ces coûts comprennent par exemple l'alimentation, le loyer, l'électricité, etc. Ces charges s'élèvent ainsi à :

  • 16.800€/an pour un célibataire sans enfant;
  • 24 000€/an pour un célibataire avec enfant (s);
  • 27 600€/an pour un couple sans enfant;
  • 37 200€/an pour un couple avec enfant(s).

Appliquée aux agents de l'Urssaf, cette grille de lecture a réservé des surprises aux élus du CE. "Nous avons pris conscience que certains salariés, quand on tenait compte de ces charges incompressibles et des impôts, avaient un "reste à vivre" très faible voire même négatif", souligne Myriam Robin.

La méthode de calcul

Comment le CE tient-il compte de ces données pour appliquer une subvention différenciée selon les salariés ? Le comité demande à tous les salariés leur avis d'imposition et leur fait remplir une déclaration où ils indiquent, outre leur revenu fiscal, le montant de l'impôt payé par le ménage (célibataire ou en couple) et le nombre d'enfants à charge. Ensuite, le calcul est le suivant :

Revenu fiscal de référence - montant de l'impôt sur le revenu - niveau de charges incompressibles correspondant au ménage = somme finale.

Exemple pour un coupe avec 2 enfants ayant 45 000€ de revenu fiscal de référence :

45 000€ - 2 230€ d'impôts - 37 200€ (charges incompressibles de cette catégorie)

=  5 570€

Cette somme, le "reste à vivre", détermine ensuite dans quelle catégorie le salarié se trouve pour le montant des chèques-vacances et l'aide du CE aux voyages. En effet, 4 tranches ont été définies qui ouvrent droit à une subvention plus ou moins forte du CE pour les chèques-vacances et les voyages :

Tranches Montant chèques-vacances Aide du CE aux voyages pour le salarié Aide du CE aux voyages pour le conjoint du salarié

Tranche 1 : somme finale négative ou allant

jusqu'à 1 000€;

400€ 80% 40%
Tranche 2 : de 1001€ à 10 000€ 300€ 60% 30%
Tranche 3 : de 10 001 à 45 000€ 200€ 40% 20%
Tranche 4 : de 45 001 à 100 000€ et plus 100€ 20% 10%

Dans notre exemple, le salarié se verra donc appliquer la tranche 2.

Cette formule a été utilisée pour la première fois par le CE en 2016, et de façon limitée, avec des tranches très larges, les élus voulant éviter d'avoir des salariés mécontents en cas de tranches trop nombreuses et un problème de franchissement de seuil. Les élus revendiquent donc une approche prudente : "Nous avons d'abord voulu voir ce que cela donne afin de mieux convaincre". Il faut dire qu'une pétition hostile a même circulé un temps dans l'entreprise mais ."quand les salariés se sont aperçus que l'application de cette règle leur était favorable, leur opinion a changé".

Les salariés doivent faire viser leur avis d'imposition

Reste qu'une telle politique, même limitée à certaines ASC, suppose que les salariés acceptent de montrer leur avis d'imposition car à défaut, le CE leur applique les aides minimums. "En pratique, très peu de salariés refusent, d'autant que nous ne réclamons pas de conserver les pièces, mais simplement de les viser", dit la secrétaire adjointe,  qui constate pour le début d'application de cette règle que 28% des salariés relèvent de la première tranche, 33% de la deuxième, 23% de la troisième et 15% de la quatrième. Quels effets produisent cette nouvelle règle ? "Nous avons beaucoup plus de participants aux voyages et aux grands week-end parmi les salariés dont le niveau de vie est plus faible", se réjouissent les élus.

Il faut dire que le CE de l'Urssaf a la chance, comme il le reconnaît, de vivre dans une situation confortable avec un budget annuel de fonctionnement de 45 000€ et de 630 000€ pour les activités sociales et culturelles. "Comme présidente du Cezam  Pays-de-Loire, je sais bien quelle est la situation des autres CE", dit Myriam Robin. De quoi nourrir une politique ambitieuse. Au delà des sorties ou activités familiales, voyages et week-ends classiques, le CE a lancé depuis un an des voyages solidaires à l'étranger, via l'agence Double Sens, des voyages lors desquels les salariés sont même invités à travailler pour participer à des projets humanitaires ! Le CE participe également aux prix littéraires de Cezam (roman et BD). En outre, les élus se disent satisfaits -une fois n'est pas coutume- par la base de données économiques et sociales (BDES) mise à leur disposition : "Nous travaillons par exemple en ce moment sur l'égalité professionnelle et il y a beaucoup de données sur le sujet. Et nous avons que la direction nous fournira des éléments supplémentaires si nous les demandons".

Le passage en CSE

Tout cela sera-t-il remis en cause par le passage inéluctable au comité social et économique ? "Nous savons déjà que nos prochaines élections, prévues en mars 2018, vont être reportées, mais nous ne savons pas jusqu'à quand. Nous allons négocier", répond la secrétaire adjointe du CE. Dernière question à laquelle un élu d'un CE Urssaf ne pouvait échapper : que dire aux CE qui redoutent l'Urssaf ? La réponse de Myriam Robin : "Les Urssaf ont un rôle de conseil, ce n'est pas parce qu'un CE fait appel à nous qu'il va être contrôlé ! Les CE peuvent nous appeler, nous envoyer un mail pour prendre rendez-vous".

 

(*) L'Urssaf est l'union de recouvrement pour la sécurité sociale et les allocations familiales. Le réseau, piloté par l'Acoss (agence centrale des organismes de sécurité sociale), compte 22 Urssaf. Ces caisses sont chargées d'assurer la collecte des cotisations, d'effectuer des contrôles pour garantir l'équité des traitements, d'informer et de sécuriser juridiquement les cotisants, de préserver les droits des salariés et lutter contre l'évasion fiscale, etc. (lire ici).

 

Le Cezam en Pays-de-Loire prépare un grand projet numérique pour "outiller les élus"

Le réseau Cezam en Pays de la Loire, qui emploie 60 salariés, regroupe environ 800 comités d'entreprise, soit 5 000 élus CE, ce qui représente pas moins de 195 000 salariés. Dans cette région dont les contours administratifs n'ont pas changé (Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire et Vendée), le réseau inter-CE bénéfice d'un tissu économique dynamique, tiré par la locomotive de la métropole nantaise. "Mais ce n'est pas Nantes et le désert autour, attention ! Il y a de gros bassins d'emplois aux Herbiers, en Vendée (Ndlr: comme Jeanneau, voir ci-dessus), au Mans, à Angers. Nous avons des entreprises de plus de 1 000 salariés qui génèrent un tissu de PME et TPE important : 80% des adhérents de Cezam Pays de la Loire sont des CE appartenant à des entreprises de mois de 300 salariés", nous explique Jean-Bernard Desmonts, le directeur général du réseau régional. Ce dernier relativise la réduction d'élus que représentera le passage en CSE car, dit-il, il faut comparer la situation future "à la situation réelle d'aujourd'hui, avec de nombreuses postes non pourvus mais aussi beaucoup de cumuls de mandats". En revanche, la question des moyens, avec notamment le statut du suppléant, l'inquiète. Quoi qu'il en soit, Jean-Bernard Desmonts prépare pour les CE un grand projet numérique, qui irait de l'e-learning à des applications en passant par des plateformes collaboratives. "Les ordonnances Macron ne sont pas une énième modification du champ du CE. Ce qui vient de se passer constitue une rupture par rapport à un modèle créé en 1945 sur la base de l'histoire sociale de notre pays depuis 1870. Nous entrons dans une nouvelle ère, et il me semble difficile d'imaginer qu'on pourra revenir en arrière ", soutient-il. Le directeur de Cezam Pays de Loire veut donc regarder devant : "Comment imaginer que la révolution digitale bouleverse l'économie sans toucher  le dialogue social ? Comment penser à l'ère numérique des outils efficaces pour les élus, qui leur permettent par exemple d'organiser une communauté de bénéficiares d'ASC ? C'est la question".

Le site de Cezam en Pays de la Loire

Le site du réseau national Cezam

 

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Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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