60 ans des traités de Rome : et après ?

29.03.2017

Gestion d'entreprise

Le 25 mars dernier, l'Union européenne a célébré le soixantième anniversaire de ses actes fondateurs, signés ce même jour de 1957. Au moment où le Royaume-Uni prépare sa sortie, les Vingt-sept affichent leur unité et s'engagent à avancer, si nécessaire, "à des rythmes différents".

Les traités de Rome fêtent leurs 60 ans, et alors que jamais dans l’histoire de sa construction le projet européen n’a semblé connaître de telles remises en cause, les vingt-sept États tentent d’insuffler un nouvel élan à l’Union.

Un espace de paix et de prospérité

L’objectif de paix était la toute première ambition des pères fondateurs d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples » qu’ils se proposaient d’assurer par la création de solidarité de fait entre les États. L’établissement d’un marché commun à l’intérieur duquel les personnes, les marchandises, les services et les capitaux peuvent circuler librement fut ainsi la plus remarquable de ses réalisations concrètes.

Aujourd’hui, 500 millions de citoyens européens peuvent étudier, travailler, voyager ou séjourner partout dans l’Union sans restriction ou presque, en utilisant une monnaie commune pour plus de 330 millions d’entre eux.

L’UE est devenue une grande puissance garante des valeurs de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et de la diversité culturelle, avec le plus grand marché unique et la seconde monnaie la plus utilisée dans le monde.

Un projet fragilisé

Malgré ces résultats prodigieux, l’édifice européen est de plus en plus contesté. Toutes les consultations publiques sur l’Europe depuis 25 ans ont révélé, dans un nombre toujours plus grand d’États membres, au mieux l’indifférence, au pire, l’hostilité vive des peuples quant au projet européen.

Ce rejet se cristallise notamment autour de mouvements populistes anti-européens et anti-migrants qui fédèrent des revendications nationalistes et identitaires. Le Brexit en constitue une forme brutale d’aboutissement et peut faire craindre d’autres revendications sécessionnistes totales - qui se traduiraient par de nouvelles sorties de l’UE - ou partielles, comme l’abandon de l’Euro.

Vers une intégration différenciée ?

Pour que ce début de fragmentation de l’Union n’entraîne pas sa dislocation, il est plus que jamais nécessaire d’en proposer la refondation. Les États membres et la Commission l’ont bien compris. Ils semblent prendre acte de la fin d’un modèle d’intégration unique au profit d’une intégration différenciée.

Le 1er mars dernier, la Commission a présenté un Livre blanc sur l’Avenir de l’Europe dans lequel elle propose cinq scénarios pour l’évolution de l’Union d’ici à 2025 (Doc. COM (2017) 2025, 1er mars 2017) :

- le premier scénario souhaite « s’inscrire dans la continuité » : l’UE à vingt-sept États membres continuerait à mettre en œuvre son programme de réformes positives ;

- le deuxième – le plus minimaliste - se recentrerait sur le marché unique ;

- le troisième permettrait aux États membres qui le souhaitent de collaborer plus étroitement dans des domaines spécifiques ;

- le quatrième se traduirait par des efforts concentrés sur des domaines d’action choisis dans lesquels l’UE fournirait plus de résultats plus rapidement, tandis qu’elle réduirait ses interventions dans d’autres secteurs ;

- enfin, l’ultime scénario permettrait de « faire beaucoup plus ensemble » : les États membres mettraient en commun davantage de pouvoirs, de ressources et de processus décisionnels dans tous les secteurs.

Le troisième chemin semble aujourd’hui avoir la préférence. Lors des cérémonies pour les 60 ans des traités de Rome, les dirigeants de vingt-sept États membres et des institutions de l’UE ont renouvelé leur engagement européen dans une déclaration solennelle. « Nous renforcerons l’Union européenne et la rendrons plus résiliente, en faisant preuve, entre nous, d’une unité et d’une solidarité encore plus fortes et en respectant les règles communes », ont-ils assuré. Dans leur déclaration, les Vingt-sept se sont engagés à agir « de concert, si nécessaire à des rythmes différents et avec une intensité différente, tout en avançant dans la même direction ».

Remarque : l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses n’est pas nouvelle : elle remonte à l’instauration du Système monétaire européen (SME) en 1979 et a connu de multiples manifestations depuis avec l’espace Schengen, l’Union économique et monétaire, la Charte des droits fondamentaux ou, de manière plus spécifique, les « opting-out » du Royaume-Uni, du Danemark ou de la Pologne sur certaines politiques. Cette intégration différenciée est même déjà prévue par les traités avec l’institution du mécanisme des coopérations renforcées (TUE, art. 20 ; TFUE, art. 326 à 334).

La déclaration de Rome insiste aussi sur la dimension sociale de l’Europe. « Nous nous engageons à écouter les préoccupations exprimées par nos citoyens et à y répondre, et nous travaillerons avec nos parlements nationaux », ont promis les dirigeants.

La période qui s’ouvre est incertaine compte tenu des forces centrifuges qui se développent en Europe. Mais les crises ont toujours été un moteur de la construction européenne. Les négociations qui s’engagent après la notification du retrait du Royaume-Uni pourraient constituer un formidable ciment d’intégration en favorisant la cohésion des vingt-sept États restant dans l’Union. Loin d’être le prélude du déclin de l’empire européen, le Brexit serait alors le début de sa refondation.

Eric Carpano, Professeur agrégé de droit public, Université Jean Moulin, Lyon III

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