Adoptée par les députés, la réforme du commissariat aux comptes soulève encore des questions

Adoptée par les députés, la réforme du commissariat aux comptes soulève encore des questions

01.10.2018

Gestion d'entreprise

Entrée en vigueur et définition des nouveaux seuils de désignation du commissaire aux comptes, contenu de la mission optionnelle, démarrage de la période transitoire, nouveau régime pour certaines sociétés mères et certaines filiales... La réforme entérinée par l'Assemblée nationale apporte des (quasi) certitudes et amène des questions.

Le profession de commissaire aux comptes est fortement secouée. Sans surprise, l'Assemblée nationale a PDF iconadopté, jeudi dernier lors de la 1ère lecture du projet de loi Pacte — le vote sur l'ensemble du texte n'a toutefois pas encore eu lieu —, la mesure phase de Bruno Le Maire, celle du relèvement et de l'harmonisation des seuils d'audit obligatoire des comptes des sociétés. Cela concerne les sociétés qui n'appartiennent pas à un groupe et celles qui appartiennent à un groupe dont les comptes ne sont pas consolidés. L'audit deviendrait obligatoire, pour les sociétés commerciales, dès lors qu'elles dépassent deux des trois seuils suivants : 8 millions d'euros de chiffre d'affaires, 4 millions d'euros de bilan et 50 salariés. Toutefois, ce n’est que le principe de l’harmonisation et du relèvement qui a été adopté. Ces seuils, qui figurent dans l'exposé des motifs du projet de loi, devraient être fixés par décret. Avec une nuance selon le type de sociétés. Pour les sociétés anonymes, ce serait un décret simple, c'est à dire qui ne nécessite pas l'avis du conseil d'Etat (article L 225-218 du code de commerce qui résulte du texte à ce jour adopté par l'Assemblée nationale). Conséquence : le décret pourrait être très rapidement promulgué. Ce n'est pas le cas pour les SAS et les SARL. Le relèvement des seuils nécessiterait un décret en Conseil d'Etat (articles actuels L 227-9-1 et L 223-35 du code de commerce qui ne sont pas modifiés sur ce point).

Seuils de certification obligatoire des comptes des sociétés commerciales (hors groupes) : ce que l'Assemblée nationale a adopté
Société commerciale Seuils actuels d'intervention obligatoire du commissaire aux comptes Seuils d'intervention obligatoire du commissaire aux comptes adoptés par l'Assemblée nationale (*)
SA/SCA Aucun seuil. Toutes les SA et SCA sont tenues de désigner un commissaire aux comptes Toutes les SA et les SCA dépassant deux des trois seuils suivants : 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés
SARL/SNC/SCS Toutes les SARL, SNC et SCS dépassant deux des trois seuils suivants : 3,1 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1,55 million d’euros de bilan et 50 salariés Toutes les SARL, SNC et SCS dépassant deux des trois seuils suivants : 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés
SAS

Toutes les SAS dépassant deux des trois seuils suivants : 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1 million d’euros de bilan et 50 salariés

Toutes les SAS dépassant deux des trois seuils suivants : 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés
(*) l'Assemblée nationale a adopté le principe d'harmonisation et de relèvement des seuils. C'est un décret qui devrait fixer ces seuils.
Source : article 9 du projet de loi Pacte adopté en 1ère lecture par l'Assemblée nationale / actuel-expert-comptable
 
Incertitude sur la date d'entrée en vigueur

A quelle date ces dispositions devraient-elles entrer en vigueur ? Ces nouveaux seuils s'appliqueraient une fois terminés les mandats en cours. Il est toutefois prévu de créer une période transitoire pour les sociétés qui ne seraient plus tenues, à l'issue de ce mandat, de désigner un commissaire aux comptes. Elles pourraient, en accord avec leur commissaire aux comptes, basculer, jusqu'à la fin du mandat prévu à l'origine, dans la future mission optionnelle du commissaire aux comptes. Selon nous, il y a toutefois une incertitude sur la date de démarrage de cette période transitoire que le texte impose "à compter du premier exercice ouvert postérieurement à la publication du décret mentionné aux articles L 225-28, L 226-6 et L 823-2-1 du code de commerce dans leur rédaction résultant des 9°, 12° et 16° du I du présent article, et au plus tard à compter du 1er janvier 2019". Premièrement, il n'est pas certain que la loi Pacte soit promulguée d'ici le 1er janvier 2019. Deuxièmement, les — futurs — articles L 226-6 et L 823-2-1 font référence respectivement aux SCA et aux EIP (entités d'intérêt public). La référence à l'article L 225-28 semble erronée car elle ne vise pas la désignation du Cac dans les SA qui figure en fait dans le futur article L 225-218. Troisièmement, les SAS et les SARL ne sont pas explicitement visées par une date d'application des nouveaux seuils. Cela peut s'expliquer par le fait que la certification des comptes de ces sociétés est déjà, contrairement aux SA et aux SCA, conditionnée à des niveaux. Toutefois, il serait surprenant que l'entrée en vigueur des nouveaux seuils soit différente selon qu'il s'agisse d'une SCA, d'une SA, d'une SARL ou d'une SAS.

Peu de marge de manoeuvre pour la mission optionnelle

Que sait-on de cette future mission optionnelle du commissaire aux comptes que le rapport de Cambourg avait baptisée audit légal PE (petites entreprises) ? Ce qui est (quasi) certain, c'est qu'elle durerait 3 exercices — sauf lorsqu'elle serait choisie dans le cadre de la période transitoire, c'est à dire pour terminer le mandat de 6 exercices du commissaire aux comptes. On sait aussi qu'elle donnerait lieu à l'établissement d'un rapport "identifiant les risques financiers, comptables et de gestion" à destination des dirigeants. On sait aussi que le commissaire aux comptes serait dispensé de réaliser certains rapports et diligences (notamment le rapport sur les conventions réglementées dans les SARL, article L 223-19 du code de commerce ; le rapport sur les conventions réglementées dans les SA, articles L 225-40 et L 225-88 ; la convocation, dans certaines situations, de l'assemblée générale des SA par le Cac, article L 225-103 ; les observations sur le rapport du gouvernement d'entreprise dans les SA, article L 225-235 ; le rapport sur la transformation des SA, article L 225-244 ; le rapport sur les conventions réglementées dans les SAS, article L 227-10 ; etc.). Ce qu'on ignore, c'est le coeur de cette nouvelle mission. Ce sont des normes d'exercice professionnel, homologuées par arrêté du ministre de la justice, qui détermineraient "les diligences à accomplir par le commissaire aux comptes et le formalisme qui s'attache à la réalisation de sa mission". On ne sait donc pas s'il s'agirait effectivement d'un audit ou d'une autre mission. Or, la marge de manoeuvre par rapport à un audit légal des comptes, appelé certification en France, semble faible. D'un côté, si elle devait s'appeler audit, cette mission pourrait difficilement s'écarter des normes internationales même si cela est possible d'un point de vue juridique pour l'instant (à ce sujet lire notre article). De l'autre côté, créer une mission avec assurance qui ne relèverait pas de l'audit, mais qui serait donc réalisée par un commissaire aux comptes, risquerait d'être incomprise du marché et, dans certaines situations, d'entrer directement en concurrence avec la profession d'expert-comptable.

Harmonisation de l'audit obligatoire des comptes des sociétés mères...

Cette réforme veut harmoniser aussi les obligations des sociétés mères. Aujourd'hui, certaines échappent à la certification légale de leurs comptes sociaux alors que les SA et les SAS mères voient leurs comptes sociaux systématiquement contrôlés par un commissaire aux comptes. Dans les faits, cela concerne les SARL à la tête d'un ensemble qui n'est pas tenu d'établir des comptes consolidés — c'est à dire qui ne dépasse pas deux des trois seuils suivants : 48 millions d'euros de chiffre d'affaires, 24 millions d'euros de bilan et 250 salariés — et lorsqu'elles ne dépassent pas les seuils de certification légale de ses comptes sociaux — c'est à dire 3,1 millions d'euros de chiffre d'affaires, 1,55 million d'euros de bilan et 50 salariés. Le texte adopté en 1ère lecture par l'Assemblée nationale impose à une personnes ou une entité à la tête d'un groupe de sociétés de faire contrôler ses comptes dès lors qu'elle appartient à un groupe qui dépasse certains seuils cumulés qui seraient fixés par décret — il est prévu dans l'exposé des motifs du projet de loi que ces seuils soient les mêmes que ceux de désignation du commissaire aux comptes dans les sociétés hors groupe, soit 8 millions d'euros de chiffre d'affaires, 4 millions d'euros de bilan, 50 salariés. L'objectif de cette mesure consiste à harmoniser les obligations des sociétés tout en évitant que certaines sociétés mères importantes passent entre les mailles du filet lorsqu'elles ne sont pas des entités d'intérêt public (EIP) — étant précisé que cette réforme est également destinée à s'assurer que toutes les EIP soient tenues de désigner un commissaire aux comptes — et qu'elles n'appartiennent pas à un groupe tenu de produire des comptes consolidés.

... et des filiales

Autre nouveauté : ces têtes de groupe pourraient choisir de recourir à la nouvelle mission du commissaire aux comptes, d'une durée de trois exercices, dont les diligences restent à définir. Une autre mesure concerne les sociétés contrôlées par ces mêmes personnes et entités à la tête d'un groupe. Lorsqu'elles dépassent un niveau de chiffre d'affaires, qui serait défini par décret, elles devraient désigner un commissaire aux comptes. L'exposé des motifs des amendements — identiques  — adoptés sur ce sujet (amendements 2230 et 2255) fait référence à un montant de 50 % du chiffre d'affaires cumulé du petit groupe dont la mère est tenue de faire contrôler ses comptes — soit 4 millions d'euros. Cette mesure fait l'objet d'une autre particularité : ces filiales devraient désigner un commissaire aux comptes dans le cadre de la nouvelle mission de 3 exercices dont les diligences sont à définir. Les mandats de Cac de 3 exercices pourraient donc se développer dans l'hexagone. Et pour des diligences dont on ignore l'essentiel. Ce texte doit à présent faire l'objet d'une adoption solennelle par l'Assemblée nationale puis être examiné par le Sénat.

Ludovic Arbelet

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