Aide à l'entrée ou au séjour irréguliers : quand la « démarche militante » exclut l'immunité

14.09.2017

Droit public

Selon la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'immunité « humanitaire » prévue à l'article L. 622-4, 3° du Ceseda ne s'applique pas lorsque les actions menées s'inscrivent dans une démarche d'action militante ayant pour objectif de soustraire des étrangers aux contrôles prévus par la loi.

Le 8 août 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence rendait sa décision dans une affaire largement médiatisée impliquant un agriculteur, M. Herrou, poursuivi pour avoir facilité l’entrée, la circulation et le séjour irréguliers d’étrangers sans titre de séjour, en les transportant depuis Vintimille jusqu’en France, en les hébergeant à son domicile puis en les transférant sur une autre propriété privée afin d’être hébergés, faits réprimés par les articles L. 622-1 et L. 622-3 du Ceseda.
 
La cour d’appel l’a condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour aide à l’entrée, la circulation et au séjour irrégulier d’étrangers et occupation illicite d’un bâtiment de la SNCF, peine prenant en compte « à la fois les circonstances des infractions et la personnalité de son auteur ».
 
Le 11 septembre 2017, dans une affaire également largement relayée dans les médias, la même cour d’appel condamnait, aux termes d’une argumentation identique, M. Mannoni, enseignant, à deux mois d’emprisonnement avec sursis, pour avoir, entre Tende et Nice, facilité la circulation et le séjour irrégulier d’étrangers en situation irrégulière, en transportant et en hébergeant chez lui trois étrangères, dont une mineure, qu’il savait en situation irrégulière.
 
Dans ces deux affaires, contrairement au tribunal correctionnel de Nice en première instance, la cour d’appel a écarté l’immunité humanitaire prévue à l’article L. 622-4, 3° du Ceseda, en raison de la « démarche militante » des prévenus.
Remarque : dans sa décision sur l’affaire Mannoni, la cour relève qu’il était établi que le prévenu « était en contact étroit » avec M. Herrou, « auprès de qui il sollicitait des renseignement techniques notamment sur les lieux où déposer des étrangers ».
Délit d’aide à l’entrée ou au séjour irréguliers et exemptions de poursuite
L’article L. 622-1 du Ceseda punit d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 € toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France.
 
L’article L. 622-4 prévoit toutefois une exemption des poursuites en faveur des membres de la famille (1° et 2°), mais aussi (3°) une immunité pénale, dite « humanitaire », dont les contours ont été redéfinis par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012.
 
L’aide au séjour irrégulier d’un étranger ne peut ainsi donner lieu à des poursuites pénales lorsqu’elle est le fait « de toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
Remarque : rappelons que l’objectif de la réforme intervenue à la fin de l’année 2012 était de protéger du risque de poursuites pénales les personnes manifestant de façon désintéressée, de quelque façon que ce soit, « leur solidarité » à l’égard d’un étranger en situation irrégulière, et de faire en sorte que « toutes les actions de type humanitaire et désintéressé » puissent effectivement entrer dans le champ de l’immunité (Rapp. AN n° 463, 28 nov. 2012). Cette immunité étant placée sous le contrôle du juge, comme le montre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Une immunité « humanitaire » en partie reconnue en première instance
Relaxe et application de l’immunité « humanitaire »
En première instance, M. Mannoni avait été relaxé et l’immunité de l’article L. 622-4, 3° lui avait été appliquée, le tribunal correctionnel de Nice considérant, s’agissant en particulier de l’aide au séjour, que « le prévenu a aidé au séjour [des migrantes] dans le but de préserver leur dignité et de leur assurer une sécurité matérielle propice au maintien de leur intégrité physique sans qu’il ne soit nécessaire de chercher à savoir si son comportement relève de la notion d’aide ou de celle de secours » (T. corr. Nice, 6 janv. 2017, n° 85/17). Il avait également écarté les poursuites fondées sur l’aide à la circulation, « considérant qu’il s’agissait d’un préalable nécessaire à l’hébergement prévu ».
 
Le même tribunal avait relaxé M. Herrou pour les faits d’installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation, mais l’avait reconnu coupable du délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers des étrangers pris en charge alors qu’ils se trouvaient en Italie. Il l’avait alors condamné à une amende de 3 000 € avec sursis (T. corr. Nice, 10 févr. 2017, n° 534/17).
Une distinction entre la prise en charge en France et en Italie dans l’affaire Herrou
Dans leur décision concernant M. Herrou, les juges distinguaient deux situations : celle des migrants pris en charge par le prévenu alors qu’ils se trouvaient sur le sol français et celle des migrants pris en charge sur le sol italien.
 
S’agissant de la première situation, ils avaient retenu l’application de l’immunité pénale de l’article L. 622-4, le prévenu ayant « agi dans des circonstances telles qu’il a recherché [...] à préserver la dignité et l’intégrité de ces personnes, mettant en œuvre tout moyen, et en l’espèce en leur permettant de rejoindre son domicile puis un bâtiment offrant une capacité d’accueil plus importante leur offrant une sécurité matérielle qu’ils n’auraient pas trouvée s’ils étaient restés à la rue ».
 
S’agissant de la seconde, l’application de l’article L. 622-4 avait en revanche été écartée « dans la mesure où les étrangers dont il a facilité le séjour et la circulation en les prenant en charge en Italie puis en les transportant à son domicile en France se trouv[aient] sur le sol français du fait de sa propre action ».
Remarque : relatif à l’état de nécessité, l’article 122-7 du code pénal avait lui aussi été écarté par le tribunal dans l'affaire Herrou, le prévenu ne rapportant pas « la preuve d’une action de sauvegarde individualisée pour chaque migrant dont il a facilité d’entrée sur le territoire national ».
Exclusion de l’immunité en raison de la « démarche d’action militante »
Suite aux appels interjetés par le ministère public, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a donc prononcé la condamnation des deux prévenus, alourdissant la peine de M. Herrou et écartant, par deux fois, l’immunité humanitaire.
 
Pour parvenir à cette solution, la cour d’appel fait une interprétation littérale de l’article L. 622-4, 3°.
Remarque : dans un premier temps, et alors qu’il résulte expressément de l’article L. 622-4 que l’exemption de poursuites ne vise que l’aide au séjour irrégulier, la cour d’appel a toutefois étendu le champ de l’immunité humanitaire à l’aide à l’entrée et à la circulation. Elle considère en effet que « si, dans sa rédaction, l’article L. 622-4 paraît ne s’appliquer qu’au séjour irrégulier, les dispositions envisagées par les paragraphes 1 et 2, lies à l’immunité familiale montrent manifestement que les situations d’aide à la circulation et à l’entrée irrégulières d’étrangers sont également couvertes par ce texte, il doit donc en être de même dans les cas prévus au paragraphe 3 ».
Absence de contrepartie et action selon la « conscience et les valeurs »
Dans les deux affaires, les juges soulignent d’abord « l’absence de contrepartie directe ou indirecte » (conformément à ce qu’exige l’article L. 622-4, 3°) ainsi que « le mobile du prévenu d’agir selon sa conscience et ses valeurs ».
 
Selon eux, le débat ne portait donc pas sur l’existence ou non de cette contrepartie.
Absence d’action visant à assurer des conditions de vie dignes ou à préserver l’intégrité physique
Ils relèvent toutefois que, « l’hébergement de nombreux étrangers en situation irrégulière par [le prévenu], d’abord à son domicile puis ensuite à l’intérieur d’un local appartenant à la SNCF, dans des conditions particulièrement précaires » (s’agissant de l’affaire Herrou) et « le transport des trois étrangères en situation irrégulière » (s’agissant de l’affaire Mannoni), n’avaient pas pour but « de leur fournir des conseils juridiques, des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins ni de préserver leur intégrité physique, aucune atteinte d’une telle gravité n’étant objectivée ».
 
En d’autres termes, selon les juges, si les prévenus ont bien manifesté leur solidarité envers les migrants pris en charge, il n’est pas établi que les actions menées étaient destinées, comme l’exige l’article L. 622-4, 3°, à leur « assurer des conditions de vie dignes et décentes » ou à « préserver la dignité ou l’intégrité physique ».
Actions s’inscrivant dans une « démarche d’action militante »
Enfin, la cour poursuit en jugeant que « les actions [des prévenus] s’inscrivaient de manière plus générale […] dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions législatives relatives à l’immigration ».
Remarque : dans l'affaire Herrou, la cour souligne que le prévenu avait lui même « revendiqué et affirmé clairement à plusieurs reprises » le caractère militant de sa démarche.
Dans chacune des deux affaires, elle conclut que les prévenus ne pouvaient, en conséquence, bénéficier des dispositions protectrices de l’article L. 622-4 du Ceseda.
 
Les juges insistent donc sur le contexte « militant » dans lequel s’inscrivent les actions incriminées, celles-ci ne pouvant, selon elle, pas entrer dans le champ des actions définies au 3° de l’article L. 622-4.
Position de la Cour de cassation
Alors que la décision du 8 août 2017 fait d’ores et déjà l’objet d’un pourvoi en cassation (et que M. Mannoni a également fait part de sa volonté de déposer un recours), il est utile de rappeler que, dans un arrêt du 4 mars 2015 (publié), la chambre criminelle avait déjà insisté sur la nécessité pour le juge, lorsqu’il écarte l’application de l’immunité humanitaire, de s’expliquer sur les circonstances des actions menées par le prévenu, notamment quant à l’existence d’une contrepartie directe ou indirecte (Cass. crim., 4 mars 2015, no 13-87.185).
 
Les décisions qu’elle rendra à l’occasion de ces pourvois pourraient donc apporter un nouvel éclairage, en particulier, sur les éléments susceptibles de compléter la définition de l’immunité humanitaire.
Remarque : dans un avis du 18 mai 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait pour sa part appelé le Gouvernement et le législateur à modifier la rédaction de l’article L. 622-1 du Ceseda afin de mettre en conformité le droit national avec le droit européen. Elle y considérait notamment que seule devait être sanctionnée l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers apportée dans un but lucratif (CNCDH, avis, 18 mai 2017).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Véronique Baudet-Caille, Docteur en droit
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