Amiante : délibérément fautive, Eternit ne peut pas pointer les carences de l'État

Amiante : délibérément fautive, Eternit ne peut pas pointer les carences de l'État

30.03.2018

HSE

Même avant que l'État ne commence à se saisir du problème de l'amiante et prenne des mesures réglementaires, en 1977, pour réduire les risques, Eternit, spécialiste de l'amiante-ciment depuis 1922, ne pouvait pas ne pas savoir. Elle a commis une "faute délibérée d'une particulière gravité", juge le Conseil d'État. Ainsi, elle ne peut pas partager sa responsabilité avec l'État. Ni les coûts de l'indemnisation d'un salarié victime.

En 2015, le Conseil d'État jugeait qu'un employeur qui commet un manquement à ses obligations de sécurité, condamné pour "faute inexcusable" au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, peut se retourner contre l'État si celui-ci a également commis une faute à l'origine du dommage. Les magistrats posaient alors une limite : cet employeur souhaitant se retourner contre l'État ne doit pas voir "délibérément commis une faute d'une particulière gravité".

Le Conseil d'État, par une décision du 26 mars 2018, vient d'appliquer sa jurisprudence dans une affaire d'amiante opposant Eternit (aujourd'hui ECCF) à l'administration : en ne prenant pas de mesures pour protéger ses salariés, Eternit a commis une faute délibérée d'une particulière gravité. Cela lui interdit de pointer l'insuffisance de la réglementation sur l'amiante avant le décret de 1977, et de rechercher la responsabilité de l'État pour partager avec lui le coût de la réparation du préjudice subi par des salariés victimes de maladies professionnelles.

 

► Lire aussi : Obligation de sécurité et faute inexcusable : l'employeur peut se retourner contre l'État

 

Il faut attendre le décret du 24 décembre 1996 pour parvenir à l'interdiction de la fabrication et de la vente de l’amiante en France. L'année 1977 avait tout de même marqué un tournant : le décret du 17 août, entré en vigueur entre octobre 1977 et mars 1978, fixait une concentration maximale de fibres d’amiante par centimètre cube d’air inhalé et imposait des mesures de contrôle et de surveillance médicale des salariés. C'est donc cette date que le Conseil d'État retient, depuis 2015, pour établir un éventuel partage des responsabilités entre les employeurs et l'administration.

Eternit réclame la moitié de la somme et 10 000 euros pour sa réputation

Ce n'est qu'après la mort de son mari – qui a travaillé dans l'usine Eternit de Saint-Grégoire, en Ille-et-Vilaine, de 1974 à son décès en 2005 – que la veuve de ce salarié obtient une indemnisation pour le préjudice subi par la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Depuis, ECCF (ex-Eternit) fait valoir devant la justice que l'État doit partager cette responsabilité et donc lui rembourser la moitié de la somme versée à la caisse d’assurance maladie pour l'indemnisation des ayants-droit, et ajouter 10 000 euros pour le préjudice moral que l'entreprise estime avoir subi, du fait de l'atteinte à son image et à sa réputation. En mai 2016, la cour administrative d'appel de Versailles rejette cette demande, estimant qu'Eternit a "délibérément commis une faute d'une particulière gravité".

 

► Lire aussi Eternit a "délibérément commis une faute d'une particulière gravité"

 

Avant 1977 : Eternit ne pouvait pas ne pas savoir

"Spécialisée dans la production d'amiante-ciment depuis sa création en 1922", "devenue la principale entreprise de ce secteur en France" et "ayant des liens étroits avec des entreprises recourant aux mêmes procédés de fabrication à l'étranger", Eternit ne pouvait pas ne pas connaître les dangers de l'amiante, relève le Conseil d'État pour la période 1974-1977, période litigieuse dans cette affaire.

Or, Eternit n’établit pas "avoir pris de mesure particulière de protection individuelle et collective de ses salariés exposés avant 1977" et les témoignages des salariés rapportent "une atmosphère fortement empoussiérée d'amiante", "sans aucune mesure de protection".

La société est dès lors "l’auteur, pour la période antérieure au décret du 17 août 1977, d’une faute d’une particulière gravité délibérément commise, faisant obstacle à ce qu’elle se prévale de la carence fautive de l’État", conclut le Conseil d’État.

Et après 1977 ?

Pour invoquer une carence fautive de l'État après 1977, il aurait fallu qu'Eternit établisse qu'elle se conformait alors aux exigences de la nouvelle réglementation, et que le mésothéliome pleural malin dont a ��té victime le salarié trouvait "directement [sa] cause dans une carence fautive de l'État à prévenir les risques liés à l'usage de l'amiante".

Les juges estiment en effet que "les mesures adoptées par les pouvoirs publics à partir de 1977 ont été de nature à réduire le risque de maladie professionnelle liée à l’amiante dans les entreprises dont l’exposition des salariés aux poussières d’amiante était connue".

Le Conseil d'État, validant les conclusions faites par les juges ayant examiné le fond du dossier, souligne plusieurs manquements d'Eternit après 1977. Ainsi, les seuils d'empoussièrement fixés par le décret "avaient pu être dépassés sur certains postes de travail du site de Saint-Grégoire entre 1978 et 1981". De plus, Eternit n'établit pas "avoir mis en place de système d'aspiration efficace garantissant la protection des salariés chargés comme [le salarié vicitme dans cette affaire] du nettoyage et du broyage des déchets avant 1995", ni "avoir rempli son obligation de fournir des masques sur ce même site avant 1990 pour les salariés exposés ponctuellement". Elle n'avait pas non plus informé la victime des risques pour sa santé.

L'Andeva (association de défense des victimes de l'amiante), qui a pris part à cette procédure, se félicite d'une "victoire des victimes de l'amiante". "On attend, déclare l'association, un deuxième arrêt du Conseil d’État concernant la société Latty qui avait engagé une procédure analogue. Il est permis d’espérer qu’il confirme cette jurisprudence."

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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