Annulation partielle d'une autorisation d'exploiter et retour à l'enquête publique

22.06.2017

Environnement

Le tribunal administratif de Lille fait usage de la possibilité offerte au juge de n'annuler qu'une partie de l'autorisation environnementale et de reprendre l'instruction à la phase entachée d'irrégularité. C'est le caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique, du fait de l'absence de justification des capacités financières de l'exploitant, qui lui en donne l'occasion. Une première.

Un exploitant agricole a déposé, le 9 mars 2011, une demande d’autorisation d’exploiter un élevage porcin de 4 513,8 animaux équivalents. Le projet comportait un plan d’épandage du lisier produit par l’élevage, couvrant une surface initiale de 311,92 hectares répartie sur plusieurs communes. Par un arrêté du 29 mars 2013, le préfet a délivré l’autorisation d’exploiter. 
 
Des voisins de l'installation et des parcelles d'épandage ainsi que la commune d'implantation, notamment, ont demandé l’annulation de cet arrêté d'autorisation.
 
Le tribunal administratif de Lille annule l’arrêté du 29 mars 2013 en tant que les capacités financières de l’exploitation n’ont pas été soumises à l’information du public lors de l’enquête publique. Il enjoint parallèlement au préfet du Pas-de-Calais de reprendre l’instruction à la phase d’enquête publique (TA Lille, 25 avr. 2017, n°s 1401947 et 1402302).
Un dossier incomplet soumis à enquête publique
Le préfet bien renseigné sur les capacités financières...
En l'espèce, la demande d’autorisation d’exploitation comporte des éléments relatifs à ses capacités techniques, notamment par la mention des différents techniciens intervenant au cours de la production porcine.
 
En ce qui concerne les capacités financières, le dossier se borne à mentionner que les él��ments d’ordre financier seront fournis à la préfecture. Toutefois, le préfet a été destinataire, au cours de l’instruction de la demande, des résultats d’exercice pour les années 2007 à 2009 ainsi que d’une prévision budgétaire pour la période 2010-2016. Il a, en outre, sollicité un complément d’instruction auprès de l’exploitant. 
 
Ainsi le préfet disposait, à la date à laquelle l’autorisation a été accordée, de l’ensemble des informations permettant de procéder au contrôle des capacités financières présentées par le pétitionnaire.
... mais le public beaucoup moins
Toutefois, bien que remis à l’administration, les éléments précités ne figuraient pas dans le dossier de demande d’autorisation soumis à l’enquête publique.
 
Or, eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et au caractère exhaustif des indications à fournir sur les capacités financières de l’exploitant à assurer le fonctionnement de l’exploitation -notamment compte tenu de sa nature et de son importance- pour permettre au public de les apprécier, l’absence de ces indications dans le dossier soumis à enquête publique a été de nature à nuire à l’information complète de la population (cf. notamment CE, 14 oct. 2011, n° 323257).
 
En effet, ainsi que le souligne le rapporteur public, l’exploitation a une taille très importante ; elle nécessite des investissements conséquents par rapport à l’exploitation existante et ces investissements sont les garants du respect des prescriptions de l’arrêté tant dans la conception des bâtiments (stockage et écoulement des effluents) que dans la mise en œuvre du plan d’épandage (rampe à enfouissement). Et c’est ce que soutiennent les requérants lorsqu’ils soulignent que des indications sur les capacités financières auraient permis de vérifier que l’exploitation disposait des matériels nécessaires à la mise en œuvre de l’arrêté (tonne à lisier, enfouissement notamment).
 
Le tribunal conclut que le caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique, compte tenu de l’absence de justification des capacités financières de l’exploitant, entache d’irrégularité l’arrêté préfectoral d'autorisation.
L'annulation partielle, première application jurisprudentielle
L'autorisation d'exploiter de 2013 considérée comme une autorisation environnementale
Ladite autorisation de 2013, ainsi que le relève le tribunal, tombe sous le coup des dispositions relatives à l'autorisation environnementale, puisque selon l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, les autorisations délivrées au titre des dispositions ICPE code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance avant le 1er mars 2017 sont considérées comme des autorisations environnementales.
Annulation partielle de l'autorisation d'exploiter
En outre, depuis l'ordonnance, l’article L. 181-18 du code de l’environnement dispose que le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce. Il peut également demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité.
 
Ledit article dipose également qu'en cas d'annulation affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. Ces dispositions, qui n’affectent pas la substance du droit au recours, s’appliquent aux instances en cours, même si celles-ci concernent des autorisations antérieures au 1er mars 2017.
 
En l'espèce, le caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique entache d’irrégularité l’arrêté. Toutefois, ce vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation.
 
Dans ces conditions, le juge utilise les nouvelles possibilités offertes à l'article L. 181-18 en décidant :
- d'annuler l’arrêté d'autorisation en tant que les capacités financières de l’exploitation n’ont pas été soumises à l’information du public lors de l’enquête publique (annulation partielle donc) ;
- d'enjoindre au préfet de reprendre l’instruction à la phase d’enquête publique ;
- de ne pas suspendre l’exécution de l’autorisation d’exploitation, les prescriptions y étant fixées étant de nature à préserver les intérêts protégés par la loi.
Précision : avant de se prononcer en ce sens, le juge a écarté tous les autres moyens avancés par les requérants, relatifs notamment à l'étude d'impact, la consultation de l'architecte des Bâtiments de France, le plan d'épandage ou encore le non-respect des meilleures techniques disponibles.
En outre, pour déterminer si l'autorisation pouvait continuer à être exécutée malgré l'annulation partielle, le tribunal a repris les critères dégagées par le Conseil d'Etat (CE, 15 mai 2013, n° 353010), à propos de l'autorisation provisoire dans l'attente d'une régularisation de l'exploitation d'une installation classée.
Quels avantages pour l'exploitant ?
Pour l'exploitant, cette décision présente d'abord l'avantage de lui épargner le dépôt d'une nouvelle autorisation et une partie de la procédure d'instruction, ce qui représente une économie de temps et d'argent.
 
De plus, l'exécution de l'autorisation d'exploiter n'est pas suspendue, les prescriptions qu'elle comporte ayant été jugées suffisamment protectrices de l'environnement. Pas de retour en arrière sur les prescriptions que l'exploitant connaît déjà depuis quatre ans maintenant.
 
De manière plus générale, une décision comme celle-ci illustre la manière dont le juge pourra désormais affiner son jugement, le rendre le plus pragmatique possible.
 
Ces nouvelles marges de manœuvre s'inspirent, ainsi que l'explique le rapporteur public, des dispositions en vigueur sur les permis de construire (notamment l'article L. 600-5 du code de l’urbanisme, issu de l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme) et permettent que le cadre de l’action du juge soit ainsi formalisé et unifié.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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