Après le choc du CSE, quelle ordonnance pour survivre aux ordonnances ?

Après le choc du CSE, quelle ordonnance pour survivre aux ordonnances ?

17.11.2017

Représentants du personnel

Parler de deuil à propos de la fin des CE et CHSCT serait excessif mais l'abattement des élus du personnel qui prennent en ce moment connaissance des ordonnances Macron est bien réel. Comment dépasser ce sentiment et faire face à la nouvelle donne du CSE ? Experts et syndicalistes nous répondent.

Cet automne, le monde de la représentation du personnel semble comme frappé de stupeur. Dans de multiples assemblées (réunions syndicales, informations dispensées par des cabinets d'expertise ou de conseil, etc.) où leur sont présentées les conséquences que pourrait avoir la mise en oeuvre des ordonnances de septembre dernier, c'est comme si l'univers connu issu des lois Auroux de 1982 s'effondrait sur la tête des élus. Certes, il y avait déjà eu la délégation unique du personnel, version Balladur puis Rebsamen sous les 300 salariés. Mais cette fois, toutes les entreprises sont concernées et la remise en cause du modèle qui prévalait jusqu'ici va plus loin. La perspective généralisée d'une instance unique de représentation du personnel, le CSE (comité social et économique), s'accompagne en effet de la disparition annoncée de toutes les instances séparées qu'étaient le comité d'entreprise (CE), les délégués du personnel (DP) et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui étaient le fruit d'une longue histoire politique et sociale (notre infographie).

Les militants sont abasourdis par tous ces changements

La baisse, parfois très importante, du nombre d'élus qui résultera de cette fusion, mais aussi les nouvelles modalités de fonctionnement de l'instance (les suppléants ne pourront siéger au CSE qu'en l'absence de titulaires, une partie des expertises devra être cofinancée, les consultations annuelles pourront donner lieu à une autre périodicité par accord), sans parler de la somme des modifications concernant la négociation collective ou le licenciement économique, laissent les élus parfois sans réaction ou bien désemparés. "Quand ils découvrent l'ampleur des changements, les militants sont un peu abasourdis. Leur première réaction est de se demander comment ils vont faire à l'avenir avec moins d'élus, avec moins de moyens pour les expertises...", témoigne Mohammed Oussedik, de la CGT, dont la fédération verre et céramique forme actuellement ses militants.

"Les élus sont atterrés par ces changements et par les orientations qui ont été choisies. Leur première réaction consiste à dire que la communication du gouvernement disant que les ordonnances favorisent le dialogue social est un mensonge. Ils ne comprennent pas pourquoi le passage en CSE s'impose alors qu'on prétend favoriser la négociation. Ils éprouvent comme une sensation d'étouffement", témoigne Claire Baillet, dont le cabinet a multiplié les séances de formation lors des salonsCE. "Il y a une fatigue et un découragement des élus, notamment du fait de la succession des réformes de ces dernières années. Certains changements, comme la nouvelle organisation de l'information-consultation ou la base de données économiques et sociales (BDES) restent encore à mettre en oeuvre dans certaines entreprises. D'autre part, des élus qui se sont investis dans la négociation d'instances regroupées avec la loi Rebsamen se disent qu'il va falloir tout recommencer", réagit Marylise Léon, secrétaire confédérale CFDT chargée du dialogue social. Jean-Christophe Berthod, directeur chez Secafi, un cabinet qui organise en ce moment 80 matinées débat dans toute la France sur les ordonnances, décrit pour sa part un effet de "sidération" chez les élus "quand ils prennent conscience qu'il faut tout réinventer, et que c'est aussi à eux d'inventer, en quelque sorte, leur propre droit en absence de toute solution normative".

Le coup de bambou : effet direct et différé

Tout se passe comme si le gouvernement, en imposant une concertation à marche forcée pendant l'été, avait gagné la course de vitesse et pris de court le monde syndical et celui de la représentation du personnel. "Ce coup de bambou, nous l'avons reçu cet été au niveau confédéral, lorsque nous avons compris à quoi ressembleraient les ordonnances. Au niveau confédéral, nous sommes maintenant passés à autre chose : comment éviter de nous faire balader sur les autres sujets à venir, que ce soit la formation ou l'assurance chômage ? Comment réussir à nous faire entendre ? témoigne Gilles Lécuelle, chargé du dialogue social à la CFE-CGC. Mais ce coup de bambou, nos militants ne le reçoivent qu'en ce moment, à l'occasion des réunions d'information que nous tenons dans toute la France".

Le combat va se poursuivre dans les entreprises 

Ce décalage expliquerait l'abattement actuel des élus, état qui s'accompagne parfois de colère froide, y compris à l'égard des organisations syndicales, accusées de n'avoir pas su s'unir pour faire évoluer ensemble le projet du gouvernement. En exagérant, on pourrait comparer cet état de stupeur aux premières phases du deuil, c'est à dire à un état de choc et de déni empêchant une prise en compte de la nouvelle situation et donc un examen lucide des moyens à mettre en oeuvre pour y faire face (*). Sauf que le temps du deuil ne pourra pas durer très longtemps. Très vite vont arriver les questions politiques et pratiques de la mise en place de l'instance unique au sein de chaque entreprise. Car c'est bien au niveau de l'entreprise, pour reprendre les mots de Gilles Lécuelle, "que le combat va se poursuivre". Car si certains élus, proches de la retraite, disent être contents de partir "sans avoir à connaître le CSE", ou si d'autres, qui cumulent les mandats, ne sont pas mécontents d'une instance unique, beaucoup d'autres veulent rempiler et s'inquiètent d'avoir face à eux "une montagne de changements à intégrer et d'éléments à négocier", selon les mots de Claire Baillet.

La remobilisation commence à peine

Dans un tel climat, la remobilisation s'annonce difficile. Les élus n'ont pas forcément conscience que le timing peut leur être défavorable, une direction s'estimant prête pour mettre en place le CSE pouvant ainsi, en 2018, écourter les mandats actuels, met en garde Claire Baillet, inquiète également de la réactions d'élus de DUP estimant que le CSE ne changerait rien pour eux. Lors de la journée FO des comités d'entreprise, Pascal Pavageau, futur successeur de Jean-Claude Mailly, a insisté sur le besoin de chercher à compenser par des accords collectifs la baisse du nombre d'élus en négociant, par exemple, des représentants de proximité, sans oublier de prévoir dans un protocole préelectoral qu'un salarié puisse effectuer davantage que trois mandats successifs dans le CSE. Cela au suppose des ententes syndicales sur la géométrie souhaitable des futures instances, afin d'espérer peser face à l'employeur. Ententes syndicales ? Elles ne seront pas si faciles, les intérêts de tel syndicat pour telle organisation et tel périmètre d'IRP pouvant certes correspondre à son implantation mais pas à celle d'un autre syndicat.

 Combien de temps ça va me prendre d'être au CSE ?

Les organisations syndicales seront d'autre part confrontées à des situations paradoxales. Un syndicat devra arbitrer parfois entre les sortants pour constituer les futures listes si le nombre d'élus est moins important mais, ailleurs, il devra au contraire trouver de nouveaux candidats, la perspective de devenir un élu polyvalent et de devoir assimiler la nouvelle donne pouvant aussi aboutir à des défections. "La première question que nos militants se voient poser quand ils demandent à quelqu'un d'être candidat, c'est : "Combien de temps ça va me prendre ?", confie Gilles Lécuelle, inquiet pour la transmission des savoirs-faire. Et même sur ce terrain de la reconversion et d'une meilleure valorisation professionnelle des parcours d'élus, les ordonnances ont déçu.

La piste CGT des branches pour sauvegarder un même socle

C'est peut-être Jean Auroux qui a trouvé les mots les plus justes devant des militants CGT la semaine dernière. A vous d'assimiler les nouveautés, à vous de travailler les dossiers "pour vous emparer des possibilités qui existent encore", a lancé l'ancien ministre du Travail. "Si les négociations collectives sont bien menées, notamment sur les moyens du comité social et économique, il y a encore des choses à obtenir. Il ne faut pas s'avouer vaincus dès le départ", a-t-il ajouté en distinguant le contenu d'une loi et ce que la pratique en fera.

Un tel discours n'est pas évident à soutenir pour la CGT, un syndicat qui continue de contester -la manifestation de ce jeudi 16 novembre en est l'illustration- les réformes des ordonnances. Mais, principe de réalité oblige, ce syndicat doit quand même bien se positionner face à une nouvelle donne légale. A la fédération CGT verre et céramique, l'approche de Mohammed Oussedik, le secrétaire général, consiste à miser sur la branche pour trouver une nouvelle dynamique. "Nous avons mis en place des formations sur les ordonnances pour nos militants et c'est l'occasion de débattre avec eux de notre stratégie. Nous insistons sur le fait que nous avons des dispositions conventionnelles intéressantes, avec par exemple davantage de délégués syndicaux que ne le prévoit la loi, des dispositions qu'il nous faut chercher à sauvegarder", explique le secrétaire confédéral. Ce dernier souligne que sa branche comporte des entreprises dont les IRP sont installées depuis longtemps et que les directions n'ont pas forcément intérêt à chambouler.

 Des dispositions plus favorables peuvent être maintenues au niveau de la branche

"Je ne sais pas quelle image ont des entreprises les personnes qui ont conçu les ordonnances. Mais je ne crois pas du tout que toutes les entreprises veuillent à tout prix changer de représentants du personnel au bout de trois mandats, surtout lorsque les élus sont bien formés, ni que les suppléants ne puissent plus siéger aux réunions", insiste Mohammed Oussedik. Ce dernier veut donc croire qu'une proposition conjointe des syndicats dans une convention collective puisse recevoir un écho positif de la part des "chambres patronales" pour maintenir des dispositions plus favorables que le supplétif prévu par les ordonnances pour le CSE. "Je n'observe pas de coupure entre les IRP et les salariés. Dans notre secteur, les salariés connaissent bien l'action des CHSCT sur la pénibilité, l'amiante, les départs anticipés", dit le secrétaire CGT. Et dans les branches où cette approche n'aboutira pas, Mohammed Oussedik table sur une position commune des syndicats pour négocier au mieux un protocole préélectoral mais aussi l'organisation du futur CSE, avec notamment la question de l'information donnée à l'instance, et de son fonctionnement : "Par exemple, la question de ce qui sera confié à la commission santé-sécurité-conditions de travail est très importante car cette commission n'aura pas la possibilité d'agir en justice directement". 

La CFDT multiplie formations et débats

La CFDT a également commencé à préparer l'après-ordonnances. Comme le lui ont fait remarquer certains militants le 3 octobre dernier, la confédération n'a pas pesé autant qu'elle l'aurait souhaité lors de la concertation sur les ordonnances, ce que démontre d'ailleurs sa décision de saisir le Conseil d'Etat pour tenter de faire invalider la procédure imaginée par le gouvernement pour valider des propositions unilatérales des employeurs dans les TPE (**) . Dans le même temps, le syndicat a cherché à se relancer avec par exemple la récente journée où les militants étaient appelés à rencontrer les salariés dans les entreprises, où l'organisation est désormais la première force syndicale.

 Tous nos outils devront être prêts au 1er janvier

Car c'est bien dans les entreprises que va se jouer l'avenir de la représentation du personnel, là où les équipes syndicales devront être prêtes pour les échéances qui s'annoncent. La CFDT met les bouchées doubles pour préparer un grand nombre d'outils numériques et de rendez-vous afin de former ses militants, en priorité sur le CSE et la négociation du protocole préélectoral. "Un webséminaire est déjà programmé pour fin novembre sur ces sujets et tous les nouveaux outils devront être prêts au 1er janvier", nous explique Marylise Léon, en charge du dialogue social à la CFDT. La confédération, qui a déjà mené une trentaine de débats sur les ordonnances, va encore accélérer la cadence : la région Pays-de-Loire forme ainsi 90 accompagnateurs d'équipes d'élus; jusqu'en juin 2018, l'union régionale CFDT Ile-de-France va multiplier les formations et les débats lors de journées thématiques différentes. "Nous avons tiré la leçon de notre journée de rassemblement sur la loi Rebsamen qui était très dense", dit la secrétaire confédérale. 

Les experts s'activent aussi auprès des élus, à l'image de Secafi, qui a déjà réalisé plusieurs webséminaires comme nous l'explique Jean-Christophe Berthod : "Nous avons eu des questions portant par exemple sur les PV du futur CSE. Nous répondons, bien sûr, mais en expliquant qu'il ne faut pas maintenant se focaliser sur ce type d'éléments. Les élus doivent à notre sens commencer à préparer leur futur accord de dialogue social car c'est cette négociation qui devra fixer, avant même le protocole préelectoral, le cadre du futur dialogue social avec la question des instances et des établissements". Dans la foulée de ses matinées débats, Secafi propose ainsi aux élus une formation mais aussi un diagnostic sur l'impact des ordonnances sur les IRP de l'entreprise et enfin un accompagnement à la négociation de l'accord social.

Les équilibres sont remis en jeu

Il est encore trop tôt pour dire comment les choses vont tourner. "Nous en sommes encore au stade où nous montrons aux élus ce que donnerait l'application dans leur situation d'un CSE non négocié. Nous pointons ensuite tous les points qui peuvent être négociés. Mais c'est un énorme chantier : bien avant d'entrer en discussion pour le CSE, les équipes vont devoir tout mettre sur la table, de la question des établissements distincts au nombre d'élus en passant par les commissions", rapporte Claire Baillet, d'Alinea.

 Le chantier le plus important depuis 35 ans

Des discussions lors desquelles, dans un cadre où l'employeur a davantage la main que ce soit pour l'échéance ou le découpage des établissements distincts, de nombreux équilibres passés seront remis en jeu, qu'il s'agisse des IRP elles-mêmes ("Dans telle entreprise, les élus avaient accepté un grand CE unique à condition d'avoir 7 CHSCT. Que va-t-il se passer", illustre Claire Baillet) ou d'un accord de droit syndical. Les syndicats doivent donc aller vite, mais sans se louper tant ces enjeux sont décisifs pour l'avenir des représentants du personnel et du monde syndical. "Il nous faut totalement repenser la représentation collective dans l'entreprise, considère Marylise Léon. C'est un énorme chantier que nous avons devant nous, sans doute le plus important depuis 35 ans".

 

(*) Selon les psychologues, le deuil comprend, après le choc et le déni, les phases suivantes : douleur et culpabilité, colère, marchandage, dépression et douleur, reconstruction, acceptation. 

(**) et qui consiste à nommer "accord" le projet unilatéral d'un employeur soumis pour validation à l'approbation des salariés lors d'un référendum dont les modalités sont définies par le seul employeur.

 

► Tous les acteurs n'ont pas une lecture négative des ordonnances et de la fusion des instances représentatives, certains y voient même une opportunité. Voir notamment les interviews de David Malgrain, de Christophe Nguyen ou les points de vue de Martin Richer et Stéphane Roose.

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Bernard Domergue
Vous aimerez aussi