Assises de la protection de l’enfance : entre avancées et déni de réalité

Assises de la protection de l’enfance : entre avancées et déni de réalité

04.07.2018

Action sociale

Les 28 et 29 juin ont eu lieu les 11e Assises de la protection de l’enfance autour de la thématique primordiale des besoins de l’enfant. Mais si certains sujets, délicats et contemporains, se fraient à juste titre une place dans le travail social, celui de la dégradation des conditions de travail a, littéralement parlant, été laissé à la porte de la cité des congrès de Nantes.

Coopération entre institutions, expérimentation, innovation. Voilà les termes forts qui ont ponctué les 11e Assises nationales de la protection de l’enfance, organisées les 28 et 29 juin à Nantes par le Journal des acteurs sociaux et l'Observatoire national de l'action sociale (Odas). Des concepts qui nécessitent de la volonté, de la pugnacité, mais aussi des moyens adéquats et une forme de sérénité au travail. Sérénité visiblement ébranlée par la sonnette d’alarme que tirent les professionnels du secteur (voir encadré).

Malgré cette morosité teintée d’inquiétude, les acteurs de la protection de l’enfance continuent de chercher, renouveler et transcender leur métier dans une société en perpétuel mouvement, entre problématiques contemporaines et défis numériques. C’est ainsi qu’au fil des deux journées, plutôt lisses et consensuelles, ont émergé de belles batailles et de nouveaux modes d’accompagnement.

S’adapter aux bouleversements sociétaux

En témoigne le discours du psychiatre Serge Hefez, qui a évoqué deux questionnements très actuels. D’abord, l’accompagnement grandissant des adolescents « en transition ». Garçon-fille, fille-garçon, le thérapeute observe que de plus en plus d’adolescents restent dans ces « états intermédiaires ». Et dit lui-même parfois oublier le « sens » de cette transition pour finalement n’avoir envie que d’écouter l’humain en face de lui. Une attention bienveillante et apodictique qui a obligé le praticien à « inventer une clinique pour accueillir au mieux ces adolescents ».

De manière plus globale, Irène Théry, sociologue spécialisée dans le droit de la famille, rappelle ainsi « l’ébranlement anthropologique que représente le changement de complémentarité du sexe ». Autant de bouleversements auxquels les acteurs du monde social doivent s’adapter.

Penser l’humain d’abord

Ainsi se travaille aujourd’hui, sur le fil, le retour des enfants de Syrie. Une quinzaine de jeunes reçus récemment par Serge Hefez, qui repose clairement les termes d’un débat sensible : « ces enfants ne sont pas des bombes à retardement mais des enfants polytraumatisés ». Avec ce positionnement limpide, le psychiatre remet l’humain au cœur de la pratique.

Tout comme le témoignage de Thérèse Bonfils, assistante familiale qui s’est battue pour et avec Manon, 17 ans, jeune fille dont elle a la charge depuis son plus jeune âge. Applaudie par une partie de l’auditorium pour son combat, Th��rèse Bonfils raconte l’aberration de la retraite à 65 ans [1] pour les assistants familiaux, ce qui aurait donc obligé à « déplacer Manon ailleurs ». Les larmes aux yeux, l’adolescente expose « la manière très violente » dont elle a vécu cet épisode, incompréhensible pour elle qui ne voyait pas pourquoi elle « devait partir de chez elle ». Thérèse a pris une avocate, est remontée jusqu’à la direction de l’ASE, a été mal reçue, est donc partie travailler pour un autre employeur afin de pouvoir continuer à vivre avec sa fille de cœur.

La nécessaire transition numérique

Repenser les pratiques et l’accompagnement était aussi l’objectif de réflexion d'un atelier du vendredi matin, intitulé « technologies numériques-réseaux sociaux : apprendre à faire avec ces "nouvelles familles"». Vincent Meyer, sociologue, avoue « un grand retard du champ du travail social dans cette transition digitale ». Pourtant, le travail social doit absolument penser ces nouvelles technologies, comme autant d’outils pouvant l’aider dans ses accompagnements. A ce titre, Vincent Meyer prend l’exemple des réfugiés syriens, qui demandent en arrivant à pouvoir utiliser Facebook afin de rassurer leurs familles.

Cette « mise en données » de notre quotidien doit être prise en compte par le secteur social, qui doit « travailler et développer la médiation numérique ». Ainsi, Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), appelle les professionnels à cesser de sentir « illégitime » face à l’outil numérique et à l’enjeu éducatif qu’il représente. Car, poursuit-il, si l’adolescent est « au début content de cette sanctuarisation », il demeure un adolescent qui viendra par la suite chercher des réponses auprès de l’adulte.

Repenser le réel

Il faut donc s’appliquer à « stopper cette dichotomie entre le réel et le virtuel » et reconsidérer les outils numériques comme de simples outils, dont il faut apprendre à se servir. « Nous sommes tous des éternels apprentis dans ce domaine » rassure Vincent Meyer. Si les outils numériques doivent entrer dans ces métiers, il convient de se demander pourquoi et comment. Didier Dubasque, membre du Haut conseil du travail social (HCTS) explique ainsi qu’un groupe de travail traite des « usages du numérique » et réfléchit à un texte d’orientation ainsi qu’un document intitulé « quelles articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique », qui devait être présenté le 3 juillet.

Oser l’expérimentation

Sur le terrain, les acteurs n’attendent cependant pas les décisions des instances, et se retroussent les manches. Ainsi, à l’Agence départementale de la prévention spécialisée (ADPS) de Nantes, la question numérique n’est pas reléguée aux « connaisseurs » mais bien institutionnelle. Un groupe d’éducateurs a ouvert une page Facebook, « en complémentarité du travail de rue ». Conservant les règles d’éthique de la prévention spécialisée, seuls les jeunes sont acceptés « en amis ». Les éducateurs, eux, utilisent le mur pour publier leurs activités, les ateliers, les offres d’emplois. Et maintiennent parfois des liens avec le jeune par messagerie privée, voire créent un contact avec des jeunes qui ne fréquentent pas l’espace public.

Une première approche, qui ne prend pas forcément en compte la question épineuse de la protection des données, mais offre aux jeunes et aux professionnels un nouvel espace de relation éducative, apprivoisé pour les uns, encore à dompter pour les autres.

 

Colère et inquiétude des travailleurs sociaux

A l’appel de plusieurs collectifs et syndicats [1], les travailleurs sociaux étaient appelés à manifester leur mécontentement (comme l'an dernier à Paris) devant la cité des congrès de Nantes lors de la première journée des Assises.

2 000 congressistes à l’intérieur, et quelques centaines de travailleurs sociaux grévistes à l’extérieur, dénonçant le gouffre des appels à projets, les déficits budgétaires, la mise en danger des enfants par des attentes interminables ou la suffocation de la pédopsychiatrie, la dégradation générale des conditions de travail.

Les organisateurs des Assises avaient accepté une délégation de quatre porte-paroles, afin d’exposer leurs inquiétudes à la salle entière. Sauf que, à l’heure dite, les grévistes espéraient qu’un collectif plus important puisse être reçu et entendu. Réponse négative.

S'en est suivi un face-à-face tendu. Les manifestants ont voulu pénétrer dans le bâtiment pour faire entendre leur voix. Les forces de l’ordre sont intervenues, empêchant intervenants retardataires et congressistes de franchir l’entrée. La situation va s’enliser plus de deux heures. Une compagnie de CRS va même remplacer la police, se déployant le long des entrées de la cité des congrès. La négociation pour faire rentrer un collectif plus important ne donnera rien et la colère des travailleurs sociaux n'aura finalement pas pu être exposée à la salle.

[1] Sud solidaires, CGT, CFDT, collectif Protection Enfance 44...

 

[1] L’âge de la retraite des assistants familiaux diffèrent selon le privé et le public. Pour le conseil départemental, l’âge de retraite obligatoire est 67 ans. Pour les associations, cela peut aller au-delà de 70 ans avec l’accord de l’employeur.

Action sociale

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Elsa Gambin
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