Assurance chômage : un accord à prendre ou à laisser ?

Assurance chômage : un accord à prendre ou à laisser ?

23.02.2018

Représentants du personnel

Réunis hier pour une ultime séance de négociation, organisations syndicales et patronales ont trouvé un accord sur l'assurance chômage. Mais la CFDT, FO et la CFTC conditionnent leur signature à l'engagement par l'Etat de respecter le texte et de mettre en oeuvre des sanctions si les branches ne font rien pour limiter les contrats courts.

Pas de deuxième nuit blanche au Medef, hier à Paris, après celle de la veille sur la formation (lire notre article sur l'accord formation dans cette édition). Les négociateurs syndicaux et patronaux ont trouvé un accord en début de soirée.

Le projet soumis à signature entérine quelques évolutions par rapport à la version discutée le 15 février, les points traités étant toujours le droit au chômage en cas de démission pour les salariés et les indépendants ainsi que la lutte contre la précarité, trois points dont la discussion a été imposée par l'Exécutif, Emmanuel Macron les ayant évoqués dans son programme présidentiel. Reste à savoir si les dispositions négociées satisferont le gouvernement. La veille, la ministre du Travail avait certes salué les progrès apportés par la négociation formation. Mais c'était aussitôt pour déplorer que l'accord n'aille pas assez loin pour revoir le système d'ensemble. Et Muriel Pénicaud d'annoncer dans la foulée qu'elle annoncera mardi le contenu de sa réforme qui constituera, promet-elle, "un big bang" du système de formation professionnelle.

Les syndicats haussent le ton

En ira-t-il de même avec l'assurance chômage ? Hier soir, les partenaires sociaux échaudés par le ton de la ministre après l'accord formation ont montré les dents, surtout du côté syndical. "Sortons de ce marché de dupes où le gouvernement nous dit soit "vous êtes nuls si vous ne signez pas" soit, lorsqu'on signe, "on ne reprend que ce qu'on veut". La CFDT ne signera ce texte que si l'Etat s'engage à reprendre l'ensemble de cet accord d'une part et d'autre par s'il s'engage à mettre en oeuvre les sanctions si les branches ne font rien sur les contrats courts", a prévenu Véronique Descacq, la CFDT tenant lundi son bureau confédéral.

"Ce texte crée un nouveau droit pour les salariés démissionnaires mais sinon il faut faire confiance aux branches", ajoute le négociateur FO en qualifiant le texte "d'accord équilibré a minima". Comme la CFDT, le négociateur FO appelle le gouvernement à respecter l'accord "et la démocratie sociale" en "reprenant tel quel ce texte dans le projet de loi". FO tient aujourd'hui son bureau confédéral pour examiner les deux accords. Même approche de la CFTC : "On ne va pas s'embêter à signer un accord que le gouvernement mettrait à la poubelle. Avant de signer, nous voulons savoir ce que le gouvernement veut faire de ce texte", a dit Eric Courpotin.

De son côté, la CGT n'a pas caché son "appréciation globalement négative" du texte, selon les mots de Denis Gravouil. "Nous déciderons le 5 mars si nous signons les accords formation et emploi", a annoncé Jean-François Foucard (CFE-CGC) qui a néanmoins estimé que la partie sur les démissionnaires "peut être utile pour les transitions professionnelles". Pour le patronat, Alexandre Saubot (Medef) s'est engagé à mettre en oeuvre un accord jugé "équilibré", sans conditionner sa signature au respect par l'Etat du texte.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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La question des démissionnaires

Voyons l'accord chômage point par point. L'élargissement de l'indemnisation chômage aux salariés démissionnaires passe toujours par la mise en place d'une "allocation d'aide au retour à l'emploi projet" (Arep). Cette allocation serait versée aux salariés, sans condition de qualification initiale, ayant un projet d'évolution professionnelle réel et sérieux. Ce projet devra être attesté, avant la démission, par une commission paritaire régionale compétente, "indépendante tant de l'opération du conseil en évolution professionnelle (CEP) que de l'opérateur de l'indemnisation". En outre, le salarié devra, pour bénéficier de ce nouveau droit, avoir été affilié à l'assurance chômage depuis 7 ans, mais pas forcément chez le même employeur comme c'était prévu en début de séance. Le salarié voyant sa demande refusée pourra exercer un droit de recours amiable auprès de l'instance paritaire.

Le dispositif conçu s'avère assez restrictif : le texte précise que les partenaires sociaux se réuniront tous les 12 mois pour apprécier les effets de cette mesure et "discuter des ajustements potentiels à adopter, notamment si le surcoût annuel généré par ce dispositif s'écarte de la borne inférieure des estimations établies par l'Unédic". Ce nouveau droit pourrait concerner entre 14 000 et 23 000 salariés chaque année pour un coût évalué entre 180 et 330 millions d'euros pour le régime, précise l'annexe de l'accord.

De façon plus évasive, il est aussi question (dans l'article 6 de l'accord) de travailler "à une amélioration de l'articulation des règles de l'assurance chômage, notamment concernant l'analyse de la condition de chômage involontaire en cas de rupture de période d'essai". Il s'agirait ici de traiter une question très technique concernant les périodes d'essai de plus de 3 mois. Un point positif pour Denis Gravouil, de la CGT, et pour Jean-François Foucard, de la CFE-CGC : "De nombreux cadres ont des carences qui doivent être traitées".

Entrepreneurs : à l'Etat d'agir s'il le souhaite !

Sur l'ouverture d'un droit aux indemnités chômage pour les entrepreneurs, les partenaires sociaux bottent toujours en touche. Ils renvoient le bébé à l'Etat, en lui suggérant "un régime public financé par l'imp��t" pour générer une prestation spécifique qui pourrait être conditionnée à un fait déclencheur tel qu'une liquidation judiciaire. Quant au sujet des travailleurs des plate-formes numériques, qui pose la question de l'indépendance réelle de leur travail, il est toujours question d'un groupe de travail chargé d'appréhender "toutes les dimensions de ces nouvelles formes d'emploi". Ce groupe devrait rendre ses conclusions fin 2018. "Il faut se demander de quelle protection sociale ces travailleurs ont besoin", a résumé Véronique Descacq (CFDT). "Nos propositions ont été entendues", s'est félicité Eric Courpotin (CFTC).

Toutes les branches devront discuter des contrats courts

Enfin, au sujet de la lutte contre l'emploi précaire (c'est à dire de l'abus par les employeurs de contrats de travail d'un mois ou de moins d'un mois) qui devient dans l'intitulé du projet d'accord "des dispositions relatives à l'emploi durable", le texte prévoit que toutes les branches devront ouvrir des discussions sur le sujet. Jusqu'à présent, le patronat souhaitait limiter ces discussions à 4 branches. "Nous avons tenu compte des remarques des organisations syndicales. Nous pensons que c'est dans les branches et au plus près du terrain que nous pourrons traiter ces problèmes. Cela suppose aussi que l'ensemble des partenaires sociaux prennent leurs responsabilités dans les branches", explique Alexandre Saubot (Medef).

Toutes les branches, donc, devront établiront "un diagnostic quantitatif et qualitatif des situations de recours aux contrats courts". Puis, selon le bilan établi, elles devront traiter les points suivants :

  • mesures permettant de modérer le recours aux contrats courts;
  • mesures relatives à l'organisation du travail et de la gestion de l'emploi;
  • moyens d'accompagner le développement des compétences des salariés;
  • moyens de favoriser l'accès à l'emploi durable pour les populations les plus éloignées de l'emploi";
  • mesures relatives aux CDD et aux contrats temporaires.

Un bilan d'étape de ces négociations serait fait au niveau interprofessionnel fin juillet 2018, puis un relevé de conclusions de ces négociations dressé avant fin 2018.

Autre nouveauté : le texte rappelle que, si ces mesures s'avèrent insuffisantes, le gouvernement prendrait ses responsabilités, par exemple via la mise en oeuvre d'un système de bonus-malus sur les cotisations patronales d'assurance chômage". Une référence directe à la menace de l'Exécutif d'imposer aux entreprises un bonus malus afin de dissuader l'excès de contrats courts.

"L'élaboration d'un diagnostic par les branches est un élément positif. Mais seront-ils suivis de véritables actions ? Et que décidera l'Etat ?" s'interroge Jean-François Foucard (CFE-CGC). "On ne voyait pas l'utilité d'embêter toutes les branches, y compris celles qui ne sont pas concernées par les contrats courts. On ne peut qu'espérer que l'éventuelle menace de bonus malus si les branches n'ouvrent pas de négociation soit réelle et que le gouvernement ira jusqu'au bout. Nous avons besoin de le savoir avant de signer", a prévenu Eric Courpotin (CFTC).

Les partenaires sociaux défendent l'autonomie du paritarisme

Sur les deux thèmes que le gouvernement veut traiter lui-même (contrôle des demandeurs d'emploi et sanctions, gouvernance du régime), les partenaires sociaux font assaut de prudence et de méfiance.

Sur le premier point, le texte dit que les partenaires sociaux "entendent poursuivre l'approche personnalisée retenue jusqu'à présent en matière d'accompagnement". Véronique Descacq (CFDT) a refusé par avance tout affaiblissement  de l'indemnisation "et toute baisse de droits" pour les demandeurs d'emplois.

Sur le second plan, patronat et syndicats défendent leur gestion du régime en expliquant que la garantie de l'Etat sur la dette du régime n'aura pas besoin d'être activée. Sous entendu : ce n'est pas un moyen de pression dont peut jouer le gouvernement. Ils ajoutent que toute réforme de la gouvernance devrait se traduire par la recherche "d'une meilleure articulation entre les politiques relevant de la solidarité et l'assurance chômage", la négociation paritaire devant "définir en toute autonomie les règles d'indemnisation et le niveau de ressources nécessaires". Est avancée l'idée d'une "conférence pour l'emploi réunissant Etat et organisations de salariés et d'employeurs représentatifs au niveau interprofessionnel". Cette conférence "serait l'occasion d'échanger sur le fonctionnement du marché du travail, les besoins de sécurisation des parcours des salariés, l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des entreprises, et de fixer des objectifs communs au régime de solidarité et au régime assurantiel, dans une logique d'articulation améliorée".

"Nous voulons discuter d'égal à égal avec l'Etat, et non pas en répondant à des convocations. Le gouvernement, qui n'a pas respecté les acteurs en commentant un texte sur la formation qui n'était même pas encore lu par nos responsables, ne nous a même pas reçus sur la question de la gouvernance", a grincé Jean-François Foucard (CFE-CGC). "Que veut faire le gouvernement sur la gouvernance ? Nous ne savons pas", renchérit Eric Courpotin (CFTC).

Réel bras de fer ou baroud d'honneur syndical ? Réponse dans quelques jours...

Bernard Domergue
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