Au Havre, les greffiers des tribunaux de commerce ont «le vent en poupe»

Au Havre, les greffiers des tribunaux de commerce ont «le vent en poupe»

15.10.2018

Gestion d'entreprise

Les greffiers des tribunaux de commerce auraient-ils la côte ? Leur 130e congrès national, qui s’est tenu jeudi et vendredi au Havre, a démontré le rôle crucial que les greffes jouent en termes de police économique nationale. Un rôle qui serait amené à se développer. Les directeurs de Tracfin et de l’AFA avaient fait le déplacement. Et le Premier ministre en personne, leur renouvelait « sa confiance ».

Le choix du thème du congrès annuel de la profession - « nouveaux enjeux de la police économique » - n’était pas le fruit du hasard. Son objectif était probablement de rendre compte de l’interaction grandissante entre les greffes, en qualité d’informateurs ou même d’agents de renseignement, et les directions interministérielles ou agences administratives luttant contre la fraude, le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme ou encore la corruption. La seconde partie de l’année 2018 révélait particulièrement ce « terrain » d’investigations communes et l’appétence du CNGTC à œuvrer à l’autorité économique.

En 2018, la profession n’a pas été engloutie par le « raz de marrée du registre national des bénéficiaires effectifs » (RBE), tel que l’a qualifié Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). Bien au contraire. Elle a relevé « le défi » de mettre en place « en un temps record », ce fichier, notamment utile à Tracfin dans ses missions de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Cent cas ont pu y être répertoriés, alors que le dernier décret installant le RBE n’a pas 6 mois.

En mai dernier, les greffiers se sont également attelés à créer le fichier national des interdits de gérer (FNIG), un outil précieux pour la direction nationale de la lutte contre la fraude (DNLF), dont la directrice Jeanne-Marie Prost, était présente au congrès. Y sont recensées les condamnations prononcées par les tribunaux civils, pénaux et commerciaux en interdiction de gérer ou faillites personnelles. Le fichier permet aussi de refuser une inscription au registre national du commerce et de sociétés (RNCS). Il compte déjà plus de 8 000 décisions.

Les greffiers, bientôt au service du renseignement de Tracfin ?

L’uniforme de policier - économique - du greffier du tribunal de commerce pourrait prendre du galon. Car Bruno Dalles, le directeur de Tracfin, a invité la profession à davantage communiquer avec ses services. Il souhaite que les greffiers rédigent des « informations de soupçons » de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, via le portail informatique « Ermes » développé par sa « start-up administrative ». « Vous allez recevoir des documents décrivant comment vous inscrire à Ermes et comment rédiger une information de soupçon », précisait Bruno Dalles. Avant de poursuivre :

« Nous sommes au début d’une relation d’affaires qui va, pas à pas, devenir un partenariat ».

Car le directeur de Tracfin rêve que les greffes des tribunaux de commerces soient assujettis à l’obligation de réaliser des « déclarations de soupçons » au même titre que les établissements bancaires, par exemple. Pour les rallier à sa cause, il en a « fait l’article » à la profession. L’individu qui réalise une déclaration de soupçon bénéficie d’une protection disciplinaire, administrative et pénale, contre d’éventuelles poursuites. Et Tracfin protège sa source : « on blanchit l’origine de l’information » reçue, lançait Bruno Dalles.

Les sensibiliser à la lutte anticorruption

Et en matière d’anticorruption, comment aider « l’ornithorynque administratif » qu’est l’AFA (Agence française anticorruption ? », mise en place depuis 2017. En mai dernier, l’Agence, la CNGTC et Infogreffe ont signé des conventions de partenariats. Elles permettent aux agents de l’AFA d’avoir accès à la «��mine d’or » d’informations que délivrent les greffiers et ainsi de pouvoir étoffer leurs contrôles.

Le directeur de l’Agence, Charles Duchaine a fait une description détaillée de ses services à la profession. Et il leur a notamment indiqué qu’à ce jour « 45 contrôles » avaient été réalisés sur les programmes de conformité des acteurs y étant assujettis depuis la loi Sapin II (15 auprès d’acteurs publics et 30 auprès d’entreprises). Résultats : « pratiquement personnes n’est à jour de ses obligations. Parfois des programmes sont bien mis en place » mais ils visent davantage « le blanchiment ou la lutte contre le financement du terrorisme ».

Pour l’instant, l’Agence a adressé seulement 4 avertissements à des opérateurs contrôlés. Mais les saisines de la commission des sanctions devraient venir. « Il fallait laisser le temps aux entreprises de mettre en œuvre ces dispositions » [l’article 17 de la loi Sapin II, ndrl]. A l’avenir « notre politique sera sans doute un peu plus sévère, notamment en cas d’attitude réfractaire » de la part des représentants de l’entreprise, ou de la découverte d’un délit à l’occasion des contrôles de l’Agence, pointait Charles Duchaine. Son rôle de « flic » est aussi d’amener les entreprises françaises « à se confesser » en cas de corruption, afin qu’elles négocient avec le parquet national financier une convention judiciaire d’intérêt public et qu’elles paient une amende au fisc français.

Le Premier Ministre est venu les préparer à la loi Pacte

Pour la première fois, un Premier ministre s’est rendu au congrès des greffiers des tribunaux de commerce. Si Édouard Philippe faisait, certes, le déplacement dans sa ville du Havre, il souhaitait s’adresser directement aux greffiers qui auront à s’adapter dans les trois prochaines années, une fois la loi Pacte adoptée. Car elle conduira à la mise en place d’un guichet unique ouvert pour réaliser les formalités déclaration et de vie des entreprises. Ainsi qu’à l’émergence d’un registre général d’informations des sociétés qui se substituera au RNCS, au répertoire des métiers et à celui des actifs agricoles. Le guichet et le registre seront déployés progressivement à compter du 1er janvier 2021. Et ils impacteront, la plateforme Infogreffe - sur laquelle près de 380 000 formalités sont réalisées chaque année par les entreprises - et le RNCS, renseigné par les greffiers - auquel 5 000 000 d’entreprises sont immatriculées.

Mais Édouard Philippe s’est montré rassurant : « vous avez développé un outil [Infogreffe, ndrl] très performant qui permet aux entreprises d’effectuer leurs formalités en un temps qui correspond à celui des affaires ».

Et « le choix de l’opérateur en charge du registre général et des formalités (…), un choix crucial », ne serait pas encore arrêté. Certains greffiers espèrent secrètement qu’Infogreffe remportera la mise face au service « guichet-entreprises.fr » qui inscrit moins de dossiers annuels à son actif. C’est pourtant celui-ci qui a été désigné par le gouvernement dans l’étude d’impact sur le projet de loi Pacte. Mais s’il on en croit le Premier Ministre la décision n’aurait pas encore été arrêtée. Dans les prochains jours, une mission interministérielle, placée auprès de Bercy et de la Chancellerie, sera chargée de piloter et de mettre en œuvre la plateforme et le registre général.

Alors que « nous lançons ce vaste chantier du registre général, je sais que nous pouvons compter sur votre entière collaboration pour que cette réforme qui est essentielle pour les entreprises soit menée dans les meilleurs délais possibles », concluait Édouard Philippe. Quelques heures après son intervention, Sophie Jonval lui renouvelait son engagement : « Nous saurons nous positionner comme acteur de ce projet ambitieux quelles que soient les difficultés techniques à surmonter. Car encore une fois, les greffiers semblent prêts à « relever le défi ».

Sophie Bridier

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