Conditions de travail à la Poste : des experts CHSCT lancent une alerte publique, le SEA-CHSCT réagit

Conditions de travail à la Poste : des experts CHSCT lancent une alerte publique, le SEA-CHSCT réagit

20.10.2016

Représentants du personnel

Un expert CHSCT doit-il rendre publique une situation qu'il juge alarmante pour la santé des salariés ? C'est la question que pose la lettre adressée par huit cabinets qui travaillent pour les CHSCT de la Poste au PDG de l'entreprise. Le syndicat des experts agréés, le SEA-CHSCT, a pris ses distances avec cette initiative justifiée par les cabinets par "la situation préoccupante des agents".

Alors que plusieurs suicides de salariés de la Poste ont eu lieu ces derniers mois, huit cabinets d'expertise auprès des CHSCT de la Poste (*) ont écrit à la direction de l'entreprise une lettre rendue publique pour l'alerter sur "la dégradation des conditions de travail et le mépris du dialogue social manifesté dans les différents secteurs et aux différentes échelles du groupe" (lire le document entier en pièce jointe).  Dans ce courrier daté du 13 octobre, les huit cabinets estiment que les salariés de la Poste, "du courrier au colis, du réseau à la banque", "subissent des réorganisations permanentes qui réduisent chaque fois les effectifs, et soumettent les agents qui restent à des cadences accélérées".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
 Les agents subissent des réorganisations permanentes avec des cadences accélérées

Les experts fustigent une organisation du travail basée "sur des modélisations statistiques, comportant par ailleurs de nombreux biais, qui s'imposent en dépit de la prise en compte du travail réel et annihilent toute possibilité de discussion sur le travail et d'amélioration sur ses conditions". Les huit cabinets évoquent aussi une "entrave à l'action des CHSCT" se manifestant via "la rétention d'informations", "par la mise en oeuvre de projets importants (..) sans solliciter leurs avis", "par le refus de répondre aux questions des élus dans les CHSCT", "par un combat systématique contre les expertises, selon une procédure codifiée et diffusée à toutes les directions". Les experts concèdent que leur démarche "d'alerte publique" est "inhabituelle" mais ils la justifient par la "situation préoccupante du fait de la rapide dégradation de l'état de santé des agents". Ils concluent leur courrier en notant que la direction de la Poste "ne pourra pas dire qu'elle n'a pas été prévenue", notamment "au regard de l'obligation de sécurité de l'employeur (..) et des principes généraux de prévention".

L'expression publique appartient aux IRP, pas aux experts du CHSCT

Ce courrier a suscité une réaction du syndicat SEA-CHSCT, qui regroupe des experts agréés CHSCT, datée du 18 octobre. Ce syndicat "considère qu'il n'appartient pas aux experts agréés de s'exprimer et encore moins de prendre position publiquement sur la situation d'une entreprise et de ses salariés". Car pour le SEA-CHSCT, l'exercice professionnel des experts "est soumis au secret professionnel". Le rôle des experts, poursuit le SEA-CHSCT, "est de produire des analyses rigoureuses, de faire oeuvre de pédagogie, de transmettre des compétences auprès des CHSCT (..) et de renforcer le dialogue social sur les questions de santé au travail et de prévention", tandis que "l'expression publique sur la situation d'une entreprise et de ses salariés/agents appartient aux instances représentatives du personnel -dont les CHSCT- ainsi qu'aux organisations syndicales qui les animent".

Des négociation sur les conditions de travail s'ouvrent le 26 octobre

Les négociations qui s'ouvrent le 26 octobre prochain à la Poste sur les conditions de travail des agents du courrier se tiendront donc dans un climat tendu (**). Gaëlle Diffier, de SUD-PTT, ne se fait d'ores et déjà "pas d'illusions" sur ces discussions au vu, dit-elle, des premières réactions des dirigeants à la lettre des experts CHSCT. La syndicaliste fait ici allusion aux interventions de deux DRH qui, aux yeux de SUD, "s'embourbent dans le déni" en développant "une même rhétorique sur les inévitables dommages collatéraux". Au micro de RTL, Line Exbrayat, directrice des ressources humaines de la branche courrier de la Poste, a vanté "un dialogue social très nourri" avec "748 CHSCT qui siègent partout sur le territoire". "Nous pouvons avoir à gérer des surcroîts d'activités, des aléas, reconnaît la DRH, mais dans ces situations nous prenons des dispositions de renfort (..) Nous avons ces deux dernières années triplé le volume de formation des facteurs pour les mettre en condition d'exercer leur nouveau métier avec professionnalisme".

La Poste n'est pas France Télécom

Dans une interview au Monde, la DRH de la Poste, Sylvie François, réfute pour sa part toute comparaison avec la situation de France Telecom lors de la crise des suicides : "Dans une entreprises de 260 000 postiers, il peut y avoir des situations humaines et des relations de travail difficiles. Ma demande permanente est de corriger, tirer les conséquences, analyser avec les partenaires sociaux et éventuellement sanctionner. Tout drame est un drame de trop mais depuis 5 ans, seuls trois suicides ont été des accidents du travail. Le fait que, dans une très grande entreprise, il y ait des situations humaines difficiles ne peut justifier qu'on fasse un amalgame ave une politique d'entreprise. Nous sommes une entreprise humaine et responsable. Il n'y a pas de mobilité forcée, par de formation de manageurs de façon inhumaine. La Poste n'est pas France Télécom".

 

(*) Il s'agit des cabinets Aptéis, Aristée, Cedaet, Eretra, Ergonomia, Indigo Ergonomie, Social Conseil, Odyssée.

(**) Cette négociation, qui s'ouvrira en présence de la directrice générale adjointe en charge des RH, Sylvie François, doit, selon la direction de la Poste, porter sur "la gestion du temps de travail des facteurs, l'équilibrage des rythmes et des charges de travail, les évolutions des organisations de travail et les modalités d'exercice de leurs activités (..), l'évolution et l'amélioration de leurs conditions de travail, les évolutions de leur travail et de leur métier, la valorisation et l'accompagnement de ces évolutions", etc. La direction estime dans un communiqué que l'accord majoritaire de janvier 2015 sur "un avenir pour chaque postier" a posé "des engagements et des bases sans précédents pour accompagner chacun des postiers dans la transformation de l'entreprise".

Bernard Domergue
Vous aimerez aussi