Consentement à un don d'organe entre vifs : le "oui" devant le juge mais le "non" par tous moyens

02.11.2017

Droit public

La cour administrative d'appel de Nantes a dit un CHU responsable envers un patient pour avoir pratiqué sur lui un prélèvement d'organe malgré la rétractation du consentement de ce dernier.

C’est un cas rare de responsabilité médicale qu’illustre l’arrêt rapporté de la cour administrative d’appel de Nantes du 29 septembre 2017, et qui suffit à lui donner un plein intérêt  même si l’essentiel de la décision porte sur l’évaluation des divers chefs de préjudices invoqués par le patient victime et n’aboutit qu’à une indemnisation somme toute dérisoire.
 
En l’espèce, un homme est hospitalisé dans un CHU pour y subir une opération chirurgicale consistant à prélever son rein gauche en vue d’une greffe au bénéfice de son frère, atteint d’une insuffisance rénale. Néanmoins, l’intéressé, dans la nuit précédant cette intervention, manifeste son intention de quitter l’établissement hospitalier et de renoncer à ce don d’organe. L’intervention a quand même lieu. Depuis celle-ci, le patient prélevé présente des douleurs abdominales et thoraco-lombaires, accompagnées de crises de type neurologique, ainsi qu’une symptomatologie anxio-dépressive réactionnelle, et demande réparation de tous les préjudices liés à cette intervention, extrapatrimoniaux comme patrimoniaux.
 
Il obtient gain de cause, en première instance comme en appel, non point sur l’indemnisation demandée ; celle obtenue étant très en-deçà de celle espérée, mais sur le principe même de la responsabilité du CHU. Celui-ci n’a d’ailleurs jamais contesté sa responsabilité pour avoir omis de vérifier le maintien du consentement du patient à l’intervention chirurgicale alors que ce dernier avait manifesté sa volonté de se rétracter et pour ne pas avoir informé ce dernier sur la technique opératoire retenue. Les juges ne pouvaient guère dans ces conditions faire abstraction de telles fautes et ne pouvaient qu’admettre le principe d’une réparation des préjudices subis par le patient qui en étaient la conséquence directe.
 
Cet arrêt nantais donne l’occasion de rappeler au moins deux choses à propos du consentement au don d’organe entre vifs auxquelles les praticiens doivent accorder la plus grande importance.
Expression initiale du consentement au don d’organe
Elle nécessite le respect d’un formalisme strict justifié, selon le législateur, par la gravité et les risques de l’intervention pour le donneur. Le code de la santé publique impose à ce titre un consentement écrit exprimé devant le président du tribunal de grande instance territorialement compétent, en principe celui dans le ressort duquel le donneur demeure, ou devant le magistrat désigné par le président de ce tribunal (C. santé publ., art. L. 1231-1 et R. 1231-2). Ce magistrat a pour mission de s’assurer  que le consentement est libre et éclairé et que le don est conforme aux conditions légales, notamment à celles déterminant la finalité du prélèvement et le cercle admis des donneurs et receveurs.
Préalablement, et le cas réservé d’une urgence vitale, le donneur aura dû être informé par un comité d'experts sur les risques encourus, sur les conséquences prévisibles d'ordre physique et psychologique du prélèvement, sur les répercussions éventuelles de ce prélèvement sur sa vie personnelle, familiale et professionnelle. L’information porte également sur les résultats qui peuvent être attendus de la greffe pour le receveur. Le comité d'experts compétent procède à l'audition du donneur et s'assure que ce dernier a mesuré les risques et les conséquences du prélèvement au vu de l'information qui lui a été délivrée (C. santé publ., art. R. 1231-1-1).
 
A noter que le recueil du consentement du donneur donne lieu à la rédaction d’un acte signé par celui-ci et le magistrat compétent. La minute de l’acte (l’original) est conservée au greffe du tribunal. Une copie en est adressée au donneur et au médecin responsable du service, du département ou de la structure de soins de l’établissement de santé dans lequel le prélèvement est envisagé, qui la transmet au directeur de l’établissement (C. santé publ., art. R. 1231-3).
 
Dans l’affaire rapportée, il est permis de penser que ce processus, certes lourd mais justifié par la gravité de l’intervention, a bien été respecté, même si l’on peut s’interroger sur l’étendue réelle de l’information délivrée au patient compte tenu de l’aveu du CHU d’un défaut d’information sur la technique opératoire retenue.
Rétractation du consentement au don d’organe
La rétractation peut intervenir à tout moment et n’est assujettie à aucune forme. A ce sujet, la loi est très claire et nul ne peut l’ignorer : « Le consentement est révocable sans forme et à tout moment » (C. santé publ., art. L. 1231-1). Il en résulte que jusqu’au prélèvement effectif, le consentement exprimé n’oblige en rien le donneur et les praticiens doivent en avoir bien conscience. Toute autre solution serait contraire à la liberté du consentement. La règle n’est au demeurant pas propre aux seuls dons d’organes entre vifs. Elle est de portée générale, la loi n’en faisant au cas considéré qu’une application particulière. Le consentement à un acte médical ou chirurgical ne peut lier définitivement un patient jusqu’à la réalisation de l’intervention : ce n’est qu’un assentiment qu’il doit pouvoir retirer à tout moment et librement et non une obligation de type contractuel susceptible de contrainte. Enfermer la faculté de rétractation dans un quelconque formalisme pourrait empêcher l’exercice jusqu’au dernier moment d’une liberté fondamentale et porterait atteinte au principe même du respect dû au corps humain et à la personne.
Dans l’affaire rapportée, et de l’aveu même du CHU, la volonté du patient de se rétracter, exprimée la nuit précédant l’intervention, était connue de l’équipe médicale. On ne peut donc que s’étonner de la réalisation d’une intervention aussi grave dans ces conditions, sauf peut-être à en rechercher l’explication dans les préparatifs commencés d’une intervention conçue dans l’intérêt du receveur ou la pression psychologique probablement ressentie par le patient prélevé qui, en l’occurrence, était son frère.
 
Quoi qu’il en soit, d’un point de vue juridique, devant une volonté de rétractation d’un donneur d’organe vivant, l’équipe médicale doit s’incliner et reporter l’intervention si un temps de réflexion supplémentaire est nécessaire, voire l’annuler. Tout au plus pourrait-on conseiller de faire signer au donneur qui n’en est plus un, à des fins purement probatoires, un formulaire de rétractation, afin de prévenir le risque d’une éventuelle recherche de responsabilité de l’établissement vis-à-vis du receveur dont les espérances seraient évidemment déçues.
Reste à rappeler qu’au-delà d’une responsabilité de l’établissement hospitalier à des fins d’indemnisation, des sanctions pénales pourraient aussi être encourues. La loi punit en effet pénalement le non-respect des règles relatives au consentement prévues par l’article L. 1231-1 : la responsabilité pénale des personnes physiques (C. pén., art. 511-3 ; C. santé publ., art. L. 1272-2) comme des personnes morales (C. pén., art. 511-28 ; C. santé publ., art. L. 1274-2) pouvant être recherchée.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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