Délit d'entrave du CHSCT et du CE d'i-Télé : le TGI rendra sa décision le 16 novembre et l'inspection du travail menace l'entreprise

Délit d'entrave du CHSCT et du CE d'i-Télé : le TGI rendra sa décision le 16 novembre et l'inspection du travail menace l'entreprise

03.11.2016

Représentants du personnel

Devant le TGI de Nanterre, Mikaël Klein, l'avocat du CHSCT et du CE de l'UES Canal +, a cherché hier à faire reconnaître un délit d'entrave des deux instances et demandé la suspension du projet de réorganisation de la chaîne d'informations continue i-Télé. Bruno Serizay, pour Canal +, a tenté de plaider que les déménagements de bureaux n'avaient rien à voir avec un projet plus vaste. Le TGI rendra sa décision le 16 novembre. L'inspectrice du travail menace pour sa part de saisir le procureur.

Alors que l'avocat du CHSCT et du CE de l'unité économique et sociale de Canal +, Mikaël Klein, du cabinet LBBa, a insisté pour une décision rapide, le TGI de Nanterre a décidé de mettre sa décision en délibéré au 16 novembre : le délai est sans doute un peu long aux yeux des salariés et journalistes de la chaîne d'information i-Télé du groupe Canal +, qui entament leur troisième semaine de grève (lire notre article). Pour Mikaël Klein, le délit d'entrave du CHSCT, qui a lancé cette action en référé à laquelle s'est joint le comité d'entreprise, est pourtant bien établi, comme celui du CE. Le comité d'entreprise a été informé le 22 septembre, en vue d'une réunion d'information le 26 septembre, de la mise en place du projet de News factory, littéralement "usine à informations", rappelle-t-il. Ce projet consiste, résume l'avocat, "en la collaboration de différents medias des groupes Vivendi (dont relèvent les sociétés de Canal +) et de Bolloré, parmi lesquels, principalement, la chaîne de télé d'information i-Télé (dont le nom va prochainement devenir Cnews), la plateforme de vidéos en ligne Dailymotion (majoritairement détenue par le groupe Vivendi) et le quotidien papier Direct Matin (qui appartient à la société Matin +, détenue par le groupe Bolloré)". Ce projet se traduit, a argumenté l'avocat, par l'apparition d'une marque commune, News Factory, et par l'installation de certains salariés de Daily Motion et de Direct Matin dans l'immeuble dit "Arcs de Seine" à Boulogne-Billancourt où est logé i-Télé. Mais l'installation des équipes de Direct matin à Arcs de Seine, précise la note de la direction, se fera après la procédure d'information-consultation du CHSCT.

 Le 22 octobre, des effets personnels de journalistes sont mis dehors

Mais l'information donnée par l'employeur au CE sur ce projet paraît bien floue : "La direction a consulté le CE sur un concept dont le seul aspect concret a trait au déménagement de salariés. L'employeur dit au CE : on vous consultera plus tard sur les autres dimensions du projet, l'éditorial, la justification économique, etc.", résume le conseil des instances représentatives. Le CE refuse de rendre un avis en l'état. Quant au CHSCT, il est consulté le 4 octobre sur les déménagements des salariés envisagés et sur l'arrivée de Direct Matin dans l'immeuble, mais sans aucun détail sur le projet News Factory. "Le CHSCT, qui ne dispose guère que des plans des bureaux d'un étage, juge que c'est un peu léger et refuse de rendre lui aussi un avis, et lors de la réunion du 11 octobre, il décide de recourir à une expertise", poursuit Mikaël Klein.  Or la direction procède dès le 18 octobre à des travaux en vue du déménagement des salariés, effectif dès le 26 octobre pour ce qui concerne l'installation des salariés de Direct Matin dans les locaux de Canal +. "Le 22 octobre, vous avez des effets personnels de journalistes de i-Télé qui sont jetés dans des bennes. Dans le même temps, on pose sur l'immeuble les lettres de la nouvelle marque, News Factory, ce qui va se révéler dangereux puisque certaines vont tomber, ce qui va entraîner le retrait de la nouvelle enseigne pour motif de sécurité", fustige Mikaël Klein.

La question des délais

Pour l'avocat, le doute n'est pas permis. Dans le cadre d'un projet commun, le CE disposait de 3 mois (soit jusqu'au 22 décembre) pour rendre un avis et le CHSCT de 3 mois moins 7 jours (soit vers le 15 décembre) pour le faire également. Le délit d'entrave lui paraît donc caractérisé, comme l'a d'ailleurs relevé l'inspection du travail après sa visite dans l'entreprise (lire notre encadré ci-dessous). Dans la mesure où l'employeur n'a pas attendu l'expiration de ces délais pour considérer que les instances avaient rendu un avis négatif, il ne pouvait pas mettre en oeuvre son projet sans commettre un délit d'entrave. L'avocat demande la suspension de la mise en oeuvre du projet tant que le CHSCT n'a pas été régulièrement consulté, "sous astreinte de 10 000€ par jour étant donnée la considération que porte l'entreprise aux représentants du personnel", l'assignation du CHSCT notifiée à l'entreprise le 21 octobre n'ayant nullement dissuadé celle-ci de mettre en oeuvre son projet.

Le déménagement d'une vingtaine de salariés ne constitue pas un projet important

Délit d'entrave ? "La violation est archi pas manifeste, elle n'existe pas !" riposte l'avocat de l'UES Canal +, Bruno Serizay. Ce dernier tente de démontrer que les consultations du CE et du CHSCT visent deux projets tout différents. Le CHSCT, plaide-t-il, était simplement consulté sur le déménagement d'une vingtaine de salariés d'un étage à l'autre. Il ne s'agit nullement à ses yeux d'un projet important pouvant justifier d'une demande d'expertise et d'un délai accru, mais d'un "projet simple" car ce changement, même s'il concerne des salariés de différentes entités, est "sans conséquences sur les conditions de travail", les salariés ne changeant ni de mobilier, ni d'employeur ni de travail. Mais, ajoute-t-il en considérant que ce n'était peut-être pas une bonne idée, "nous avons quand même décidé de porter ce projet à la connaissance du CHSCT". Quant au projet dont le CE était saisi, c'était un projet "sans aucun contenu concret" mais, "par souci de transparence, nous avons voulu informer le CE de l'ambition de News Factory. Mais ce n'était que livrer une pré-réflexion", argumente Bruno Serizay, selon lequel cette réflexion portait sur la création "d'un pôle dédié à l'information, peut-être en partenariat avec Daily Motion et Direct Matin, mais cela nécessitait de réfléchir à sa finalité et aux moyens juridiques d'y parvenir". Et l'avocat de souligner les changements intervenus dans le paysage audiovisuel avec de nouvelles chaînes d'information en continue gratuites (LCI et franceinfo) et "la phase économiquement difficile traversée par Canal +". Autrement dit : il faut bien préparer l'avenir en faisant des économies sur les frais généraux (d'où les déménagements de personnel) mais aussi en revoyant la place d'i-Télé dans le groupe Canal +. L'avocat défend du reste que l'action du CE est irrecevable, notamment parce que son secrétaire n'a pas été correctement mandaté. "Il n'y a rien à suspendre car rien n'est manifestement illicite", estime l'avocat. "Vous nous expliquez qu'il ne s'agissait que d'un projet en pré-réflexion. Mais pourquoi a-t-on alors posé ces lettres (News Factory) sur l'immeuble ?" demande alors la juge au conseil de l'entreprise. "On peut poser des lettres sur un immeuble sans que cela soit la matérialisation d'un projet", répond-il.

La QPC qui n'a pas eu lieu

Le conseil de Canal + a toutefois fait sourire les autres confrères présents dans la salle lorsqu'il a annoncé à la présidente du TGI qu'il avait envisagé de poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant à faire reconnaître comme inconstitutionnelle la disposition obligeant l'employeur à prendre en charge les frais d'avocat du CHSCT lorsque celui-ci fait une action en justice contre l'employeur, au motif que cela porte "atteinte au droit de propriété". "Comme le CHSCT n'a pas de budget, on fait supporter cela par l'entreprise mais ce devrait être à l'Etat de le prendre en charge", a-t-il glissé, non sans avoir préalablement indiqué que, par "souci d'apaisement", cette QPC ne serait donc pas posée...

(*) L'immeuble arc de Seine est loué par Canal + qui en sous-loue le 3e étage à la société d'exploitation de Direct Matin, du groupe Bolloré, a précisé l'avocat de Canal +

 

L'inspectrice du travail menace de saisir le procureur pour délit d'entrave
Dans un courrier du 2 novembre adressé au président du directoire du groupe Canal +, une inspectrice du travail raconte s'être vue refuser l'accès au bâtiment d'i-Télé par les vigiles, le 24 octobre dernier : "L'argument invoqué a été que je n'aurais pas été détentrice du "bon badge" fourni par votre entreprise, argument qui n'a évidemment aucun sens étant donné que ma carte d'inspecteur du travail suffit pour justifier ma fonction lors de mes contrôles".  Ayant pu finalement pénétrer dans le bâtiment grâce au personnel, l'inspectrice estime avoir pu constater "la mise en marche du projet News Factory concrétisée le 24 octobre 2016 vers 17h par le fait que 3 ouvriers étaient encore activement occupés à travailler au 3e étage du bâtiment (..) sous la direction de Mme (..) afin de préparer l'arrivée imminente des 120 salariés de Direct Matin, prévue pour avoir lieu mercredi 2 novembre". Les faits constatés "confortent" l'inspectrice "dans l'existence d'une entrave au fonctionnement régulier du CE et du CHSCT". L'agent de l'inspection du travail estime que "ne pas donner suffisamment à l'avance des informations pourtant réclamées par les élus sur le projet éditorial de la chaîne i-Télé et plus globalement sur l'ensemble du projet News Factory participe du délit d'entrave aux institutions représentatives du personnel". Et l'inspectrice de s'étonner de la réponse de la DRH, laquelle soutient "ne pas disposer elle-même de la moindre information sur le projet News Factory". L'agent ajoute : "Organiser des déménagements de bureaux en pleine grève n'était pas la meilleure des solutions en matière de lutte contre la souffrance et le mal être au travail quand ce sont précisément les conditions de travail des journalistes de i-Télé qui en sont la cause et alors que tous les indicateurs sont "au rouge" concernant les risques psychosociaux, selon le rapport effectué par Technologia". En conclusion, l'inspectrice n'exclut pas de saisir le Procureur de la République "compte tenu des dysfonctionnements constatés susceptibles de caractériser un délit d'entrave", et invite l'entreprise à "reprendre le dialogue pour trouver rapidement une issue au conflit avec vos instances".

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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