Dans les pas de l'inspecteur du travail, du garage au chantier (2/3)

Dans les pas de l'inspecteur du travail, du garage au chantier (2/3)

25.04.2018

HSE

"Je ne suis pas de la police moi. Je suis là pour la sécurité", ou encore "ce n'est pas un piège". Quand l'inspecteur du travail mène des visites inopinées dans un garage ou sur un chantier, il doit rassurer tout en ouvrant grand les yeux sur les éventuels manquements. Conditions de travail, santé-sécurité, travail illégal… tout y passe. Deuxième volet de notre reportage avec un inspecteur du travail de la région parisienne.

Parce que nous voulions mieux comprendre le quotidien d'un inspecteur du travail, les situations concrètes qu'il rencontre, tant dans son bureau, que sur un chantier du BTP ou dans une entreprise, nous avons suivi pendant plusieurs jours un inspecteur du travail de la région parisienne.

Reportage en trois volets.

• Pour l'inspecteur du travail, "il n'y a pas un jour pareil" (1/3)

• Dans les pas de l'inspecteur du travail, du garage au chantier (2/3)

 Poussons la porte du bureau de l'inspecteur du travail (3/3)

 

Les voitures de marque allemande sont garées en enfilade sur la droite. Au fond, des ombres s’activent derrière une vitre où l’on devine un atelier. À gauche, l’accueil et quelques berlines exposées derrière de grandes baies-vitrées. "Voici notre carte. Un peu comme celle des policiers. En général on ne nous la demande pas, mais nous devons toujours l'avoir avec nous pour pouvoir justifier de notre qualité. Il parait qu’une fois quelqu’un ce serait fait passer pour un faux inspecteur." Jean-Noël Ponzevera est inspecteur du travail. Ce matin de février, jean et veste sombre sur le dos, il s’apprête à réaliser une visite surprise dans un garage de la petite couronne parisienne.

Aucune raison particulière n’est nécessaire pour justifier une descente sur le terrain, mais ici, des problèmes de chauffage ont suscité son attention. L’inspection a déjà, il y a plusieurs années et à deux reprises, signifié une mise en demeure à l’entreprise pour cette raison. Après un petit tour des lieux très succinct, il se présente auprès du directeur financier – en l’absence du patron. L’inspecteur demande tout de suite : "Vous avez des représentants du personnel ?", "Vous pouvez prévenir un élu de notre présence ?". Ce jour-là, deux IRP l’accompagneront pendant sa visite.

L’œil du lynx

Sac en bandoulière retombant sur le dos, carnet d’observations à la main, Jean-Noël Ponzevera avance d’un pas ferme alors qu’il n’a jamais mis les pieds ici. Il semble progresser en terrain connu. Il faut dire que la traque aux garages insalubres fait actuellement partie des priorités sur son secteur. Dans son radar : aération, risques de chute, et produits chimiques, entre autres. En tant qu’inspecteur du travail, il est libre de circuler dans toute l’entreprise. Il pousse les portes de ce labyrinthe, sûr de lui, sans demander la permission. Des élévateurs aux extincteurs en passant par les évacuations des gaz d’échappement, notre inspecteur repère, observe, et touche une multitude d’équipements. Une attention qui le mène jusqu’à tester le jet de la douche des vestiaires.

 

 Lire aussi Entraver l’inspection du travail peut constituer un délit pénal

 

Et le chauffage alors ? Dans une des pièces de travail, les chauffages soufflants sont en panne. En attendant, le patron a opté pour de petits chauffages d’appoint, cubes jaunes posés à 1,5 mètre du sol, mais leur capacité est très limitée. Les salariés affirment avoir froid, malgré leurs polaires grises. Manteau sur le dos, nous partageons le ressenti. Il neige et dehors, les températures sont proches de zéro.

"C’est le cœur qui vous parle"

Le patron arrive en cours de visite. L’inspecteur ne lui a pas encore parlé que ce grand barbu d’une quarantaine d’années en costume bleu marine déclame sa complainte. Assurant "parler avec le cœur", il enchaîne dès son entrée, sans cohérence, les références aux contraintes qui pèsent sur lui, paiement de taxes et redevance compris. Après quelques minutes, alors que Jean-Noël Ponzevera n’est toujours pas intervenu, il aborde le problème de chauffage. Le directeur financier, qui avait parfois son portable à la main durant la première partie de la visite, a dû le prévenir. L’employeur reconnaît un disfonctionnement, mais explique que si les salariés ont froid, c’est aussi parce qu’il ne se couvrent pas suffisamment.

L’atmosphère s’adoucit lors d’un échange en tête à tête à l’issue de la visite. Le patron vide son sac. Jean-Noël Ponzevera ponctue ses questions en précisant que "ce n’est pas un piège". Et pour cause, après 2 heures 30 de visite, le bilan est plutôt positif.

Rappel à l’ordre

"J’ai rarement vu un garage aussi propre", commente l’inspecteur après avoir quitté les lieux. Tant pis pour nous : pour les moteurs de voitures posés sur des tables bancales et les tâches d’huile jonchant le sol, on repassera.

L’employeur a expliqué preuve à l’appui qu’il avait demandé un devis pour acheter des chauffages radians. Il s’en sort sans mise en demeure, avec un rappel à l’ordre : dupliquer la consigne incendie dans différents endroits du garage, mieux signaler les voies dédiées aux piétons et régler ce fameux problème de chauffage. Dans le courrier qu’il enverra quelques jours plus tard, l’inspecteur accompagne chaque manquement de l’article du code du travail correspondant. La missive comportera également quelques observations sur les documents de l’entreprise qu’il a choisi de consulter (rapports de vérifcation, document unique, etc.).

 

► Lire aussi : Refuser de transmettre des documents à l’inspecteur du travail peut constituer un délit

 

Arrêt de chantier

La neige a fait place à la pluie et aux plaques de verglas. Les dalles de PVC du garage à la boue. Les berlines aux grues. Quelques jours plus tard, c’est sur un chantier que nous accompagnons Jean-Noël Ponzevera. Après avoir identifié des dangers, la Cramif (Caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France) a formulé plusieurs injonctions.

"Ce seront mes points de contrôle particuliers", prévient l’inspecteur sur le chemin. Autre raison de cette visite surprise : l’inspection n’a reçu qu’un seul PPSPS (plan particulier de sécurité et de protection de la santé, obligatoire, qui regroupe les risques propres au métier, les modes opératoires et les mesures de prévention à mettre en place), alors qu’une multitude d’entreprises interviennent pour la construction de ces logements.

Dans le sac de l’inspecteur : un formulaire d’arrêt de chantier. En cas de danger grave et imminent, il peut demander l’arrêt temporaire des travaux. Jean-Noël Ponzevera reconnaît utiliser fréquemment ce pouvoir, encadré mais élargi en 2016. Son casque de chantier blanc vissé sur la tête et des chaussures robustes aux pieds, il commence - comme toujours nous explique-t-il - par consulter le panneau affiché sur la clôture, pour repérer les différents intervenants.

 

 Lire aussi : Un salarié chute toutes les cinq minutes dans le BTP

 

Changement de programme

Aujourd’hui, c’est le chef de chantier, un Turc d'une trentaine d'années, qui nous fera la visite deux heures durant, malgré quelques difficultés de communication au début, inhérentes à la différence de langue. Les ouvriers semblent bien se comprendre entre eux, mais certains ne parlent pas couramment français. Il est parfois difficile d’obtenir leur nom ou leur date de naissance. Jean-Noël Ponzevera en a pourtant besoin pour vérifier auprès de l’Urssaf s’ils sont déclarés.

Une fois sur les lieux, il se rend vite compte que les injonctions de la Cramif ne vont finalement pas rythmer sa visite. Le gros œuvre est presque terminé donc les dangers repérés n’existent plus. "Un chantier est évolutif", commente l’inspecteur, ce qui accroît la difficulté pour contester les manquements. Même si ce n’était pas prévu, il entreprend de contrôler quasi un à un les ouvriers en leur demandant leur carte BTP. Obligatoire depuis le 1er octobre 2017 pour tous les salariés intervenant sur les chantiers, y compris les intérimaires et les détachés, cette carte est censée lutter contre le travail illégal.

"Je ne suis pas de la police moi"

Ses vérifications le mènent à deux travailleurs, vraisemblablement non déclarés, probablement sans papiers. "Je ne suis pas de la police moi. Je suis là pour la sécurité", tente-t-il de leur expliquer en essayant d’obtenir leur nom pendant près de dix minutes. Un pan de son métier qu’il n’affectionne pas vraiment.

Dans son courrier envoyé deux jours plus tard à l’entreprise qui aurait recours à la société sous-traitante qui les emploierait (remarquez l’emploi du conditionnel), l’inspecteur racontera : "ces personnes n’ont pas été en mesure de me présenter leur carte d’identité professionnelle, ni aucun document relatif à leur séjour et à leur activité en France. […] vous voudrez bien me fournir rapidement vos explications accompagnées des justificatifs […]".

Au premier étage, un ouvrier accroupi perce une dalle de béton sans masque de protection. Il se justifie en expliquant que le matériel proposé lui provoque des irritations. " Oui mais dans quelques années vous allez souffrir de problèmes respiratoires", insiste l’inspecteur. "Ça commence déjà", lui répond sans détour l’intéressé, en souriant. Quelques minutes plus tard, nous repassons devant lui. Il est muni d’un masque blanc. L’histoire ne nous dit pas s’il l’a gardé toute la journée.

"Ça fait dix ans que je fais comme ça. Y a jamais eu d’accident !"

Les tiges sont bien protégées, les matériaux isolés du reste, le passage piéton bien délimité, aucune tâche ne semble réalisée à partir d’une échelle, les cages d’ascenseurs sont bien protégées. Etage après étage, Jean-Noël Ponzevera remarque quand-même quelques manquements. Aux premiers étages (le chantier comporte plusieurs bâtiments identiques) : les garde-corps des balcons ne sont pas suffisamment hauts. Mètre à la main, l’inspecteur vérifie son intuition : la protection fait 80 centimètres, au lieu des 90 centimètres réglementaires.

Aux troisièmes et derniers étages, l'inspecteur découvre un accès au toit-terrasse, où travaillent des ouvriers. Un simple coup d’œil nous fait pressentir que la voie est dangereuse. La montée et la descente que nous testons pas très fiers, achève de nous convaincre. L’échelle qui mène à la trappe n’est pas tout à fait stable, elle ne dépasse pas suffisamment du plancher du toit et surtout, aucun dispositif ne protège des chutes de hauteur dans les cages d’escalier. Alors, si l’ouvrier tombe, ce n’est pas au troisième qu’il atterrit, mais potentiellement au rez-de-chaussée ! "Ça fait dix ans que je fais comme ça et y a jamais eu d’accident !", s’étonne le chef de chantier. "Oui, jusqu’au jour où y a un accident », lui réplique naturellement l’inspecteur. Lorsque nous l’interrogeons sur les moyens de résoudre le problème, il renvoie à la débrouillardise : "Nous sommes sur un chantier, donc il y a des matériaux, ils peuvent forcément trouver une solution".

24 heures chrono

Deux jours plus tard, Jean-Noël Ponzevera enverra quatre courriers. À celui adressé à l’entreprise suspectée de recourir à des travailleurs en situation irrégulière s’ajoute celui pour l’entreprise donneuse d’ordre. Il lui réclame, entre autres, de rehausser les garde-corps et de sécuriser l’accès aux toits-terrasses, mais ne mentionne pas le salarié qui ne portait pas son EPI.

Une lettre est adressée au coordonnateur SPS, à qui il demande une copie du registre-journal qu’il n’a pu consulter sur place, malgré les recherches du chef de chantier dans le préfabriqué qui sert du bureau. Au maître d’ouvrage, il rappelle son obligation de vigilance, en le priant de mettre en demeure les responsables de sociétés visées "pour mettre fin aux manquements constatés" dans les 24 heures.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

Découvrir tous les contenus liés
Pauline Chambost
Vous aimerez aussi