De la distance pour être maître de sa vie

De la distance pour être maître de sa vie

07.04.2017

Action sociale

Notre série « A voix haute » veut donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : "usagers", "bénéficiaires", "personnes accompagnées". Atteinte d’une amyotrophie spinale, Céline Perdreau emploie 5 auxiliaires de vie qui se relaient à son domicile 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et défend une conception exigeante du positionnement de ces professionnels.

Céline Perdreau vit dans un appartement près de Nancy. Pour être autonome, la jeune femme de 37 ans emploie cinq auxiliaires de vie qui se relaient à son domicile en continu pour assurer son accompagnement. En 15 ans, elle a employé une trentaine de personnes : une expérience qui nourrit sa réflexion sur la place que doivent avoir les professionnels à ses côtés. Très présente sur les réseaux sociaux, Céline échange régulièrement sur le sujet avec souvent une pointe d’humour. Et travaille sur un projet d’écriture qui devrait prendre la forme d’un site Internet dans le courant de l’année.

 

Pourquoi avoir choisi d’employer en direct vos auxiliaires de vie sociale (AVS) ?

Plus jeune, j’ai vécu en centre spécialisé et cette expérience ne m’a pas plu. Je voulais sortir du milieu institutionnalisé et me débrouiller seule. J’ai fait le choix d’employer en direct sur les conseils que l’on a pu me donner (1). J’ai fait ce choix pour la liberté de fonctionnement. C’est un peu plus de gestion et de travail pour la mise en route, mais après, au quotidien, cela n’est pas plus compliqué que cela.

En quoi consiste le travail de vos auxiliaires de vie sociale ?

Ils (2) remplacent mes bras. Réalisent les gestes avec moi et pour moi. Cela comprend tout ce qu’une personne humaine peut faire dans une journée : la toilette, garder mon petit neveu, sortir, faire les courses, partir en week-end… Je ne leur demande pas de formation particulière car il n’y a rien qui relève du soin à proprement parler. Ils travaillent pour moi par tranches de 24 heures, j’ai choisi un temps long pour éviter de trop fractionner mes journées.

Pour vous, quelle doit être la place d’un AVS ?

Les qualités que je recherche sont l’attention et la discrétion. Cela n’est pas si simple car je tiens à ce qu’il y ait une distance. L’auxiliaire n’a pas à intervenir dans la relation que je peux avoir avec des amis ou ma famille. Beaucoup de personnes veulent faire ce travail par gratitude, pour partager de bons moments avec moi ou pour me redonner le sourire… Lors de mon dernier recrutement, une candidate m’expliquait qu’elle avait déjà conduit des handicapés au marché de Noël, au zoo… C’est très infantilisant !

Comment expliquez-vous cette attitude ?

C’est lié à l’idée préconçue que beaucoup de personnes se font du handicap. Le handicap n’est pas toute notre vie ! J’ai comme tout le monde des amis, des envies, des ennuis…  Les personnes qui travaillent dans des structures spécialisées ont parfois une vision très rigide de ce qu’est une personne handicapée et de ce que doit être sa vie : il faut respecter les normes d’hygiène, l’équilibre alimentaire, l’heure à laquelle je dois me coucher, les risques que je ne dois pas prendre… J’emploie très rarement des AVS qui ont travaillé en institution ou en service d’aide à domicile pour ces raisons-là.

Comment se passent les recrutements ?

Je mets une annonce sur Pôle emploi et quelques sites Internet. Je reçois, en général, beaucoup de candidatures, une cinquantaine pour le dernier recrutement. Je fais le tri, je propose un entretien à quelques-uns, durant lequel j’expose quels sont mes besoins et quelles sont les conditions de travail. Après, on discute et je vois si les personnes sont dans le même état d’esprit que moi.

Sur les réseaux sociaux, vous évoquez avec ironie les difficultés rencontrées avec vos AVS. Une soupape nécessaire ?

J’ai créé mon blog en 2004 pour le plaisir que j’ai à écrire. Je me suis aperçue au fil du temps que tout ce qui touchait à mon handicap et aux relations que j’entretenais avec mes auxiliaires intéressait les gens. Avec la distance de l’écran, on me pose plus facilement des questions notamment sur ma

Ce qui interpelle, c’est l’emploi du « je » 

perception de l’autonomie. Ce qui interpelle souvent, c’est l’emploi du « je » : je dis « je fais mes courses », « je donne un coup de pinceau »... Les gens me demandent : « Mais tu peux ? ». Certes, c’est mon auxiliaire qui fait le geste, mais j’estime qu’il est très important pour moi de garder le « je ». Même parmi mes proches, certains ont du mal à ne pas intégrer l’auxiliaire dans nos conversations. Mais en échangeant, ils comprennent mieux ma démarche et la réflexion qu’il y a derrière. 

La distance semble essentielle. Vous ne demandez jamais conseil à vos auxiliaires ?

Je ne cherche pas à créer des liens affectifs ou amicaux avec mes AVS, mais des liens professionnels, respectueux et agréables. C’est possible et la vie n’est pas froide pour autant ! Je ne leur demanderai jamais de conseils personnels, peut-être des conseils pour le quotidien, pour faire la conversation. Mais je pense que c’est important qu’ils ne m’en donnent pas d’eux-mêmes. Même si je suis en train de faire une bêtise, je préfère qu’ils ne me le disent pas, à moins que je coure un danger évidemment. Je pense que c’est une façon d’être maître de sa vie.

En quoi consiste votre projet d’écriture ?

Au départ, je pensais écrire un livre ; maintenant, je pars plutôt sur l'idée d'un site Internet, ce qui a l’avantage d’être interactif. Le but est de susciter l’échange. Dans une première partie, je raconte ma vie sous l’angle de ma dépendance et, petit à petit, ma prise d’indépendance. La deuxième partie sera présentée sous forme de questions-réponses, à partir des échanges avec les internautes ou de mes observations personnelles. Je pense aussi ajouter d’autres témoignages, comme celui de personnes handicapées en couple avec enfants.

Quel est l’objectif ?

Par ce biais, j’aimerais m’adresser aux personnes handicapées qui souhaiteraient fonctionner comme moi, en employant directement leurs auxiliaires, ce qui n’est pas le modèle le plus courant. Je pense que cela pourrait aussi intéresser les professionnels, auxiliaires de vie, travailleurs sociaux ou

Il est fréquent qu’un médecin s’adresse à mon auxiliaire plutôt qu’à moi  

professionnels de santé. Il est fréquent, par exemple, qu’un médecin s’adresse à mon auxiliaire plutôt qu’à moi, ce qui est encore une fois très infantilisant. De même, quand je suis hospitalisée, je demande à ce que mon auxiliaire reste avec moi, ce qui n’est souvent pas très bien compris. Les infirmières ou les aides-soignantes disent que je peux sonner si j’ai besoin d’elles, mais ce qu’elles ne comprennent pas, c’est qu’avec moi, ce serait toutes les 5 minutes... Elles ont l’impression que mon auxiliaire va prendre un peu de leur rôle de soignant alors que je considère mes auxiliaires comme le prolongement de moi-même.

 

(1) Céline fait partie de l’association nationale Gré à gré  (www.greagre.asso.fr)

(2) Céline préfère employer le masculin quand bien même elle n’a fait travailler qu’un seul homme sur la trentaine d’auxiliaires qu’elle a recrutés en 15 ans : « Je ne demande que ça de recruter des hommes, je trouve qu’ils ont moins ce côté maternant. Mais il y a très peu de candidats. »

 

Sur twitter : @Celinextenso

Son blog : celinextenso.free.fr/wordpress

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est plus et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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Aurélie Vion
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