De quoi l'Avenir professionnel est-il le nom ?

De quoi l'Avenir professionnel est-il le nom ?

08.10.2018

Représentants du personnel

Comment appréhender cet objet étrange et tentaculaire qu'est la loi sur l'Avenir professionnel ? En quoi ce texte représente-t-il une rupture par rapport aux précédentes lois sur la formation professionnelle ? Tentatives de réponses données lors d'une journée organisée par l'IRES et l'ISST à Bourg-La-Reine, près de Paris, jeudi dernier.

Refonder le droit de la formation professionnelle, c'est l'ambition de la loi Avenir professionnel votée cet été. Un texte touffu dont l'application va demander, outre de multiples décrets d'ici 2021, de très nombreuses discussions, notamment dans les branches. Selon Jean-Marie Luttringer, juriste et consultant spécialisé dans la formation professionnelle, de 200 à 300 accords de branche touchant à la formation professionnelle devront être révisés (1).

Comment appréhender cette nouvelle réforme ? Elle s'inscrit, en apparence, dans la continuité, analyse Jean-Louis Payan, de la revue Métis : une fois encore, le législateur considère la formation professionnelle d'abord comme une question d'emploi avant d'être une question éducative. Continuité aussi dans la mesure où cette réforme s'ajoute à de multiples interventions du législateur depuis les années 70. "La formation professionnelle a été le domaine d'expérimentation de la loi négociée et ce bien avant que la loi Larcher ne l'impose. Presque toutes les lois votées sur la formation ont été précédées d'un accord interprofessionnel", rappelle ainsi Pascal Caillaud, chercheur nantais du CNRS.

 Le gouvernement impose aux partenaires sociaux ses objectifs avec une mise en récit du processus de réforme

 

 

Mais ce dernier souligne que l'Avenir professionnel représente aussi une rupture : "On est obligés de faire le constat d'une défiance envers le paritarisme de gestion de la formation professionnelle. La loi passe outre le texte de l'accord interprofessionnel des partenaires sociaux en prévoyant la monétisation du compte personnel de formation (CPF) et la fin de la collecte par les Opca (organismes paritaires collecteurs agréés)". Cela pose aux yeux de Nicole Maggi-Germain, maître de conférences en droit social et directrice de l'institut des sciences sociales du travail, un problème d'ordre démocratique : "La façon dont la loi est construite choque la démocrate que je suis. On ne demande pas aux partenaires sociaux où ils veulent aller, on leur impose des vérités révélées et des objectifs, dans une mise en récit du processus de réforme. La pauvreté du débat s'illustre par ces mots d'agenda social ou de feuille de route, comme si le contenu n'était pas discutable, comme s'il ne s'agissait que d'un processus".

Philippe Debruyne, secrétaire confédéral CFDT et président du Copanef (2), admet cette rupture. Mais il nuance le tableau : "Si l'on regarde l'écart entre l'accord national interprofessionnel sur la formation et la loi Avenir professionnel, on se dit : "L'Etat reprend la main". Mais si on regarde l'écart entre les intentions du départ du gouvernement et la loi finale, on s'aperçoit que c'est déjà différent, même s'il ne s'agit pas d'une loi négociée".

Au final, la loi n'est pas tout à fait ce que le gouvernement envisageait au départ 

 

Le syndicaliste présente comme des points gagnés par les organisations syndicales la survie du congé individuel de formation (CIF) au travers d'un compte personnel de formation "de transition" (il s'agit de favoriser les réorientations professionnelles des salariés) ainsi que le rôle des nouveaux opérateurs de branche, les OPCO, qui, s'ils n'assumeront plus la collecte des fonds auprès des entreprises, auront un rôle à jouer pour conseiller les salariés et les entreprises. Et Philippe Debruyne de souligner la spécificité française dans le paysage européen : "En France, les syndicats n'ont pas développé les mêmes outils que dans d'autres pays sur la formation professionnelle. Il nous faut donc des outils paritaires. Et c'est en travaillant plus encore ces notions de compétences que nous remettrons au coeur du débat français la question du travail".

Plusieurs intervenants ont souligné le caractère ambigu de la gestion paritaire de la formation professionnelle qui existait jusqu'à présent en France. Contrairement à l'assurance chômage pour laquelle les syndicats et le patronat décident les taux des cotisations, en matière de formation, c'est l'Etat qui déléguait la gestion de ressources fiscales. Autrement dit, l'Etat ne fait ici que retirer sa délégation de gestion aux partenaires sociaux.

L'individu et l'entreprise "libérée" sont les deux piliers de la réforme

 

C'est que le gouvernement entend baser la réforme professionnelle sur deux piliers qui ne sont pas les partenaires sociaux, résume Jean-Marie Luttringer, mais bien l'individu et l'entreprise "libérée". Il s'agirait, selon le consultant, de réformer �� coûts constants en pariant sur la réduction des dépenses liées à la disparition des intermédiaires paritaires, un postulat à ses yeux non démontré. Pour ce spécialiste, la réforme conduira logiquement, "même si le gouvernement ne le dit pas", à l'accroissement des dépenses de formation par les ménages eux-mêmes, dans une sorte de co-financement de la formation professionnelle avec l'employeur.

Cette "co-construction" d'une formation pouvant parfois se dérouler hors du temps de travail suscite les réserves de Nicole Maggi-Germain. Pour la directrice de l'institut des sciences sociales du travail, le risque est de reproduire les inégalités d'accès à la formation, des personnes précaires, vulnérables ou élevant seules leurs enfants ne pouvant se former sur leur temps personnel. Ce cofinancement, Philippe Debruyne (CFDT) ne le rejette cependant pas a priori. Il rappelle que l'idée remonte à l'instauration des 35 heures : "A l'époque, il y avait une réflexion sur l'utilisation du temps gagné sur le travail. L'idée était d'en garder une moitié pour soi, l'autre moitié pouvant servir à se former".

L'obligation pesant sur l'employeur de veiller à former ses salariés est renforcée

 

La réforme est donc paradoxale. D'un côté, les partenaires sociaux sont évincés en amont du diagnostic et de la définition de l'objectif de la loi, mais de l'autre, souligne Jean-Marie Luttringer, ils voient leur rôle reconnu sur certains points comme sur la certification professionnelle (c'est à dire la reconnaissance officielle d'une maîtrise professionnelle), l'un des deux modes de régulation du nouveau système avec la certification qualité des organismes et formateurs par l'accréditation de la Cofrac. Quant à l'entreprise, elle gagne beaucoup de souplesse avec cette loi. Mais attention, remarque le juriste, l'employeur reste tenu d'assurer la capacité des individus à occuper un emploi, leur "employabilité". Cette obligation est même renforcée, soutient Jean-Marie Luttringer.

De fait, l'article 8 de la nouvelle loi prévoit, dans les entreprises de plus de 50 personnes, qu'un salarié qui n'aura pas bénéficié, pendant 6 ans, des entretiens professionnels et d'au moins une formation non obligatoire (3) verra son compte personnel de formation abondé (art. L. 6315-1 à partir du 1er janvier 2019). Le mécanisme existait déjà (ancien art. L.6315-1), mais était plus restrictif : l'employeur pouvait échapper à la sanction s'il avait fait bénéficier le salarié d'une formation, quelle qu'elle soit, ou d'une progression salariale ou professionnelle. La somme de cet abondement-sanction que devra verser l'employeur sera précisée par décret et ne devrait pas excéder six fois le montant annuel du CPF, soit 3 000€ (4). Cette épée de Damoclès financière ne pourra qu'inciter les employeurs à ne pas négliger au moins l'obligation formelle de ces entretiens.

Reste un gros point d'interrogation : comment les acteurs vont-ils s'approprier cette réforme ? Verra-t-on par exemple une recrudescence des accords d'entreprise sur la formation visant, par exemple, à abonder le CPF ? Sur ces questions, la prudence est partagée. "Cette loi s'inscrit dans une frénésie de réformes avec un nouveau texte tous les cinq ans qui change la donne. Les acteurs peuvent donc se demander si cela vaut le coup de s'investir dans une négociation aujourd'hui alors que les règles peuvent encore changer demain" avance Pascal Caillaud. "Vous savez, les élus du personnel dans les entreprises sont accaparés en ce moment par le passage au comité social et économique, répond Philippe Debruyne (CFDT). Ils n'en peuvent plus de tous ces changements". Et en matière de formation, les changements ne font que commencer...

 

(1) Cet article rend compte d'une matinée d'interventions et d'échanges à l'institut des sciences sociales du travail (ISST) à Bourg-la-Reine, le 4 octobre 2018, organisée par l'IRES, institut de recherches économiques et sociales au service des organisations syndicales représentatives. Outre une activité de recherche, l'ISST, qui est rattaché à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, dispense des formations pour les conseillers prud'hommes et pour les salariés dans le cadre du congé de formation économique, sociale et syndicale. Signalons que le chantier de refonte du système de la formation professionnelle et de l'apprentissage devra être couplé avec le chantier de la réduction du nombre de branches professionnelles (voir par exemple les propositions de la CFE-CGC sur ce point).

(2) La loi Avenir professionnel prévoit qu'un nouvel établissement public, France compétences, remplace les instances actuelles de gouvernance du système de la formation professionnelle que sont le Copanef (comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation professionnelle), le Cnefop (conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle) et le FPSPP (fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels). France compétences sera gérée par l'Etat, les partenaires sociaux et les Régions (voir notre paragraphe dans la synthèse sur la loi). 

(3) La notion de formation "obligatoire" et de formation "non obligatoire" est issue de la loi Avenir professionnel. Est obligatoire, "toute action de formation qui conditionne l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et réglementaires".

(4) Voir l'article L. 6323-13. Les entretiens professionnels sont obligatoires tous les deux ans. L'entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié mais est consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi (art. L. 6315-1). La loi Avenir professionnel prévoit que l'employeur devra mettre à disposition du CSE, pour la consultation annuelle sur la politique sociale, les informations sur la mise en oeuvre des entretiens professionnels et des états des lieux récapitulatifs faits à cette occasion.

 

 

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Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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