Des réfugiés en immersion totale chez des particuliers

Des réfugiés en immersion totale chez des particuliers

17.09.2018

Action sociale

La Direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) a présenté jeudi dernier le bilan d’un programme expérimental d’hébergement de réfugiés chez des particuliers. Le bénéfice est très net en terme d’intégration socio-professionnelle. Reste à voir comment ces initiatives pourront se pérenniser.

Voilà plusieurs mois que Daniel accueille chez lui un jeune réfugié Soudano-érythréen. La rencontre a été organisée par l’association Singa, dans le cadre de son programme Calm – « Comme à la maison ». « On entendait parler des campements de réfugiés, et on ne savait pas quoi faire pour agir, ma femme et moi. Passer par une association lève les blocages, on sait qu’elle peut reprendre la main si les choses se passent mal, c’est très rassurant », indique-t-il. Il raconte avec simplicité la rencontre – « au début, on est des inconnus les uns pour les autres, et on se retrouve à vivre ensemble du jour au lendemain. On a fait tranquillement connaissance, on s’est fixé pour seules règles de partager le repas du soir » – et le lien d’attachement qui s’est créé avec celui qu’il décrit comme « un jeune homme formidable ». « Ce qui m’inquiète, c’est qu’il ne va pas pouvoir obtenir un travail à la hauteur de son CV », répète-t-il, préoccupé.

Accélération de l’intégration

Singa fait partie des douze associations qui ont répondu à l’appel à projet lancé le 10 août 2016 par le ministère du logement. Destiné à soutenir la forte mobilisation citoyenne qui s’était fait jour depuis l’été 2015, celui-ci proposait de développer « l’expérimentation de dispositif d’hébergement des réfugiés chez les particuliers ».

Le 13 septembre 2018, l’heure était au bilan de ces initiatives. Il apparaît dans l’ensemble très positif : les cohabitations n’ont que très rarement été rompues, des liens profonds se sont souvent créés, et surtout, la stabilisation dans une famille et un logement semble favoriser grandement l’intégration des réfugiés.

Ainsi, sur 480 personnes accueillies depuis le début du programme, 40 % sont sorties de ce dernier, et plus 80 % d’entre elles avec des solutions de logement. Plus de 55 % ont accédé à de l’emploi, de la formation professionnelle ou un cursus universitaire et 66 % ont acquis un niveau de français supérieur au niveau A1.1, qui correspond au niveau débutant.

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« L’hébergement citoyen crée énormément de liens car les réfugiés sont en immersion complète. Et au niveau linguistique, la progression est beaucoup plus importante que dans des dispositifs de soutien plus classiques », a commenté durant la matinée de restitution Mourad Talbi, chef de service des programmes de logement à l’association rhodanienne Forum Réfugiés. L’un des critères d’entrée dans ces dispositifs, outre d’être bénéficiaire de la protection internationale, est en effet le désir de vivre dans une famille française, avec ce que cela suppose de dimension interculturelle – découverte de la langue, des façons de vivre et des codes sociaux.

« J’ai été surpris au début que les femmes ne soient pas à la cuisine. Ça se passe comme ça dans mon pays. Mais ça m’a été très utile d’apprendre à participer, car maintenant je sais me débrouiller dans mon logement », a témoigné Necati, qui a quitté sa famille d’accueil au bout de presque un an, un CAP de cuisine en poche. Il s’émeut d’avoir été reçu chez des personnes qui ne le connaissaient pas.

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Alléger la tâche des familles

Les associations retenues dans l’expérimentation sont financées à hauteur de 1 500 euros par réfugié et par an. Chacune s’est organisée en fonction de ses ressources propres, avec des équipes dédiées ou pas, parfois en choisissant de dédommager les familles pour les frais d’accueil ou de demander une participation financière aux personnes réfugiées. Toutes en revanche avaient pour double mission de faciliter la cohabitation entre accueillants et accueillis et d’accompagner le parcours d’intégration des réfugiés.

À Singa, une première expérience antérieure à l’appel à projet avait montré que laissées à elles-mêmes, les familles accueillantes avaient à en faire trop, répondant le soir, après leur journée de travail, aux sollicitations des réfugiés, recherchant des solutions.

« Cela nuisait à la relation, car le rôle d’une famille accueillante est normalement de partager des choses du quotidien, et non de supporter ces tâches lourdes, qui relèvent de l’accompagnement social », a précisé le responsable du dispositif d’accueil national de Singa France, Vincent Berne. Passer par des associations spécialisées dans le social dans cette expérimentation visait justement à décharger les accueillants de l’accompagnement socio-professionnel.

Appariement

Au Samu social de Paris, qui a monté un programme intitulé Elan, le choix a été fait de consacrer le financement au recrutement d’une équipe pluridisciplinaire dédiée, composée de deux travailleurs sociaux, deux psychologues et une conseillère en insertion professionnelle. L’accompagnement des accueillants et des accueillis démarre en amont de la cohabitation. Il s’agit d’abord d’aider les familles volontaires à prendre la mesure d’un tel engagement et à en définir les limites, de répondre à leurs questions ; de même, de faire comprendre aux réfugiés ce que peut impliquer le fait d’être accueilli en famille (les résonances psychologiques peuvent être douloureuses pour quelqu’un qui a perdu la sienne), de voir si c’est adapté et quel profil de famille leur conviendrait. La rencontre est préparée, et l’équipe peut être sollicitée à tout moment de la cohabitation en cas de difficulté.

À Singa, Vincent Berne insiste beaucoup sur l’appariement entre accueillants et accueillis, sur la base d’affinités professionnelles et personnelles, pour faciliter le lien et la possibilité que la personne réfugiée bénéficie, le cas échéant, du réseau socio-professionnel de la famille. « Il est arrivé que des accueillis et des accueillants montent des projets partenariaux. Ils sont parfois devenus amis et certaines familles se sont même portées garantes d’un logement », indique Vincent Berne.

Un accompagnement vers le droit commun

Concernant l’accompagnement social, il se fait vers le droit commun, souvent avec le niveau linguistique comme principale difficulté. Pour le reste, tous soulignent le volontarisme impressionnant du public, prêt à faire des kilomètres pour suivre une formation ou travailler.

Directeur de Solidarité Pyrénées, Laurent Cavailhes Roux se réjouit du bilan provisoire de son action auprès d’un public pour l’heure restreint à 12 personnes, essentiellement des jeunes de moins de 23 ans, originaires d’Afrique et ayant un accès facilité à la langue française. Il s’est beaucoup appuyé dans sa région sur les contrats jeunes majeurs et la garantie jeune. « Près de 80 % des accompagnés ont trouvé un logement, du travail, et ont parfois construit une vie familiale », souligne-t-il. Il note cependant que la présence d’un psychologue a manqué à son dispositif, essentielle pour ne mettre en difficulté ni les familles, ni les accueillis.

« Parfois apparaissent des rivalités entre les enfants de la famille et le réfugié. Le moment de la séparation doit lui aussi être préparé pour qu’il ne soit pas vécu comme une rupture de plus. En outre, quand on est dans l’urgence de survie, on déploie des mécanismes de défense pour tenir, mais lorsqu’on se pose, on peut aussi se relâcher, et des décompensations peuvent advenir », analyse la responsable du programme Elan, Nadège Letellier, D’où la nécessité d’un cadre bien établi, garanti par des professionnels.

La Direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), en charge du suivi de l’expérimentation, a fait savoir son souhait de pérenniser le dispositif, en tenant compte des enseignements de l’expérimentation. Une évaluation plus importante doit d’abord être réalisée à cet effet. Il converge en tout cas avec la stratégie nationale d’intégration des réfugiés, qui « a fait de la mobilisation de la société civile l’un de ses axes fort ».

Laetitia Darmon
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