Devoir de mise en garde et prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros

04.10.2018

Gestion d'entreprise

Le devoir de mise en garde n'est obligatoire que face à des emprunteurs exposés à un risque d'endettement excessif.

Un prêt immobilier libellé en francs suisses et remboursable en euros

Un couple d’emprunteurs avait en 2011, conclu avec une banque, un prêt immobilier, libellé en francs suisses et remboursable en euros, le taux de change pouvait évoluer à la hausse sans contrainte, le prêt n’étant pas "capé”. A la suite de leur défaillance, la banque a assigné les emprunteurs en paiement et ceux-ci, invoquant un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et l'illicéité de l'indexation du prêt sur le franc suisse, ont, reconventionnellement, sollicité l'allocation de dommages-intérêts et l'annulation de cette indexation, demandant qu'il soit dit que le contrat avait été souscrit pour le montant en euros prévu initialement. Les emprunteurs avaient reçu une notice d’information, mais soutenaient que le banquier devait les mettre en garde en leur qualité d’emprunteurs non avertis, contre les risques inhérents aux prêts à taux variable non " capé " indexés sur une devise étrangère, sans pouvoir se contenter de la seule remise d'une notice d'information. Ils soutenaient par conséquent, n’avoir pas été " suffisamment avertis par la banque sur les risques liés au taux de change", bien que les conditions du prêt soient décrites dans la notice d'information, ladite notice ne pouvant pas être jugé suffisante à mettre en garde des emprunteurs non avertis contre les risques d'un crédit lié au taux de change, la cour d'appel ayant ainsi violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

L'obligation de mise en garde et l'inadaptation du crédit aux capacités financières de l'emprunteur et le risque d'endettement

La première chambre civile de la Cour de cassation après avoir examiné la situation financière des emprunteurs, décidait dans un premier temps que la cour d‘appel avait souverainement estimé que le prêt, lors de son octroi, était proportionné aux capacités financières des emprunteurs qui n'étaient pas exposés à un risque d'endettement excessif, ce dont il résultait que la banque n'était pas tenue à leur égard d'un devoir de mise en garde.

En effet, l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt, ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et non sur les risques de l’opération financée (Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-16.316). Le devoir de mise en garde doit être mis en œuvre uniquement en présence d’un risque d’endettement excessif (Cass. com., 18 janv. 2017, n° 15-17.125 ; Cass. 1re civ., 27 juin 2006, n° 04-18.845, Bull. civ., I, n° 331, RTD com. 2006, p. 890, obs. D. Legeais), et s’applique non seulement lors de l’octroi d’un prêt initial, mais également en cas de renégociation de celui-ci (Cass. 1re civ., 6 déc. 2007, n° 06-15.258, Bull. civ., I, n° 379, RLDA 2008, n° 24, p. 35, obs. E. Bazin). En effet, tout crédit crée par construction une situation d’endettement. Il doit donc s’agir d’un risque particulier et, par suite, d’un risque de surendettement, c’est-à-dire du risque de conduire l’emprunteur à ne plus pouvoir faire face à ses engagements. Autrement, la notion n’aurait aucun sens. Sur ce point, la Cour de cassation reprend donc simplement la jurisprudence en vigueur. Cela semble ainsi confirmer que seul la notion d’endettement doit être prise en compte et non pas la notion de technicité de l’opération.

La distinction entre le devoir de mise en garde et le devoir d'information

Pour autant il convient de ne pas confondre "devoir de mise en garde” et “devoir d’information ". En effet, le professionnel est en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier, tenu au formalisme des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation ainsi qu’à l’article L. 313-1 du même code, à une procédure d’information expressément organisée (C. consom., art. L. 312-14 et L. 313-11). Pour les autres crédits, le prêteur organise librement la procédure d’information préalable. Mais dans les deux cas, le prêteur doit à l’aide d’explications adaptées aux besoins de celui qui a sollicité le crédit, indiquer à ce dernier en quoi le crédit est adapté aux besoins de l’emprunteur. En présence de ces informations, le candidat à l’emprunt prend sa décision sous sa responsabilité et la banque ne peut se voir reprocher par les emprunteurs même non avertis, de ne pas leur avoir conseillé un prêt mieux adapté à leurs besoins (Cass. com., 27 nov. 2012, n° 11-19.311).

Des clauses qui ont pour objet ou effet de créer un déséquilibre significatif entre les parties

Pour autant, aux termes de l’article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les dispositions de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier autorise les indexations en relation directe avec l'objet de la convention ou avec l'activité de l'une des parties, et en l’espèce, le prêt en devises suisses souscrit par les emprunteurs était en relation directe avec l'activité de l’épouse qui percevait ses revenus dans la même devise. Il convient de souligner que l’indexation d’un prêt sur une monnaie étrangère n'est licite que si l'un des contractants est banquier ou financier, peu important l’absence de caractère international du contrat (Cass. 1e civ. 12 janv. 1988 n° 86-11.966 F-D : D. 1989.80 note Malaurie ; Cass. com. 22 mai 2001 n° 98-14.406 P-B : RJDA 11/01 n° 1145). Cette solution toutefois, ne concerne plus que les crédits autres que les crédits immobiliers régis par le code de la consommation. S’agissant de ces derniers, les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise autre que l'euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, que s'ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n'est pas supporté par l'emprunteur (C. consom., art. L 313-64).

En l’espèce, le prêt comme indiqué ci-dessus n’était pas "capé", c’est-à-dire qu’il ne comportait pas de limite à l’évolution du taux de change et par suite, toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû. La Cour de cassation estime donc que le juge du fond aurait du rechercher si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur l'emprunteur et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. Le terme "exclusivement" ne semble pas approprié dans la mesure où il ne ressort pas des faits si le contrat stipulait un seuil en faveur du prêteur, évitant à ce dernier une perte de change dans le cas d’une évolution des taux de change en sa défaveur ! Si ce seuil n’existait pas plus qu’une limite haute, le contrat pouvait s’avérer défavorable à l’une comme à l’autre des parties !

La possibilité de demander l'annulation des clauses litigieuses

Par ailleurs, le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties révélé par le contrat (conclu depuis le 1er octobre 2016), permettra, aux termes de l’article  1171 du code civil, à la partie qui en est victime (en principe l’emprunteur), de demander et d’obtenir du juge si ce dernier estime la demande justifiée, l’annulation des clauses litigieuses, réputées non écrites. La notion de déséquilibre significatif ne peut trouver application que dans le cadre d’un contrat d’adhésion (C. civ., art. 1171, al. 2) et non pas dans le cadre d’un contrat de gré à gré définit à l’article 1110 du code civil. Cela signifie en pratique que cette notion a peu de chance de trouver application dans les relations entre banques et grandes entreprises, les contrats de crédit faisant dans ce cas l’objet de négociations et d’une rédaction commune et pouvant ainsi être qualifiés de contrats de gré à gré. Le déséquilibre significatif s’apprécie au regard de l’économie générale du contrat (et non pas clause par clause) et ne peut porter sur l’adéquation du prix (en l’espèce sur l’adéquation du taux d’intérêt), à la prestation.

Rappelons en conclusion que l’article 1143 du code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 : JO, 11 févr.), a introduit dans le code civil la notion de dépendance qui devient un cas de violence vice du consentement, même lorsque le contrat a été conclu entre entreprises. Ceci peut ainsi permettre à un emprunteur d’obtenir l’annulation d’un contrat de crédit conclu depuis le 1er octobre 2016 si l’établissement de crédit profitant de l’état de dépendance dans lequel se trouve l’emprunteur, obtient de lui, l’acceptation de conditions qu’il n’aurait pas agréées en l’absence d’une telle contrainte et si la banque en tire un avantage manifestement excessif, caractère que devra apprécier le juge. Aux termes de l’article 1183 du code civil, issu de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, applicable depuis le 1er octobre 2016 à tous contrats, même ceux conclus antérieurement, une des parties peut se prévaloir de la nullité du contrat, son cocontractant pouvant alors lui demander soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de 6 mois à peine de forclusion (art. 1183).

 

 

Patrice Bouteiller, Docteur en droit, Senior of Counsel, Cabinet Ravet et Associés

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