Don anonyme de gamètes : circulez, il n'y a rien à voir... pour l'instant !

22.01.2018

Droit public

Le Conseil d'Etat a jugé que les règles légales interdisant l'accès aux données personnelles d'un donneur de gamètes ne sont pas incompatibles avec les stipulations des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le problème posé ici à la justice n’est pas nouveau, y compris pour le Conseil d’Etat, mais risque fort de se reproduire à l’avenir, et de plus en plus souvent compte tenu du nombre d’inséminations artificielles réalisées avec donneurs anonymes.
 
En l’espèce, un homme a été conçu par insémination artificielle avec don de gamètes recueilli par le centre d'études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) d’un hôpital parisien. Il demande plusieurs fois en 2011, notamment auprès du CECOS et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de lui communiquer des informations relatives au donneur de gamètes à l'origine de sa conception. Mais ses demandes se heurtent à des décisions de rejet. La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), saisie le 25 juillet 2011, rend elle-même un avis défavorable sur ces demandes.
 
L’intéressé saisit la justice administrative et l’affaire donne lieu à une première saisine du Conseil d’Etat pour avis. Ce dernier, dans un avis du 13 juin 2013 (n° 362981), a considéré que ni les restrictions actuelles apportées aux droits d’accéder à des données médicales non identifiantes, ni l’interdiction absolue d’accéder à des données identifiantes ne sont incompatibles avec les dispositions des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. A la suite de cet avis, un jugement du 27 janvier 2014 du tribunal administratif de Paris a alors rejeté les conclusions du demandeur tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des décisions de refus de communication des informations demandées. Ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Une solution de refus de levée de l’anonymat du donneur confirmée par le conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt rapporté, confirme la solution de rejet des demandes de levée d’anonymat de gamètes. Cela ne surprendra personne.
 
Parmi les moyens qu’il invoquait pour tenter de démontrer une violation par la loi française des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, le requérant faisait valoir d'une part un accord de sa famille légale avec sa démarche et, d'autre part, une absence de vérification préalable du consentement du donneur à la divulgation de son identité.
 
En réponse, le Conseil d’Etat rappelle que si la compatibilité de la loi avec les stipulations de cette Convention ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par celle-ci, dans le cas considéré, les finalités des dispositions législatives contestées ne rendent pas excessive l'atteinte aux droits et libertés protégés par ladite Convention. Et d’invoquer à ce titre les considérations d'intérêt général ayant conduit le législateur, dans les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique, à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d'un donneur de gamètes, notamment la sauvegarde de l'équilibre des familles, le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d'une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d'une remise en cause de l'éthique qui s'attache à toute démarche de don d'éléments ou de produits du corps.
Une solution restant en débat
Le corps médical et les établissements de santé publics en charge de l’AMP avec donneur sortiront probablement soulagés d’une telle décision qui, pour l’instant, et au-delà des considérations d’intérêt général évoquées, préserve une pratique facilitant la circulation des gamètes dans le marché de la PMA.
 
Mais l’anonymat du don de gam��tes, quasiment absolu puisqu’aucune donnée permettant d’identifier le donneur ne pourra jamais, en l’état de la règlementation française, être transmise à l’enfant issu du don, est loin de faire l’unanimité.
 
Inutile d’épiloguer sur la souffrance vécue par certains, privés par la loi de tout accès à leurs origines, d’autant plus que nombreux sont ceux qui, le CCNE en tête (avis n° 90, 24 nov. 2005), préconisent aux parents ayant eu recours à un don de gamètes de lever le plus tôt possible le secret sur le mode de conception choisi ; plaçant ainsi les enfants concernés devant une véritable impasse.
 
Si l’on s’en tient au débat éthique et juridique, la position du Conseil d’Etat convaincra les convaincus. Mais au regard des droits de l’homme ou des droits fondamentaux, tout devient affaire de lecture par le juge de la loi mise en cause et de pesée des intérêts en présence. Au demeurant, le Conseil d’Etat lui-même illustre parfois l’extrême relativisme du droit qui en découle. Ainsi, par exemple, à propos d’une autre question sensible en matière d’AMP, à savoir l’insémination artificielle post mortem, il a pu faire montre de moins de scrupules pour juger que le refus d’exporter vers un pays étranger les gamètes d’un mari décédé, stockés en France, en vue d’y inséminer son épouse, constituait une atteinte manifestement excessive au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CE, 31 mai 2016, n° 396848). Et pourtant, les considérations d’ordre public, d’intérêt général, de protection de l’enfant et de sa filiation ne manquent pas en la matière pour justifier l’interdiction française.
 
Au fond, au fur et à mesure que tombent les décisions, on constate que les mêmes normes supra législatives relatives aux droits de l’homme et aux droits fondamentaux de la personne peuvent aboutir dans une même matière à des conclusions dont la divergence n’est pas toujours aisément compréhensible. 
 
Quoi qu’il en soit, à l’heure où s’ouvrent à nouveau des états généraux de la bioéthique, la question de l’anonymat du don de gamètes pourrait bien à nouveau s’inviter dans les débats sur l’AMP. Et au moment où l’on s’apprête à faire voler en éclats les verrous qui ont forgé les grands principes de la bioéthique régissant le don d’éléments et le respect du corps humain en vue d’élargir l’accès à l’AMP, voire légaliser la GPA, il faudra bien d’autres arguments qu’en appeler aux seules considérations relevées par le Conseil d’Etat dans l’arrêt rapporté pour justifier encore du maintien d’un principe d’anonymat absolu du don de gamètes. Du reste, des propositions de modification de la législation ont déjà vu le jour par le passé et pourraient bien refaire surface. Un mécanisme inspiré du cadre législatif et réglementaire existant en France depuis une loi du 22 mai 2002 ayant créé un organisme spécial pour régler la question de l’accès aux origines des adoptés et pupilles de l’État (CNAOP) pourrait même servir d’exemple. Et la Cour européenne des droits de l’homme, depuis son fameux arrêt « Odièvre » du 13 février 2003, ne devrait certainement pas en prendre ombrage. C’est peut-être même le contraire qui pourrait attendre la France si, dans la révision législative qui s’annonce des principes de la bioéthique, le droit des enfants issus d’un don de gamètes à accéder, sous certaines conditions, à la connaissance de leurs origines restait lettre morte.

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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