En 2017, le politique reprend la main

En 2017, le politique reprend la main

21.12.2017

Représentants du personnel

Finies les conférences sociales du quinquennat Hollande. C'est à marche forcée que le président Macron souhaite modifier le paysage social français, au moyen d'une course de vitesse -pour l'instant gagnée- sur les organisations syndicales. Analyse et rappel, en infographie, des temps forts de l'année qui se termine.

Pas une année sans que le législateur ne touche aux instances représentatives du personnel (IRP) et à la négociation collective ! Il y a deux ans, fin 2015, nous constations qu'une réforme sur les IRP chassait l'autre, et que les élus du personnel avaient beaucoup de mal à suivre. Rebelote il y a un an : fin 2016, nous ne pouvions que relever que l'année écoulée avait été celle des divisions autour du travail. Non seulement, disions-nous, le projet de loi Travail de François Hollande, qui a fracturé la majorité socialiste, faisait partie des raisons ayant conduit ce dernier à ne pas se présenter à sa propre succession à l'Elysée, mais, du fait de ce projet et des passions qu'il a suscitées autour de la négociation collective, la méthode consistant à réformer en recherchant un compromis avec les partenaires sociaux semblait menacée. Douze mois plus tard, il est plus que jamais question des IRP, mais il s'agit désormais d'en finir avec le CE, les DP et le CSHCT en tant qu'instances séparées. La démocratie sociale pratiquée ces dernières années ne semble plus d'actualité. Depuis son élection à la présidence de la République, au terme d'un parcours éclair et inattendu, Emmanuel Macron, fort d'une confortable majorité à l'Assemblée nationale, mène ses réformes tambour battant (Ndlr : voir ci-dessous notre infographie sur les événements mois par mois, les sujets renvoyant aux articles d'actuEL-CE).

Réformer vite en prenant tous les acteurs de vitesse

Comme annoncé pendant la campagne, l'ancien ministre de l'Economie fusionne d'autorité, par la voie des ordonnances, les différentes instances représentatives du personnel. Par ailleurs, il met en oeuvre, paradoxalement, un profond élargissement des champs de la négociation dans l'entreprise dont les possibilités de flexibilité sont accrues (assouplissement du licenciement économique, barème indemnitaire obligatoire pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse, rupture conventionnelle collective, nouveaux accords emploi, etc.). Et pour bien monter que c'est lui qui donne le cap, il se fait filmer en train de signer les ordonnances le 22 septembre, 4 mois après son arrivée à la présidence de la République. Le but politique est évident : montrer que l'Exécutif ne tergiverse pas et réforme vite, sans avoir peur des organisations syndicales qui avaient mollement brandi au printemps la menace d'un conflit social à la rentrée.

Certes, le gouvernement a consulté les partenaires sociaux tout l'été, mais ce fut à un rythme effréné et dans un processus où les cabinets, du ministère du Travail, de Matignon et de l'Elysée, ont toujours gardé la main, à la fois sur le tempo et sur le contenu des textes. "Cet été, nous avons eu une réunion de plus d'une heure au sujet de la co-détermination pendant laquelle nous avons échangé sur la question des représentants des salariés dans les conseils d'administration. Mais le gouvernement n'en a rien retenu", nous expliquait récemment un négociateur syndical. Au final, si l'on regarde les positions de départ, il apparaît que les organisations syndicales, au demeurant toujours divisées, auront bien peu pesé sur le contenu réel des réformes. Ce qui pose, soit dit en passant, un redoutable défi aux syndicats pour la suite des réformes en 2018 et 2019, qu'il s'agisse de la formation, de l'assurance chômage ou des retraites : comment peser ?

Des syndicats affaiblis en 2017

Que retenir du paysage syndical en 2017 ? Sans doute la persistance des divisions, mais surtout, un affaiblissement général. Fort de sa légitimité électorale récente, l'Exécutif a imposé son tempo, sa méthode (les ordonnances) et ses choix dans un redoutable jeu tactique piégeant ses interlocuteurs : le gouvernement n'a véritablement dévoilé ses cartes que fin août...pour des textes promulgués dès le 22 septembre.

Ce changement de pied par rapport à l'ère Hollande a placé la CFDT dans une situation inconfortable et difficile, alors même que le syndicat a supplanté la CGT dans les entreprises lors de la nouvelle mesure de représentativité (►notre infographie). Moins écoutée par le gouvernement, ne sachant comment peser, la confédération a écarté l'idée de descendre dans la rue au motif que ce bras de fer avec le gouvernement serait perdu d'avance et que l'avenir se jouerait dans les entreprises, avec davantage d'adhérents afin de peser sur les négociations décentralisées. Ce fut aussi, à l'automne, le discours de Pascal Pavageau, qui succèdera à Jean-Claude Mailly à la tête de FO en 2018 (► notre article).

Mais Force ouvrière a elle-même essuyé les critiques d'une partie de sa base jugeant son secrétaire général bien trop conciliant avec E. Macron, alors que ces militants jugeaient la note des ordonnances plus salée encore que celle de la loi Travail, contre laquelle FO avait défilé. La confédération finira d'ailleurs par rejoindre les cortèges de la CGT, de Sud et de la FSU contre les ordonnances, où l'on verra aussi plusieurs fédérations de la CFE-CGC. François Hommeril, le secrétaire général du syndicat des techniciens et cadres, tient il est vrai depuis des mois l'un des discours les plus acides contre la politique du gouvernement.

Ces cortèges n'auront rien changé, sinon démontré l'impuissance, la lassitude ou la résignation des syndicats. La mobilisation lancée par la CGT, Solidaires et la FSU, qui aura permis de constater la colère de certains élus du personnel par exemple le 12 septembre à Paris et leur crainte de se retrouver moins nombreux et avec moins de moyens, n'aura pas rallié les foules, comme si la mobilisation avait été émoussée par les manifs de 2016 contre la loi Travail. Et les appels à infléchir les textes, lancés par des consultants ("Les ordonnances Macron ne sont pas une réforme comme les autres", prévenait Claire Baillet en septembre) ou par des experts (comme ceux du CHSCT estimant que la disparition de cette instance sera "une catastrophe pour les salariés") n'auront pas eu d'effets. Et dire que fin août, Philippe Martinez (CGT) percevait "de la fébrilit��" au sein du ministère du Travail !

 

Cette image d'efficacité, de rapidité et de sécurité juridique que veut donner de lui le gouvernement, avec un cabinet constitué d'experts dont l'approche idéologique et le rôle important ont été jugés sans ménagement par Jean Auroux, ne correspond bien sûr pas tout à fait à la réalité.

Les ordonnances, une méthode efficace ?

Supposées êtres gages d'efficacité, les cinq ordonnances sont certes parues le 23 septembre, mais ces textes font aujourd'hui l'objet de multiples modifications, à la fois à l'occasion du projet de loi de ratification (qui n'a toujours pas été définitivement adopté par le Parlement) et dans la sixième ordonnance, dite ordonnance balai, des modifications minimisées en public par Muriel Pénicaud. Ajoutons que le principal décret sur le CSE, promis très rapidement par l'Exécutif, n'avait toujours pas été publié le 20 décembre, alors que ce texte, qui comprend rien moins que le nombre d'élus du CSE et leurs moyens (crédits d'heures, ressources, expertises, etc.), est indispensable aux entreprises et organisations syndicales pour la mise en place du comité social et économique, possible théoriquement à partir du 1er janvier 2018 (Ndlr du 30/12/2017 : ce décret est finalement paru l'avant dernier jour de 2017 au Journal Officiel).

Règles du jeu qui ne cessent de fluctuer et qui sont délivrées au dernier moment par l'administration : c'est bien ici la continuité qui prévaut ! Un projet de loi n'aurait pas nécessairement pris plus de temps, mais il aurait sûrement engendré plus de débats, des débats que voulait justement éviter le nouveau pouvoir instruit par l'épisode des frondeurs. L'on verra en outre bientôt si les analyses de certains juristes sur les risques d'inconstitutionnalité de certains points des ordonnances, que ne manqueront pas de soulever les syndicats, sont fondées...

Que va donner en pratique l'instauration du CSE ?

2018 sera donc la première année de mise en place du CSE (► voir notre infographie : "Quand devez-vous mettre en place le CSE ?"). Elus et directions n'ont que deux ans procéder au renouvellement total du paysage de la représentation du personnel dans les entreprises, renouvellement qui sonnera le glas de la longue histoire des instances séparées (► Notre infographie). Ce chantier, qui va consommer temps, énergie et...conseils d'avocats, nul doute que certains DRH s'en seraient bien passés, d'autant que ce changement risque au passage de relancer la compétition électorale entre organisations syndicales et donc remettre en jeu les équilibres actuels...

L'on commencera à voir l'an prochain ce qui se produit réellement dans les sociétés qui adopteront l'instance unique. Certains élus et experts craignent d'ores et déjà une baisse drastique du nombre de représentants des salariés et un éloignement d'avec ceux-ci. Attention, la messe n'est pas dite, disait récemment Jean Auroux à des interlocuteurs parfois sonnés (► notre article : "Quelle ordonnance après le choc des ordonnances ?"). L'ancien ministre du Travail socialiste, dont les ordonnances remettent en question les fameuses lois éponymes, a appelé es représentants du personnel à négocier ce qui pouvait l'être (► notre article). D'aucuns, certes minoritaires dans le monde de la représentation du personnel, parient sur le fait, notamment dans les petites entreprises, qu'une instance unique pourra permettre aux élus de faire davantage prendre en compte les questions de conditions au travail (► notre article).

Quoi qu'il en soit, de multiples consultants, experts et observateurs du dialogue social conseillent aux directions de se donner le temps d'imaginer et de négocier avec leurs syndicats la future configuration et le fonctionnement des nouvelles instances. Car les ordonnances le font parfois oublier : l'organisation de la représentation du personnel n'est pas qu'un coût pour l'entreprise qu'il suffirait de simplifier ou de rationaliser pour régler les problèmes. La prise en compte des intérêts des salariés, la considération de la charge de travail et des problèmes d'organisation qui se posent dans toutes les entreprises, la nécessité d'interlocuteurs, de médiateurs et de négociateurs, tout cela ne va pas disparaître du jour au lendemain. Les questions autour du travail réel, une thématique dont la chercheuse Danièle Linhart regrettait l'absence durant la campagne présidentielle, ne manqueront pas de refaire surface, de même que la question de la pénibilité, même si le terme a été évincé du vocabulaire officiel (1). Prendre le risque de mettre le social à la porte, c'est s'exposer à ce qu'il rentre demain...par la fenêtre. D'autant que l'actualité reste par nature imprévisible : qui aurait dit début 2017 que le harcèlement sexuel au travail (►notre article :"Le changement de comportement passe aussi par les entreprises) se retrouverait à la une de l'actualité, du fait de l'affaire Weinstein ?

2018, l'année de la confrontation au réel

Il se pourrait que 2018 soit une année sensible pour l'Exécutif. En effet, le nouveau pouvoir, pour l'instant relativement populaire dans l'opinion si l'on en croit les instituts de sondage, devra fêter son premier anniversaire sans forcément être en mesure de présenter un bilan positif en matière de chômage. C'est du moins ce que pronostiquent plusieurs économistes, le gouvernement commençant à communiquer sur le fait que sa politique (flexibilité, allégements fiscaux et sociaux pour les entrerprises et pour les riches particuliers) ne produira ses fruits qu'à moyen terme. Emmanuel Macron l'a lui-même reconnu lors de son interview "en marche" sur France 2 le dimanche 17 décembre : les résultats de notre politique sur le chômage ne commenceront à être visibles que dans deux ans, a-t-il dit.

Cela explique sans doute la volonté du Président et du Premier ministre de maintenir une cadence rapide afin de réaliser les réformes promises devant les électeurs (assurance chômage, formation) avant un éventuel basculement de l'opinion. D'autant que viendra ensuite la réforme des retraites. L'Exécutif, qui vient de poser ses conditions aux partenaires sociaux pour la réforme de l'apprentissage-formation et de l'assurance chômage, parviendra-t-il à imposer aux acteurs la stratégie qui lui a réussit jusqu'à présent avec les ordonnances ? Cherchera-t-il à rééquilibrer la balance, qui a penché nettement en faveur des employeurs en 2017, en modifiant la définition juridique de l'entreprise, en imposant un meilleur partage de la valeur ajoutée, comme le demandent notamment la CFDT et la CFE-CGC (► notre vidéo), voire en donnant davantage de place aux représentants des salariés dans le gouvernance de l'entreprise, tous points défendus par certains économistes comme Olivier Favereau ? Réponse dans quelques semaines...

(1) Voir notre enquête sur l'élaboration des référentiels pénibilité dans les branches

 

Quand le terrain n'approuve pas ce que vous venez lui "vendre"...

C'est au nom de "l'efficacité", de "l'adaptabilité" et "du souci du terrain" que la ministre du Travail, "consensuelle sur la forme, dure sur le fond"  selon les représentants du personnel qui l'ont cotoyée comme DRH ou dirigeante, a défendu la fusion des IRP ainsi que la priorité donnée à la négociation décentralisée dans l'entreprise. Sauf que les visites de terrain effectuées par Muriel Pénicaud l'ont parfois confrontée au scepticisme voire à l'hostilité des acteurs pour les solutions avancées par l'Exécutif. Chez Telma, une PME de la métallurgie du Val d'Oise, élus comme direction ont pris devant la ministre et devant le Premier ministre, la défense d'un CHSCT autonome : "La DUP ne regroupe ici que les délégués du personnel et le comité d'entreprise. Rejoindre le cadre de la nouvelle DUP, en intégrant le CHSCT, dégraderait à nos yeux le travail des élus. J'ai été secrétaire du CHSCT pendant des années et cela réclame un investissement et des compétences précises sur la santé, la sécurité, les conditions de travail. S'il faut coupler ça avec une approche de la dimension économique, cela va demander beaucoup trop de travail aux élus", a estimé Maurice Fauchadour, le secrétaire du CE. (► voir notre vidéo). Quand à l'exemple, érigé en modèle vertueux, de l'accord collectif sur les conditions de travail de l'entreprise de menuiserie industrielle Caib de Cholet (Maine-et-Loire), le délégué syndical CFDT et secrétaire du CE nous disait ceci : "On ne se lève pas un matin en disant : "Tiens, on va créer un dialogue social serein". C'est une construction sur la durée, qui suppose aussi un employeur qui nous respecte. S'il y a un réel dialogue social chez nous, cela vient de l'histoire de l'entreprise. Dans les années 1975, alors que la société était menacée, ce sont les délégués syndicaux CFDT qui ont à l'époque occupé l'usine et permis de trouver un repreneur" (►notre article).

Il est vrai, pourrait objecter le gouvernement, que l'on trouve aussi, naturellement, des témoignages d'élus favorables à l'instance unique (► notre article : "Avec la DUP élargie, l'employeur ne peut plus cloisonner l'information"), une solution largement approuvée par les organisations d'employeurs (voir ici l'analyse de l'UIMM).

 

 

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Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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