Entreprises adaptées : "Le projet de loi est structurant mais n’aborde pas les enjeux financiers"

Entreprises adaptées : "Le projet de loi est structurant mais n’aborde pas les enjeux financiers"

17.05.2018

Action sociale

Les premières réactions au projet de loi "avenir professionnel", qui réforme le modèle des entreprises adaptées, sont pour le moment plutôt positives. De nombreuses dispositions sont toutefois renvoyées à des décrets et l'impact financier ne sera connu qu'au moment du PLF 2019, comme l'explique Cyril Gayssot, vice-président de l’Union nationale des entreprises adaptées (Unea).

tsa : Le projet de loi « avenir professionnel » évoque des « résultats contrastés » en parlant des entreprises adaptées, dont le modèle va donc être réformé. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

Cyril Gayssot : Nous manquons de données objectivées sur ce sujet-là. Il y a une vraie lacune. Heureusement, les choses bougent. Nous menons actuellement une concertation avec l’Etat (la DGEFP) qui a débuté en décembre 2017 après une séquence difficile sur le projet de loi de finances pour 2018. Nous sommes contents de pouvoir enfin nous exprimer et d’être écoutés. En ce sens, 2018 est l’année de tous les possibles.

Au terme de la première phase de concertation, il ressort que les entreprises adaptées [EA] ne bénéficient pas d'une surcompensation. Les personnes handicapées que nous employons nécessitent des moyens d’accompagnement et d'accommodement du contexte de travail. C'est bien d'avoir pu le démontrer. Nous avons pu proposer notre capacité d’expertise technique. Par le biais d’une étude commandée à KPMG, il apparaît que dans la majorité des cas, l’utilité des EA est démontrée. Il y a un modèle vertueux : par rapport à une personne handicapée ne travaillant pas, un emploi en entreprise adaptée génère un gain social pour la collectivité de 11 000 €.

Nous entamons maintenant la deuxième phase sur l’évolution du modèle de l’entreprise adaptée.

Que pensez-vous du projet de loi ?

Le projet de loi opère notamment une refonte de l’article L. 5213-13 du code du travail, l'article qui structure l’identité des EA, et cela nous convient. Le progrès c’est qu’il affirme désormais une vocation économique qui était peu présente dans les textes. Les entreprises adaptées ont actuellement comme publics les personnes handicapées sans emploi, le texte va désormais plus loin en visant aussi les personnes « qui courent le risque de perdre leur emploi en raison des conséquences de leur handicap ». Cet élargissement du public cible pourra par exemple concerner les 160 000 personnes qui vivent des situations d’inaptitude en emploi et qui risquent le licenciement.

Autre changement à signaler : le texte renvoie à un décret le soin de fixer la proportion minimale de travailleurs handicapés requise pour qu’une entreprise soit agréée. Que cela signifie-t-il ? Il existe actuellement dans le code du travail l’obligation pour les entreprises adaptées d’employer au moins 80 % de travailleurs handicapés dans les effectifs de production. Le gouvernement a choisi de le retirer de la loi pour le prévoir dans un décret. Il y aura un changement dans le sens où le pourcentage sera affecté à tout l’effectif et pas seulement à la production.

L’Etat va-t-il vous imposer des indicateurs ?

Non, je ne le pense pas, les indicateurs de sortie n’ont pas de sens au regard de notre mission. Nous ne sommes pas des entreprises d’insertion, auxquelles les personnes handicapées sont d'ailleurs tout à fait éligibles. Nous nous occupons des parcours de personnes souvent très éloignées ou tenues à l’écart de l’emploi qui ont besoin d'être accompagnées dans leur contexte.

Tout va bien alors ?

Pour l’instant, en réalité rien ne change fondamentalement, les dispositions prévues dans le projet de loi respectent l’identité du modèle EA. Le risque majeur tient au fait que dans le projet de loi, un certain nombre de points sont renvoyés à des décrets. Nous ne sommes donc jamais à l’abri d’une mauvaise surprise.

Comme la concertation est encore en cours, c’est très difficile d’avoir une vision définitive, notamment sur les impacts financiers. Le projet de loi est techniquement structurant mais n’aborde pas les enjeux financiers. Il faudra attendre le PLF 2019 [projet de loi de finances] pour connaître les nouvelles modalités de financement. Fin juillet, nous y verrons sûrement plus clair. S'il y a des mécontentements, c'est à ce moment-là qu'ils risquent de tomber.

Quelles propositions faites-vous ?

La question qu’il faut se poser est la suivante : vers quoi veut-on aller ? Je pense qu’il existe deux visions : l’entreprise adaptée est une entreprise de placement, où le salarié reste deux ans et puis s’en va. Cette vision ne nous convient pas car elle n'offre pas de perspectives aux publics que nous avons très largement recruté ces dernières années de plus de 50 ans et en situation de handicap.

Au lieu de créer des nouvelles formes de précarisation, l’Unea propose plutôt de tendre vers une optique inclusive, avec l’idée que la diversité des silhouettes et compétences humaines mérite d’être prise en compte. Nous devons façonner nos activités à la propre mesure de chacun pour qu’ils puissent pleinement se réaliser. C’est l’originalité très forte du modèle de l’entreprise adaptée inclusive.

Nous proposons par exemple une modification du dispositif de mise à disposition de nos travailleurs handicapés chez d’autres employeurs que nous avons appelé : « renforcement de la réponse accompagnée du modèle entreprise adaptée ». Nous voulons proposer à l’entreprise ordinaire une prestation de service qui va l’accompagner sur la durée dans la gestion du contexte de travail de la personne accueillie. Prenons l’exemple d’une personne qui rencontre un handicap psychique et qui ne peut pas se concentrer à cause du bruit dans l’open space. L’entreprise adaptée va accompagner l’entreprise accueillante et lui suggérer des pistes qui ne sont pas seulement d’ordre ergonomique mais qui relèvent de l’organisation du travail.

On parle beaucoup de société inclusive aujourd'hui. Sommes-nous à un tournant dans la politique du handicap ?

C'est vrai qu'il y a un effet médiatique fort autour de la société inclusive. D'ailleurs, aujourd’hui même, nous lançons un « laboratoire des innovations inclusives » - le Lab2i – un espace de réflexion qui rassemble des élus, des experts comme l’anthropologue spécialiste du handicap Charles Gardou, et des professionnels, pour réfléchir sur ce que veut dire inclusif. Nous souhaitons dégager des bonnes pratiques et les mettre à la disposition de la société. Je rejoins le président de la République quand il appelle à repenser la société pour qu’elle ne soit pas exclusive, il faut parvenir à faire un « chez soi pour tous ». Mais, attention, cette terminologie ne doit pas être un prétexte pour arrêter l’institutionnalisation. La société n’est pas monolithique, on ne peut pas passer du « tout institutionnel » au « tout milieu ordinaire ». Il faut se méfier que sous couvert d’inclusion, on ne cherche pas en réalité à faire des économies !

 

800 entreprises adaptées emploient 32 000 salariés

Depuis la loi de 2005, les entreprises adaptées (EA) ont rejoint le milieu ordinaire de travail et ne font plus partie du secteur protégé. Elles emploient majoritairement des travailleurs handicapés (au moins 80 % des effectifs de production).

En 2018, 800 entreprises adaptées sont réparties sur l'ensemble du territoire national. Elles emploient 32 000 salariés dont 26 000 en situation de handicap et réalisent un chiffre d’affaires global de 1,8 milliard d'euros.

Voir le site de l'Unea.

 

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Propos recueillis par Linda Daovannary
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