ESSMS publics : la véritable portée du contrat de séjour

24.07.2017

Droit public

Le Conseil d'État précise la véritable nature de la relation juridique liant un usager à un établissement ou service social ou médico-social (ESSMS) de droit public. Malgré la signature d'un contrat de séjour, cette relation n'est pas d'ordre contractuelle. Explication.

Comblant le vide laissé par les textes, la plus haute juridiction administrative a clarifié, par une décision du 5 juillet, la nature juridique du contrat de séjour susceptible d’être conclu entre un usager et un établissement ou service social ou médico-social (ESSMS) relevant du secteur public.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Origines du contrat de séjour

Dans le prolongement de lois spécifiques aux établissements pour personnes âgées (lois du 6 juillet 1990 et du 24 janvier 1997), la loi du 2 janvier 2002 a entendu développer le recours au contrat écrit entre les ESSMS et les usagers ou leurs représentants légaux. C’est ainsi que l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF) dispose qu' « un contrat de séjour est conclu ou un document individuel de prise en charge est élaboré avec la participation de la personne accueillie. (…) Le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l'accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d'établissement ou de service. Il détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel ».

Un décret du 26 novembre 2004, modifié en dernier lieu par un décret du 15 décembre 2016 concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées,  a précisé les différentes hypothèses où un contrat de séjour doit être conclu et celles où il doit être recouru au document individuel de prise en charge. Ce décret a également défini le contenu, le mode d’élaboration et de révision de ces outils (CASF, art. D. 311) (v. bull. 342, p. 10).

Particularisme du secteur public

Après l’adoption de cette loi, des spécialistes reconnus, comme le Professeur Jean-Marc Lhuillier, se sont interrogés sur la nature juridique exacte du contrat de séjour dans les établissements et services de droit public. Ainsi, pour le Professeur Lhuillier, « il a toujours été admis que les usagers des établissements publics étaient en situation réglementaire et non contractuelle ». Il relevait également que la loi du 2 janvier 2002 posait d’importantes questions juridiques dans le secteur public car si le contrat prévu devait être qualifié de contrat administratif, il en résulterait des conséquences qui n’iraient pas forcément dans le sens d’une meilleure prise en compte des usagers et d’un équilibre des droits et obligations des parties en présence. Ainsi, Jean-Marc Lhuillier indiquait que « la reconnaissance d’un contrat administratif donne des pouvoirs importants à l’administration qui semblent inconciliables avec les objectifs recherchés : l’administration a un pouvoir de direction et de contrôle, de sanction, mais, surtout, dispose d’un pouvoir de résiliation unilatérale et de modification unilatérale des normes du contrat ». Et de conclure que le juge administratif aurait à trancher cette question, qui a également des implications sur le régime de responsabilité applicable (responsabilité contractuelle ou délictuelle) (« Le droit des usagers dans les ESSMS », Jean-Marc Lhuillier, Presses de l'EHESP, 5e édition, 2015, p. 159 et 160).

La réponse à cette question vient d’être apportée par le Conseil d’État dans un arrêt du 5 juillet dernier. En l’espèce, le litige opposait une personne âgée à un centre communal d’action sociale (CCAS) gestionnaire d’un service d’aide à domicile. La personne âgée avait demandé à ce que le CCAS soit condamné à l’indemniser des préjudices subis du fait d’une chute au cours d’une prestation d’aide à domicile dont elle bénéficiait, l’aide-soignante qui la soutenait ayant perdu l’équilibre. Comme le rappelle le rapporteur public au Conseil d’État Gilles Pellissier, dans ses conclusions, « cette demande, reprise par sa fille à son décès, a été successivement rejetée par les juges du fond au motif que l’établissement public n’avait manqué à aucune de ses obligations contractuelles ». La fille de l’usager s’étant pourvue en cassation, la Haute juridiction administrative a eu à examiner à son tour l’affaire. Le tribunal administratif puis les juges d’appel ayant considéré qu’il fallait se situer sur le terrain de la responsabilité contractuelle, elle a dû vérifier ce point d’office car il s’agit d’une question d’ordre public.

Absence de relation contractuelle

Le Conseil d’État considère que les juges du fond se sont trompés. Dans son arrêt, il indique que « la prise en charge d'une prestation d'aide à domicile par un centre communal d'action sociale, établissement public administratif en vertu des dispositions de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles, a le caractère d'un service public administratif ; que les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l'établissement concerné, alors même qu'ils concluent avec celui-ci un "contrat de séjour" ou qu'est élaboré à leur bénéfice un "document individuel de prise en charge", dans les conditions fixées par l'article L. 311-4 du même code ». Ce n’est donc pas le régime juridique de la responsabilité contractuelle qui doit être appliqué mais bien celui de la responsabilité délictuelle. L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel pour être rejugée.

Cette solution n’est évidemment pas transposable aux établissements et services de droit privé qui sont dans une situation juridique différente. Cela montre qu’en fonction de la nature juridique du gestionnaire (public ou privé), le contrat de séjour n’a pas la même portée ou les mêmes effets.

 

Arnaud Vinsonneau, Juriste en droit de l'action sociale
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