Fin de vie d'un enfant sur décision médicale : c'est permis

01.02.2018

Droit public

La décision médicale d'arrêter les traitements d'un enfant mineur en état végétatif alors que ses parents y étaient opposés a été validée par la justice française et européenne.

Selon le Conseil d’Etat, dans une ordonnance du 5 janvier 2018, et la Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision du 25 janvier 2018, il appartient au médecin, s’il estime que la poursuite d’un traitement traduit une obstination déraisonnable et après avoir mis en œuvre la procédure collégiale prévue par la loi, de prendre seul une décision de fin de vie concernant un enfant mineur inconscient, même en cas de désaccord des parents.
 
Une ordonnance de référé du 14 septembre 2017 du tribunal administratif de Nancy (n° 1702368) avait pu attirer l’attention car elle posait avec la plus grande acuité la question de savoir si la procédure médicale mise en place par la loi française pour justifier un arrêt de traitement provoquant la mort d’une personne inconsciente pouvait allait jusqu’à fonder une décision analogue concernant un enfant mineur, malgré l’opposition ferme de ses parents titulaires de l‘autorité parentale.
 
En l’espèce, une fille de 14 ans, atteinte d’une myasthénie auto-immune, avait été victime d’un arrêt cardiorespiratoire. Transférée dans le service de réanimation pédiatrique d’un CHRU, elle avait été placée sous ventilation mécanique et se trouvait plongée dans un état pauci-relationnel. Un mois plus tard, après concertation pluridisciplinaire et collégiale et compte tenu de la gravité de l’état cérébral de l’enfant tel qu’estimé par l’équipe médicale, la décision fut prise d’arrêter les soins et notamment la ventilation mécanique. Les parents avaient alors contesté cette décision dont ils demandèrent en référé la suspension dans l’attente d’une expertise médicale plus approfondie, ce qu’avait ordonné le juge saisi au vu des nombreuses incertitudes demeurant sur les séquelles dont l’enfant était réellement atteinte, et pour éviter jusque-là une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale constitutive de son droit à la vie.
 
Mais, à l’issue de l’expertise médicale réalisée et au vu des conclusions des experts l’ayant conduite, les parents furent finalement déboutés de leur demande de suspension de la décision médicale d’arrêt de traitement de leur enfant par une nouvelle ordonnance du 7 décembre 2017 du même tribunal.
 
C’est contre cette ordonnance que le Conseil d’Etat, en référé compte tenu de l’urgence, a lui-même été saisi par les parents, mais en vain : la Haute juridiction administrative confirmant la décision du premier juge par une ordonnance du 5 janvier 2018.
 
Contre cette décision du Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie d'une demande de mesures provisoires en vertu de l'article 39 de son règlement. Elle a rejeté à son tour la requête des parents le 25 janvier 2018.
Une décision du Conseil d’Etat confirmant qu’un enfant mineur et inconscient peut être l��objet d’une décision médicale de fin de vie malgré l’opposition de ses parents
Reprenant les termes de son  premier arrêt de fond du 24 juin 2014 rendu dans l’affaire Lambert, le Conseil d’État rappelle, dans son ordonnance du 5 janvier 2018, les conditions particulières à réunir pour justifier un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend d’un mode artificiel d’alimentation et d’hydratation.
 
Le médecin en charge doit ainsi se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Dans le cas d’un patient mineur, il incombe en outre au médecin de rechercher l’accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale.
 
Surtout, sous un angle juridique et prenant appui notamment sur la position du Conseil constitutionnel exprimée dans une décision QPC du 2 juin 2017 admettant la constitutionnalité des dispositions législatives autorisant les médecins à arrêter les traitements de personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, le Conseil d’Etat ne laisse plus place au doute sur le point de savoir si un enfant inconscient peut être considéré comme « hors d’état d’exprimer sa volonté » et s’il est « susceptible de faire l’objet de la procédure collégiale prévue par les dispositions des articles L. 1110-5-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique. Il s’était interrogé sur ce point dans une autre affaire, mais à propos d’un enfant d’un an et avant l’intervention du Conseil constitutionnel (affaire Marwa : CE, ord. 8 mars 2017). Mais l’interrogation paraît bien relever désormais du passé, même si, dans la présente affaire, l’intéressée est âgée de 14 ans.
 
En effet, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les dispositions applicables, notamment celles de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, insiste au cas particulier sur le fait que lorsque le patient hors d’état d’exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l’âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s’exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l’article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l’article 371-1 du code civil, de l’autorité parentale. Mais dans l’hypothèse où le médecin n’est pas parvenu à un tel accord, le Conseil d'État considère qu'il appartient à celui-ci, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable et après avoir mis en oeuvre la procédure collégiale, de prendre seul la décision de limitation ou d'arrêt de traitement.
 
Ce faisant, et contrairement à ce que soutenaient les parents en l’espèce, le Conseil d’Etat estime que ces règles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’article 6 § 2 de la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, qui prévoient que, lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, « celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi ». Il considère également que les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissent pas davantage les dispositions de l’article 371-1 du code civil relatives à l’autorité parentale.
 
S’appuyant sur les conclusions des experts soulignant que l’état clinique de l’enfant, en aggravation depuis son hospitalisation, était celui d’un «état végétatif persistant » avec un « pronostic neurologique catastrophique », qu’elle était incapable de communiquer avec son entourage et présentait des lésions neurologiques irréversibles, le Conseil d’Etat conclut finalement au rejet de la requête des parents.
Une confirmation par la Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme a été aussitôt saisie par les parents contre cette décision du Conseil d’Etat d’une demande de mesures provisoires en vertu de l’article 39 de son règlement. Mais par une décision du 25 janvier 2018, celle-ci, siégeant en un comité de trois juges,  a rejeté l’ultime requête des parents.
 
En substance, la CEDH estime que le cadre législatif en vigueur est conforme à l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme et que, même si les requérants sont en désaccord avec l’aboutissement du processus décisionnel engagé par les médecins, celui-ci a respecté les exigences découlant de cet article. Elle considère également que le droit français a permis un recours juridictionnel qui est conforme aux exigences de l’article 2.
Elle rappelle en revanche son incompétence pour examiner des griefs tirés d’autres instruments internationaux tels que la Convention d’Oviedo.
Un concert judiciaire unanime de nature à susciter une conviction unanime ?
Malgré la convergence impressionnante des décisions rendues par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme, qui valident, à des titres divers, le processus législatif permettant de fonder sur une décision médicale un arrêt de traitement provoquant la mort d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, fût-elle un enfant et en dépit de la volonté de ses parents, il n’est pas sûr que le débat soit clos et, en tout cas, que les convictions soient unanimes pour lire et comprendre le droit de cette façon.
 
D’aucuns pourront certes considérer que la loi française, avec l’appui des juges, est ainsi parvenue à un bon équilibre. D’autres pourront cependant estimer qu’elle ne va pas encore assez loin. Du reste, l’idée d’un nouveau débat sur l’euthanasie et la fin de vie n’a-t-elle pas refait surface lors de l’ouverture des États généraux de la bioéthique ? Mais dans un tout autre sens, certains pourront aussi bien estimer que l’on a franchi les limites de l’acceptable au nom d’une conception plus élevée des droits de l’homme et des droits fondamentaux de la personne, et tout spécialement au regard du droit à la vie. On relira d’ailleurs, pour s’en convaincre, les opinions dissidentes publiées à la suite de l’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Lambert (Affaire Lambert et autres contre France : n° 46043/14, CEDH 2015).
 
Un constat s’impose quoi qu’il en soit : le droit à la vie, le premier de tous les droits de l’homme, tend progressivement en jurisprudence à perdre de son absoluité. Il est concilié de plus en plus avec d’autres prérogatives, parfois contraires, pourvu que des procédures et des recours existent permettant de parvenir aux résultats souhaités. Dans le domaine médical de la fin de vie, on a ainsi découvert, à la lecture des diverses décisions rendues à ce jour, qu’il était conforme aux droits de l’homme qu’un médecin, pourvu qu’une procédure collégiale le soutienne et sous certaines conditions, puisse décider d’interrompre des traitements et provoquer ainsi la mort d’une personne inconsciente et  incapable d’exprimer une volonté. On sait désormais, sans que les droits de l’homme en soient plus atteints, qu’il peut s’agir d’un enfant et que l’autorité de ses parents, traditionnellement conçue en droit civil pour le protéger, est impuissante à s’opposer à une décision médicale de nature à provoquer ou à précipiter sa mort.  Car la leçon de l’histoire, pour l’instant, est que les parents d’un enfant placé dans un contexte comparable à celui de l’espèce n’auront pas d’autre choix juridiquement efficace que celui d’être d’accord avec le corps médical.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés
Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
Vous aimerez aussi

Nos engagements