François Hollande raconte les coulisses de la loi Travail

François Hollande raconte les coulisses de la loi Travail

07.11.2016

Représentants du personnel

En favorisant la négociation d'entreprise, la loi Travail provoquera une restructuration du paysage syndical à l'avantage de la CFDT, espère François Hollande, si l'on en croit ses confessions recueillies par deux journalistes du Monde dans leur livre, "Un président ne devrait pas dire ça". Où il est aussi question de Florange, de la loi Macron, des 35h, du CICE.

Comme l'a écrit dans le Monde Michel Schneider à propos de ce livre stupéfiant qui montre la solitude d'un homme parvenu au sommet du pouvoir, "François Hollande est entré dans le stade du miroir" (*). Et le psychanalyste d'ajouter avec férocité : "A 60 ans passés, c'est un peu tard pour traverser ce moment où, entre 6 et 18 mois, l'enfant se sert de l'image extériorisée du miroir afin d'unifier son corps et constituer son moi. Mais voilà qu'après s'être adonné au commentaire dégagé de la politique qu'il est censé avoir dirigée, il se livre au commentaire intarissable de Hollande par Hollande". On ne saurait mieux résumer cet étrange livre. Il résulte, rappelons-le, des enregistrements, consentis par François Hollande, de 61 conversations tenues tout au long du quinquennat, jusqu'en juillet dernier, avec deux journalistes du Monde. Des conversations dont le registre et la teneur (appréciations personnelles et en temps réel sur les proches du président de la République, le personnel politique, sur ses compagnes, etc.) les auraient autrefois fait classer dans le registre du privé ou du off, ces propos livrés à la presse à condition qu'ils ne soient pas reproduits.

Un pavé ennuyeux mais un éclairage sur la loi Travail

L'ensemble forme un pavé assez ennuyeux de 662 pages qui reproduit le discours du chef de l'Etat sur lui-même et sur la politique de ses gouvernements. L'ironie de l'histoire est que le résultat, en dépit de la bienveillance affichée des journalistes du Monde avec leur sujet (**), s'avère accablant pour le Président de la République. A la lecture, on ne peut que s'interroger : le citoyen attend-il du responsable politique un tel discours sur lui-même ? Ou attend-il plutôt du pouvoir des actes et des décisions ? A chacun de se faire son opinion.

Laurent Berger dit que nous irons forcément vers une restructuration du paysage syndical 

Pourquoi dès lors s'arrêter tout de même sur cette confession ? Parce que ce livre contient des propos de François Hollande, non filtrés par son service de communication, sur sa politique sociale, des propos qu'il ne tient pas aussi directement en public. A propos de la loi Travail et du renforcement de la négociation d'entreprise, le chef de l'Etat confie aux journalistes partager un objectif de long terme avec Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT : "Laurent Berger dit que si on fait cette réforme de la négociation collective, si on met beaucoup plus de responsabilité sur les partenaires sociaux dans les entreprises, nous irons forcément vers une restructuration du paysage syndical. Un patronat qui sera obligé de s'engager, ce qu'il ne fait pas aujourd'hui, et des syndicats qui peuvent rester ce qu'ils sont, nombreux, mais qui seront amenés à signer des accords".

Le rôle de Macron dans la première mouture du projet

François Hollande, qui semble regretter la menace implicite du recours au 49.3 évoquée dès la présentation du projet de loi par sa ministre du Travail (en fait l'interview de Myriam El Khomri aux Echos annonçant que le gouvernement "prendrait ses responsabilités" aurait été réécrite par Matignon), commente de façon surprenante la genèse du projet : "Il y a eu le rapport Combrexelle, puis ensuite Badinter voulait faire un exercice de clarification du code du travail, ce qui a d'ailleurs prolongé la réflexion et ça s'est un peu confondu. On ne savait plus ce qu'on faisait, si on faisait la réforme totale du code du travail, ou si on voulait simplement ouvrir la négociation collective dans les entreprises notamment pour les questions de temps de travail". Il confirme au passage que l'ajout dans le texte (qui sera finalement retiré) d'un barème pour les indemnités en cas de licenciement abusif vient d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, et que la partie sur les règles de licenciement était voulue par le Premier ministre Manuel Valls. Ces ajouts -surtout le premier- seront à l'origine du premier couac sur le texte : "La CFDT avait eu le texte, mais n'avait sans doute pas eu la dernière version sur les règles de licenciement, reconnaît le président. Donc, la CFDT a eu le sentiment qu'on voulait utiliser le texte pour en faire un peu plus, et notamment introduire le barème ou les règles de licenciement".

Faudrait pas qu'ils bloquent l'article 2  du projet de loi Travail

On voit aussi le Président de la République téléphoner à Pierre Gattaz, depuis l'appartement privé d'un des deux journalistes du Monde, et en leur présence, pour tenter d'obtenir la neutralité du président du Medef sur le projet de loi Travail : "Le point le plus difficile, dit François Hollande à Pierre Gattaz, on l'a bien compris, c'est sur l'accord d'entreprise, c'est là-dessus qu'on doit tenir, pour vous ce n'est peut être pas aussi essentiel que pour nous, mais pour nous c'est très important, pas seulement parce que les syndicats réformistes le veulent, mais parce que je pense que c'est une vraie évolution du dialogue social, donc s'il y a une rupture, elle sera sur ce texte-là, enfin, sur cette partie du texte. Pour nous, ça reste un point dur, voilà. C'est FO, hein, qui nous fait la bataille. C'est là-dessus que FO mobilise les frondeurs et autres députés, sur le fait qu'on inverse la hiérarchie des normes, etc. Donc c'est vraiment là-dessus qu'on est le plus en difficulté, hein (..) Donc, c'est là-dessus que nous on risque de rompre avec les frondeurs, enfin, avec les députés les plus hostiles. Si vous avez quelque influence sur la droite - vous pouvez peut-être en avoir- faudrait pas qu'ils bloquent l'article 2. Parce que c'est l'article 2 qui est le plus important, l'article 2 sur l'accord d'entreprise. Ils s'abstiennent, ils laissent passer le texte, hein ?".

Le recours au 49.3

S'il regrette n'avoir pas retiré dès le début du projet le barème prud'homal, François Hollande estime ensuite qu'il n'avait pas d'autre choix que le 49.3 pour faire passer le projet de loi Travail. "Il y avait d'abord le fait que ç'aurait duré longtemps, le fait que ç'aurait été un débat gauche-gauche, la droite aurait compté les points.

P. Martinez a été débordé par sa base (..) Il a perdu en crédibilité dans beaucoup d'entreprises 

Après, sur le 49.3, c'est un déni de démocratie quand le texte n'a pas été véritablement discuté ou corrigé, là, il avait été discuté en commission, il avait été déjà corrigé dans la concertation (..) J'ai tout fait pour essayer de trouver des compromis, de faire des amendements qui pouvaient permettre aux socialistes de se retrouver". Le chef de l'Etat, après avoir fait l'éloge de la CFDT, commente ainsi la position de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT : "Il a été débordé par sa base. Je pense qu'il a vu dans le conflit un intérêt stratégique. Remettre la CGT au premier rang de la visibilité des luttes, de ce point de vue-là il a réussi, il était un leader contesté dans son organisation, on peut dire qu'il a réussi à s'imposer. A quel prix ? Maintenant, l'avenir le dira, il a perdu en crédibilité dans beaucoup d'entreprises, et les élections professionnelles vont le faire apparaître".

 

(*) Gérard Davet et Fabrice Lhomme, "Un président ne devrait pas dire ça...", les secrets d'un quinquennat, Editions Stock, 662 pages, 24,50€

(**) Par exemple, le livre s'achève par la description d'un dîner, au domicile d'un des journalistes, avec François Hollande : "Il a débarqué chez nous, ce soir-là, un grand saint-estèphe à la main, le sourire aux lèvres. Il était 21h15 (..) Ce dîner (..) marque le terme d'une folle aventure, débutée près de cinq ans plus tôt (..). Il nous fallait bien cela pour décrypter cet ahurissant quinquennat, saisir au plus près cet homme subtil, sa pensée alambiquée mais structurée, ses contradictions et ses ambiguïtés, aussi...(..) Il ignore tout du contenu du libre. Si ce n'est qu'il sera volumineux. Sur ce point au moins, il se dit enchanté : "Compte-tenu de son importance, c'est votre livre qui va compter. Le fait qu'il soit lourd, cela écrase les autres. Moi, je ne fais pas de livre, je ne ferai pas le récit de mon quinquennat. Je n'ai pas envie de raconter". (sic)

 

Florange, CICE, Macron, 35h, primaire à droite : verbatim

Sur Florange (en cas de nationalisation, Mitall aurait menacé selon F. Hollande de couper les approvisionnements de Florange provenant de Dunkerque et de Fos) : "Je l'assume, cette décision. C'est moi qui la porte. Je n'ai pas eu un problème de principe, mais d'efficacité et de réalisme. Pourtant, je pouvais me faire plaisir à bon compte. Je pouvais faire annoncer par Ayrault : "On nationalise partiellement Mittal". Martin (Ndlr : le délégué syndical CFDT alors symbole de la lutte des ouvriers) aurait dit : "Formidable". Mais quinze jours après, tout aurait ��té bloqué, Mitall aurait fermé, et on nous aurait mis en accusation (..) On aura sauvé Peugeot, comme a sauvé Florange aussi d'une certaine façon (..) Mais ça, peu de gens le mesurent".

►Sur le CICE, le pacte de responsabilité et les effets sur l'emploi : "Ce qui fait le résultat de court terme, c'est l'environnement extérieur, et ce qui permet d'avoir un meilleur résultat à moyen terme, c'est la politique intérieure. Les mesures qu'on prend en 2012 - par exemple, le CICE- confirmées en 2014 avec le pacte de responsabilité, elles n'auront d'effet réel que deux ans après. Les mesures prises en 2012 commencent à se percevoir début 2015. Le pacte, son effet, au mieux, ce sera en 2016. D'une certaine façon, on travaille toujours pour son successeur".

Sur la loi Macron : "Sur la loi Macron, j'ai trouvé que le débat avait été excessif (..) Ceux qui la considéraient comme la loi du siècle et ceux qui la dénonçaient comme une trahison. En quoi il y a eu trahison ? Le travail le dimanche ? On voit combien la loi Macron a posé des verrous puisqu'il faut un accord majoritaire, et c'est un des problèmes. La loi Macron n'est pas une loi qui met en cause les valeurs de la gauche".

Sur l'idée un temps envisagée de nommer Emmanuel Macron ministre du Travail : "Il gardait l'Economie et il prenait en plus le Travail ou, seconde option, il pouvait basculer complètement au Travail". Mais devant l'hostilité des syndicats et notamment de la CFDT à l'idée d'une telle nomination, le chef de l'Etat change ses plans, observent les journalistes.

Sur le temps de travail : "Si nous on se mettait à dire : "Voilà, on abroge les 35 heures", je pense que ce serait un recul, il faut quand même qu'il y ait des marqueurs. Donc moi, ce que je crois que l'on peut faire, c'est de dire : permettons dans les grandes entreprises des négociations qui accordent plus de souplesse pour le temps de travail".

Sur le bilan de son quinquennat : "Entre la prime d'activité, le tiers payant, la complémentaire santé (..) le compte personnel d'activité, le compte pénibilité, etc. Sur le plan social, dans une période extrêmement difficile du point de vue économique, on aura quand même réussi à faire des avancées importantes. D'une certaine façon, on aura réglé la question des retraites définitivement".

Sur les propositions des candidats à la primaire de la droite et du centre : "Sur le programme économique, ce sera le même. Je pensais qu'il y aurait des différences. Ce sont des personnalités différentes, mais ils se sont eux-mêmes copiés : 80 à 100 milliards d'économies, baisses d'impôts pour les plus favorisés, augmentation de la TVA pour tout le monde, fin des 35 heures, 65 ans pour l'âge de la retraite (..) Juppé dit qu'il faut supprimer 300 000 postes de fonctionnaires dans le quinquennat, ce qui est plus que les départs à la retraite. Donc aucun départ à la retraite ne serait remplacé, mais d'autres devraient être provoqués. Sauf pour l'Education nationale, sauf pour l'armée, sauf pour la police, sauf pour la justice...Qu'est-ce qu'il reste comme fonctionnaires ? Les diplomates et les préfets, peut-être ?! Ça n'a aucun sens (..) Vous trouvez qu'on n'était pas assez à gauche ? Eh bien, vous allez voir ce que c'est que la droite !"

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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