Grève en maison de retraite : l'éclairage québécois

Grève en maison de retraite : l'éclairage québécois

19.09.2017

Action sociale

Les conditions de travail difficiles en Ehpad ne concernent pas que la France. Retour sur une grève considérée comme pionnière au Québec où des salariées précaires travaillant dans des services privés d’hébergement pour personnes âgées ont obtenu, l'an dernier, des hausses de salaires, ainsi qu'une première expérience collective de la mobilisation.

Après 117 jours de grève, les aides-soignantes de l'Ehpad Les Opalines à Foucherans ont repris le travail, la tête haute, début septembre. L'éclairage médiatique donné à ce conflit social (provoqué par un article de Florence Aubenas) a conduit à la mise en place d'une mission flash à l'Assemblée nationale, qui plaide aujourd'hui pour une revalorisation du statut des aides-soignantes. Sans savoir, à ce stade, si cette préconisation sera suivie d'effets, on peut déjà dire que cette grève aura rayonné au-delà des frontières jurassiennes.

Grève dans une quarantaine de maisons de retraite privées au Canada

La lecture de la publication "Chronique internationale" de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) nous donne à voir qu'il n'y a pas qu'en France que les salariés revendiquent pour de meilleures conditions d'emploi : une grève qualifiée d'"historique" s’est déroulée au cours de l’été 2016 dans une quarantaine de maisons privées pour personnes âgées au Québec. Ce mouvement a concerné en majorité des femmes, occupant des emplois précaires, et en grande partie d’origine immigrée. L'étude réalisée par trois chercheuses canadiennes (Louise Boivin, Catherine Vincent et Sophie Béroud) présente les caractéristiques de ce secteur d’activité, puis les stratégies menées par les syndicats pour parvenir à un mouvement coordonné entre les différentes entreprises.

Le mouvement de grève s’est développé autour de la revendication d’un salaire horaire décent d’au moins 15 dollars canadiens (10,07 €), sachant que le taux moyen était alors de 12,11 dollars canadiens (8,13 €) pour les "préposées" aux résidents au premier échelon de l’échelle salariale (1), et de 13,38 dollars (8,98 €) pour celles se situant au dernier échelon salarial.

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Des établissements éparpillés sur le territoire mais relevant de grands groupes

La grève a concerné des établissements d’hébergement à but lucratif, lesquels sont de plus en plus liés à de grandes entreprises. Le groupe de santé français DomusVi, qui a acheté l’entreprise québécoise Groupe Sedna Santé, représente une exception. La majorité sont des entreprises canadiennes ou québécoises spécialisées dans l’immobilier – dont les plus importantes sont Chartwell, Cogir, Réseau Sélection, Groupe Maurice et Groupe Savoie –, ce qui constitue une spécificité nord-américaine. "Ces dernières misent sur la rentabilité d’investissements immobiliers et le recours à une main-d’oeuvre fortement précarisée, majoritairement féminine et souvent issue de l’immigration", rapporte l'étude.

La première difficulté a été de construire une action concertée dans des établissements éparpillés sur le territoire québécois, où les salariés ont des conditions d’emploi peu sûres et où les syndicats sont peu présents. Pour pallier la fragmentation des négociations dans de petites unités (les résidences privées pour aînés), "où le rapport de force est faible et où les syndicats disposent de peu de pouvoir d’action", le Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES) a décidé de coordonner les négociations. Aussi, à partir de fin 2015, un maximum de négociations collectives ont été menées de façon concertée au-delà de chacun des établissements pour peser sur leurs contenus. Dans le cas de grands groupes, il s’est agi de tenter de faire asseoir les directions autour de la même table, de manière centralisée. Ordinairement, la négociation collective et les moyens de pression s’exercent en effet exclusivement au niveau des établissements, en vertu du régime de relations collectives du travail très décentralisé du Québec.

Loi santé du 26 janvier 2016

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Environ 2 585 salariées en grève

Une seule entreprise, la plus importante du secteur au Québec, Chartwell, a accepté de tenir une négociation collective impliquant plusieurs de ses établissements à la suite d’une occupation de ses bureaux par un commando du SQEES. Sur les 41 résidences privées pour aînés (RPA) où la première grève de 24 heures a eu lieu le 11 mai 2016, 33 ont connu une grève illimitée à compter du 21 juin, pour une moyenne de 46 jours. Quelque 2 585 salariées étaient concernées par ce mouvement de grève. Le rapport de force n’a pas reposé que sur la perturbation des activités des RPA durant la grève, mais aussi sur la médiatisation du conflit, relativement étendue à ses débuts. La population a exprimé son soutien localement (klaxons, encouragements verbaux) ainsi que plusieurs résidents des RPA, se disant étonnés d’apprendre le faible niveau des salaires.

Hausses de salaires

Le mouvement de grève a conduit à des hausses de salaire mais n’a pas permis de voir réaliser la revendication centrale, soit un taux salarial horaire de 15 dollars de l’heure pour les préposées du premier échelon, la première année de la nouvelle convention collective. "Ce taux de 15 dollars sera atteint au premier échelon dans une minorité de RPA où une grève s’est tenue, et ce à la troisième ou quatrième année de la convention". Par contre, "au dernier échelon, ce taux de 15 dollars sera atteint dans la majorité des RPA et ce à la troisième année dans la majorité des cas". Après le mouvement de grève, le taux salarial horaire moyen des préposées du premier échelon a augmenté de 3,5 % par rapport au taux moyen antérieur. Celui du dernier échelon a quant à lui augmenté de 4,7 %. L'étude précise que le taux d’inflation moyen en 2015 et 2016 au Québec était de 1 %.

Les gains les plus importants ne se situent toutefois pas sur le plan salarial : "Une importante expérience collective a été acquise sur le plan juridique, médiatique, de la mobilisation et de la solidarité entre catégories d’emploi et entre résidences, même si tout cela a exigé une grande disponibilité des élus nationaux et locaux et des conseillères et conseillers", analysent les chercheuses.

 

(1) Les préposées sont les personnes qui interviennent directement auprès des résidents pour leur fournir aide, accompagnement, surveillance ou assistance, à l’exception des bénévoles et de tout membre d’un ordre professionnel.

Linda Daovannary
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