Handicap : s'il n’est plus tabou, le sexe reste compliqué en institution (1)

Handicap : s'il n’est plus tabou, le sexe reste compliqué en institution (1)

22.02.2017

Action sociale

Pourquoi les personnes en situation de handicap font-elles des enfants lorsqu'elles vivent à domicile, mais pas en institution ? Malgré de nettes améliorations depuis 2002, l'intimité et la sexualité sont loin d'être évidentes en établissement. Un colloque y a été consacré le 9 février à Quimper. Plus d'un millier de personnes y ont participé. Reportage, premier épisode.

Quinze ans après la loi 2002-2, qui garantit pour la première fois le « droit à l’intimité » et le « respect de la dignité » des personnes en situation de handicap, le droit à l'intimité, la sexualité ne sont plus une question ni un tabou. En institution cependant, le sexe reste une pierre d’achoppement. Des initiatives existent certes en établissement médico-social : affichage de chartes sur la vie affective et sexuelle, participation des usagers au conseil de la vie sociale (CVS), création de groupes de parole…

Pourtant, les volets « sexualité », « droit à l’intimité », « égalité hommes/femmes » sont encore loin d’être grands ouverts. La thématique reste source de nombreuses interrogations pour les professionnels comme pour les personnes handicapées elles-mêmes. En témoigne le colloque quimpérois du 9 février dernier organisé par le conseil départemental du Finistère. Plus d’un millier de personnes y ont participé – usagers comme professionnels du secteur du handicap.

Groupes de parole : l’art et la manière

« J’en peux plus, j’ai envie de baiser ! » Un jour, à table, entre la poire et le fromage, un résident du foyer Ty Menez a clamé son ras-le-bol aux autres résidents et professionnels. « Parlons-en ! Nous sommes-nous dits à ce moment-là. Et nous avons décidé de créer un groupe de parole », relate la directrice du foyer de vie pour personnes handicapées. Les professionnels du foyer piloteraient le groupe. Deux professionnels extérieurs l’animeraient, afin de ne pas interférer avec l’intimité de chacun. Un cadre de réflexion a été posé pour les accompagnants. Les groupes furent constitués : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.

Action sociale

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Un an et demi après, l’heure du bilan. Ce qui avait été pensé pour faire tomber la chape de plomb et délier langues et corps avait finalement abouti au contraire. Le cadre intime choisi pour la tenue des ateliers lui avait conféré des allures de secret défense, et accentué le caractère transgressif de la sexualité. Les adultes résidents avaient intégré le fait qu’il ne fallait surtout pas en parler, ou alors seulement pendant la séance dédiée, sacralisée. Résultat, en conclut la directrice du foyer, « le groupe de parole ne peut être à visée éducative. Tout le monde doit être au même niveau et là pour écouter, observer, poser des questions… ». L’histoire ne dit pas si le résident a finalement trouvé une poire pour étancher sa soif…

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La violence à l’issue du silence

Dans la salle, ce retour d’expérience soulève plusieurs réactions. Pour Françoise Daunay, présidente de Lcause à Brest, un accueil pour les femmes victimes de violences, les groupes de parole restent un outil incontournable. « Mais tout dépend de la manière dont on les met en place. La sexualité fait partie du quotidien. Il ne faut pas médicaliser ni la dramatiser par des entretiens individuels avec des professionnels ou par des groupes de parole qui ne seraient pas collectifs et ouverts sur le lieu. » A défaut, prévient-elle, « on récolte la violence. Nous sommes régulièrement appelés en pompier par des structures médico-sociales qui n’ont pas intégré la sexualité comme une composante de la vie de l’établissement. Des personnes passent à l’acte car elles ont été empêchées dans leur sexualité, et qu’aucune parole n’a été posée. »

Sexualité : projet de vie ou projet d’établissement ?

Autre solution, selon un intervenant sur scène, « la sexualité doit faire partie du projet de vie. » « Mais non surtout pas ! » se désole Françoise Daunay. « Est-ce que vous inscrivez la sexualité dans votre projet de vie lorsque vous voulez tirer un coup ? C’est absurde ! L’intimité fait partie de nos droits à tous, handicapés ou pas. » Au contraire, « la sexualité, le droit à l’intimité, doivent être inscrits dans le projet d’établissement, en tant que prérogative collective. Mais rien à voir avec le projet de vie ou projet personnalisé, qui concerne la personne. »

Le Planning familial, appui possible

De son côté, Sterenn, éducatrice en accueil de jour à Fouesnant, estime que le Planning familial peut apporter un soutien précieux en petits groupes dans un premier temps, puis en entretien individuel sur place si la personne en ressent le besoin. L'éducatrice peut accompagner la personne pendant cet entretien individuel si cela permet de se sentir plus à l’aise. « Ces discussions individuelles ou collectives ont vraiment servi à lever des blocages. Il y a eu des révélations, des réflexions approfondies auxquelles je ne m’attendais pas du tout. » Au passage, l’éducatrice s’est rendue compte du poids des normes familiales et des blocages silencieux. « L’une des femmes présentes, en situation de handicap, a dit qu'elle aimerait bien avoir une sexualité, mais qu’elle ne pouvait pas en avoir, comme on n'a pas de sexualité quand on rentre dans les ordres. », explique-t-elle, étonnée par cette dimension qu'elle n'avait jamais perçue chez cette personne.

La volonté politique de faire évoluer les établissements

« Aujourd’hui, il y a une vraie volonté politique pour que la sexualité fasse pleinement et entièrement partie des projets des établissements », estiment la présidente de l’accueil pour femmes Lcause et Anne-Marie Kervern, adjointe au maire de Brest en charge des droits et de la citoyenneté des personnes en situation de handicap. « Mais l’on veut aussi des résultats rapides. Alors que toutes les portes ne vont pas s’ouvrir du jour au lendemain. » Anne-Marie Kervern en sait quelque chose. Elle a mis trois ans à faire comprendre la parité au conseil de la vie sociale dont elle fait partie. « Ces questions sont indissociables du droit des femmes. Il n’y avait aucune femme au CVS lorsque j’y suis arrivée. Ce n’est pas parce qu’on est en fauteuil roulant qu’on n’est pas macho ! Le conseil de la vie sociale a maintenant une présidente à sa tête », nous confie-t-elle, goguenarde.

Une sexualité à domicile, mais pas en institution

Il n’empêche. « Les personnes handicapées qui vivent à domicile ont une sexualité assumée, sont en couple et sont parfois parents », fait remarquer l’adjointe au maire de Brest. « Ce qui n’est pas le cas en institution. Ce qui veut dire que l’institution les en empêche. » Monica Campo, comédienne et formatrice à la maison pour toutes Lcause renchérit. La tristesse affleure. « Je travaille une fois par semaine depuis 2010 avec un groupe de personnes handicapées motrices de l’APF. Je travaille avec eux sur leur rapport au corps, au toucher, à l’expression. Le problème, c’est qu’ils ont intégré qu’ils étaient ‘purs’, sans désir. Et puis si j’essaie de les sortir de la routine quotidienne instaurée par l’institution, c’est rigoureusement impossible. J’ai demandé plusieurs fois à l’association une permission pour qu’ils puissent jouer le spectacle après 17h. Mais non, ils doivent dîner ou prendre les médicaments à heure fixe. Du coup, ils ne voient jamais la nuit. Cela ne favorise pas les rencontres, ni la vie, tout simplement… »

Dans un prochain volet, nous aborderons les apports théoriques de Lucie Nayak sur le sujet, sociologue et chercheure à l’INSERM au sein de l'unité «Genre, santé sexuelle et reproductive».

Marie Pragout
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