Harcèlement sexuel au travail : "Il y a un vrai déni de responsabilité de l'employeur"

Harcèlement sexuel au travail : "Il y a un vrai déni de responsabilité de l'employeur"

08.02.2018

HSE

Le Défenseur des droits lance une campagne sur le harcèlement sexuel au travail. Pour lui, l'urgence n'est pas de changer la loi, mais que les entreprises se saisissent de leur obligation de prévention, et ne rechignent pas à prendre les sanctions nécessaires.

Un sondage réalisé en 2014 pour le Défenseur des droits a révélé que 20 % des femmes actives affirment avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur carrière. Or, "l'entreprise a une obligation de sécurité. Prévenir et lutter contre le harcèlement sexuel fait partie de cette obligation", rappelle Jacques Toubon, le Défenseur des droits, le 6 février 2018 à l'occasion d'une campagne de sensibilisation au harcèlement sexuel au travail. Sandra Bouchon, juriste pour l'autorité constitutionnelle indépendante, précise : l'employeur est obligé de prévenir et de réagir. En effet, l'article L. 4121-2 du code du travail qui définit l'obligation de prévention de l'employeur cite expressément le harcèlement sexuel, et l'article L. 1153-5 du même code dispose que : "L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner".

Les mesures préventives doivent passer par une communication interne, un règlement intérieur clair (article L. 1321-2 du code du travail), un comportement exemplaire de la direction, et de la formation. Cette dernière se limite souvent à la direction et aux DRH, mais descend rarement "sur le terrain", observe Sandra Bouchon. Un arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2017 a considéré que l'employeur qui n'avait pas assuré l'information et la formation de ses salariés pour prévenir la survenance de faits de harcèlement sexuel ne respectait pas son obligation de sécurité. La Cour de cassation a ainsi transposé au harcèlement sexuel les règles posées le 1er juin 2016 en matière de harcèlement moral.

Obligation de réagir 

Côté réaction, il doit s'agir d'une enquête immédiate, impartiale et sérieuse, puis de sanctions, si le harcèlement sexuel est constitué, "alors qu'encore trop souvent c'est la victime qui est sanctionnée", déplore Sandra Bouchon. L'enquête de 2014 avait montré que dans 40 % des cas de harcèlement rapportés à la direction, la résolution s'effectue au détriment de la plaignante d'après elle. "Lorsqu'une femme qui a subi un harcèlement décide d'agir, l'autorité tend encore trop souvent à déplacer la victime pour la protéger, ce qui tend à l'isoler et à lui donner l'impression d'être l'objet d'une sanction", notait Jacques Toubon en janvier dans un avis

À l’inverse, d'après le sondage de 2014, seules 40 % des victimes indiquent qu’une mesure a été prise contre l’auteur présumé (sanction, licenciement, mutation). Le Défenseur des droits rappelle que les procédures disciplinaires et pénales sont indépendantes l'une de l'autre : l'employeur peut se prononcer sur la première sans attendre l'issue de la seconde, éventuellement en cours. De plus, relaxe au pénal ne signifie pas forcément absence de preuves suffisantes pour que l'employeur sanctionne.

 

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Déni de l'employeur

"On était sidérés, on a pris un coup sur la tête, sans doute à cause d'un complexe d'exemplarité", raconte Cendrine Chapel, directrice générale adjointe des services funéraires de la Ville de Paris, structure d'une centaine de salariés. La société respectait la parité à tous les étages, sa politique avait même été récompensée par le label égalité femmes hommes en 2005. Alors, il y a quelques années, quand la direction a pris connaissance d'une situation de harcèlement, c'était la douche froide. 

"Mêmes les entreprises qui ont le label égalité ne sont pas exemplaires en la matière. Il y a un vrai déni de responsabilité de l'employeur, commente Clémence Helfter, de la CGT. Pourtant, les choses ne sont pas si compliquées à faire". La syndicaliste pense à des sanctions contre les entreprises qui n'ont pas de plan de prévention des violences sexistes et sexuelles, ou encore à rendre obligatoire une heure annuelle de sensibilisation pour l'ensemble du personnel. 

Manque de confiance des salariés

"Il y a pas mal de directions qui, en toute bonne foi, n'ont pas conscience du problème", lui répond Cendrine Chapel. Après ce premier cas de harcèlement révélé, son entreprise a décidé de communiquer en interne en rappelant la loi, de modifier le règlement dans ce sens, et de mettre en place un dispositif d'écoute pour les victimes. Depuis le 1er janvier 2018, les structures de plus de 50 salariés ont pour obligation de mettre en place un dispositif de recueil des signalements qu'ils soient relatif à la corruption, à l'environnement... ou à la santé au travail, harcèlements compris, donc.

Depuis, "on a fait des progrès dans la confiance dans l'entreprise", estime la responsable, qui cite un cas récent de harcèlement que le personnel a dénoncé à la direction. "Il faut être vigilants et ouverts pour recueillir les témoignages", reconnaît, avec le recul, Cendrine Chapel. Le sondage de 2014 avait révélé que si 20 % des femmes actives ont déjà été confrontées à une situation de harcèlement au cours de leur carrière, seuls trois cas sur dix sont rapportés à la direction ou à l’employeur et près de 30 % des victimes n’en parlent à personne.

 

 

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"Moment historique"

Affiches et dépliants de sensibilisation seront distribués dans les associations, auprès des inspecteurs du travail ou encore dans les services de santé au travail. Puis à partir du 15 février, la croisade se fera sur les réseaux sociaux, avec, entre autres, des témoignages de victimes et un court-métrage. Des outils construits pour être "compris par le plus grand nombre", précise Romain Blanchard, chargé de mission au Défenseur des droits. 

La campagne du Défenseur des droits était prévue depuis le printemps 2017, mais le scandale Weinstein et ses déflagrations arrivées entre temps lui offrent un écho particulier. Pour le moment, le Défenseur est peu saisi sur le sujet mais "le moment historique" que nous vivons, et "la forte sensibilisation de notre société" qui l'accompagne "doit entraîner une forte augmentation des signalements", espère Jacques Toubon.

Court-métrage qui fera partie de la campagne Web :

 

 

 

Définitions du harcèlement sexuel dans la loi

Le harcèlement sexuel est défini de manière identique dans le code pénal, le code du travail et la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il s'agit d'une double définition :  

  • Des propos ou des comportements à connotation sexuelle non désirés et répétés qui soit portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. 
    Cette définition comprend un spectre suffisamment large pour y inclure  une main sur la cuisse, des propos sur la tenue vestimentaire ou encore la diffusion d'images pornographiques.
    Dans ce dernier cas, il s'agit d'un harcèlement environnemental. Dans un arrêt du 7 février 2017, la cour d'appel d'Orléans le définit comme une situation "où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et les blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables".
  • Une pression grave, même non répétée, dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle. Autrement dit, il peut s'agir d'un chantage sexuel en vue d'offrir une promotion, par exemple. Mais pour Sandra Bouchon et Marylin Baldeck, cette définition pose  un problème de délit assimilé : elle est parfois utilisée pour déqualifier des actes d'agression sexuelle notamment. 

 

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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