Haute-Garonne : bataille pour faire sortir de l'hôtel les mineurs étrangers (très) isolés

Haute-Garonne : bataille pour faire sortir de l'hôtel les mineurs étrangers (très) isolés

05.01.2017

Action sociale

En Haute-Garonne, un collectif militant et des avocates ont dénoncé l'abandon d'une centaine de mineurs isolés étrangers dans des hôtels sans suivi éducatif ni scolarisation. Le juge des tutelles, dans une série d'ordonnances, demande au conseil départemental de tout faire pour en finir avec cette situation indigne. Lequel veut abandonner tout hébergement en hôtel.

"Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas contesté, que le mineur passe ses journées seul, dans un hôtel, sans encadrement régulier, ni réel suivi social, cette situation de délaissement attentant gravement à son développement social, moral et affectif." Dans une ordonnance datée du 20 septembre dernier, le juge des tutelles du Tribunal de grande instance de Toulouse enjoignait le conseil départemental, sous peine d'astreinte (à hauteur de 130 € par jour), de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires "afin d'assurer une prise en charge pérenne et effective du mineur, respectueuse de ses droits." Depuis cette décision, une trentaine d'autres ordonnances ont été rendues avec, à chaque fois, la même conclusion : le conseil départemental doit sortir au plus vite les mineurs isolés étrangers de la situation d'isolement et de non-scolarisation dans laquelle ils sont du fait de leur placement en hôtel.

"Traitements dégradants"

Cette action judiciaire insolite (en tout 80 saisines du juge ont été réalisées) a été enclenchée suite à la mobilisation des travailleurs sociaux (plusieurs manifestations ont eu lieu devant le CD) et au travail du collectif AutonoMIE (Mineurs isolés étrangers). Dans un premier temps, celui-ci a voulu s'opposer au renvoi à la rue de jeunes étrangers ayant dépassé les 19 ans (1). Le collectif s'est alors rendu compte de l'existence de dizaines de jeunes mineurs isolés vivant dans des hôtels et livrés à eux-mêmes. Le contact est alors pris avec des avocates (six en tout) pour porter l'affaire devant la justice et faire reconnaître une situation correspondant aux "traitements dégradants" décrits par la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Me Anita Bouix a ainsi pris en charge une vingtaine de dossiers (2). "Nous avons constaté que certains jeunes étaient en hôtel depuis presque un an et qu'on se contentait de leur donner des tickets pour aller se restaurer au Flunch." Ce désoeuvrement ouvre la voie à toutes les dérives : récemment, un jeune a été arrêté pour un vol à l'étalage.

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés
200 mineurs logés à l'hôtel...

Du côté du conseil départemental (PS), on ne conteste pas la réalité de cette situation, mais on explique que l'ensemble des acteurs est mobilisé pour lui trouver une solution rapide et humaine. "En avril 2016, explique Arnaud Simion, vice-président en charge de l'enfance et la jeunesse, le CD a voté une résolution pour sanctuariser le budget de l'aide sociale à l'enfance (140 M€) qui représente 10 % de celui de la collectivité. Nous avons décidé de diversifier les modes d'accueil et de sortir les personnes de l'hôtel". Selon le décompte fait en avril dernier dans cette résolution, qui vise l'ensemble des mineurs accueillis dans le cadre de l'ASE, 270 enfants étaient placés dans des structures habilitées hors département, 200 mineurs non accompagnées et 430 mères isolées avec enfant de moins de 3 ans étaient hébergés en hôtel. De plus, 70 enfants étaient maintenus dans leur famille alors qu'ils devraient faire l'objet d'un placement.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement
... avec une note salée pour le département

Il est constaté que la solution hôtelière n'en est pas une, et ce pour deux raisons : elle ne permet pas d'assurer un vrai suivi social et elle est très coûteuse. Entre 2012 et 2015, la facture a été multipliée par plus de six, atteignant ainsi 5 M€ par an. Si rien n'est fait, prévoit le CD, la note pourrait atteindre les 10 M€ en 2020. D'où le vote par les élus de la Haute-Garonne du plan Enfance 2020 qui prévoit notamment la création de 450 places en trois ans (3). L'abandon de l'hébergement en hôtel doit permettre de financer ce plan ambitieux.

450 places créées d'ici 2020

Ce choix de la collectivité semble recueillir l'assentiment de tout le monde - ou presque. Mais le calendrier n'est pas jugé tenable par les défenseurs des mineurs. "Il y a un problème de délai, explique l'avocate, car le plan prévoit 450 créations de places d'ici à 2020 alors que la solution hôtelière doit s'arrêter au printemps 2017. De plus, certains jeunes placés dans d'autres départements sont logés dans des foyers pour jeunes travailleurs (FJT) qui ne sont pas adaptés à leur situation de mineur." Sur le premier point, le vice-président se veut rassurant : "Ceux pour qui aucune solution d'hébergement n'aura été trouvée resteront à l'hôtel, même après le printemps." Sur le second point, une travailleuse sociale assure, sous couvert d'anonymat, que les jeunes envoyés dans d'autres départements (Moselle, Haute-Vienne, Hérault...) continuent à être suivis par les services du CD de Haute-Garonne.

Encore 50 jeunes sur le carreau

La mobilisation du département semble avoir porté ses fruits : une bonne centaine de MIE auraient déjà trouvé un hébergement avec un suivi social. Reste une cinquantaine de jeunes toujours à l'hôtel qui cumulent souvent les difficultés. "C'est très compliqué de placer des enfants non francophones qui approchent des 18 ans, confirme la professionnelle du CD. De plus, comme ils n'ont pas fréquenté l'école, ils sont plus difficilement régularisables." Malgré la pression de la justice, la sortie de l'isolement des mineurs étrangers n'est pas pour demain...

 

(1) Cette assertion est contestée vivement par le vice-président du conseil départemental Arnaud Simion : "Jamais nous n'avons mis des jeunes à la rue !"

(2) Le Syndicat des avocats de France a publié le 26 décembre 2016 un communiqué faisant le point sur ce dossier.

(3) 130 places d'hébergement, entre 230 et 300 places d'accompagnements à domicile, transformation de 40 places d'hébergement de jeunes majeurs en places pour hébergement de mineurs.

Noël Bouttier
Vous aimerez aussi

Nos engagements