Hugues Leloix, médecin coordinateur de PSA : "la santé au travail ne relève pas du service de santé au travail"

Hugues Leloix, médecin coordinateur de PSA : "la santé au travail ne relève pas du service de santé au travail"

23.11.2017

HSE

Vieillissement des travailleurs, challenge des TMS, mesures prises après la vague de suicides de 2007, Hugues Leloix, médecin coordinateur du groupe PSA, revient sur la politique santé sécurité de l'industriel, en insistant sur le rôle, d'après lui essentiel, des managers.

Médecin coordinateur du groupe PSA, Hugues Leloix passe 80 % de son temps sur le site de Rennes, où il exerce sa fonction de médecin du travail, et le reste à orchestrer les équipes de santé de l'ensemble du groupe, qui emploie environ 170 000 personnes dans le monde. Nous l'avons rencontré en marge du sommet sur les lieux de travail sains de l'EU-Osha (agence européenne pour la santé sécurité au travail), qui s'est tenu les 21 et 22 novembre 2017 à Bilbao. L'occasion pour nous de lui demander comment l'équipementier français compte relever le défi du vieillissement des travailleurs, quelles sont les mesures prises pour limiter les risques de troubles musculo-squelettiques ou encore, dix ans après la vague de suicides qui a frappé l'entreprise, si le nombre de salariés en situation de stress y a vraiment diminué. 
 
Le sommet de l'EU-Osha porte sur le vieillissement des travailleurs. Êtes-vous concernés par cette problématique chez PSA ?

Hugues Leloix : Dans une entreprise industrielle c'est important d'anticiper cette question parce que l'on fonctionne souvent par vagues de recrutements. De fait, on a donc des populations qui ont des âges assez homogènes, qui vieillissent toutes en même temps. Nous avons actuellement dans le groupe PSA une moyenne d'âge assez élevée, proche de 50 ans.

Comment essayez-vous d'y faire face ?

Hugues Leloix : La première des choses c'était de faire prendre conscience du problème, des impacts que cela peut avoir en matière de maintien dans l'emploi et de capacités à faire fonctionner des installations. Au sein du groupe, une personne s'occupe du maintien dans l'emploi, de l'employabilité, avec qui je travaille au quotidien et dont la responsabilité est d'animer toutes les démarches qui vont permettre d'anticiper ces problématiques, avec les ergonomes par exemple.

Comment se concrétisent ces démarches ? Mobilité en fin de carrière, reconversion… ? On adapte le poste au travailleur ou bien l'inverse ?

Hugues Leloix : Comment on peut éviter que les situations de travail aient un impact significatif sur leur santé et sur leurs capacités à travailler ? Comment prévoir l'évolution de l'état de santé ? Quels aménagements on peut mettre en œuvre ? Souvent, il s'agit d'aménagements lourds en fait. Les process industriels ne sont pas si immuables qu'on peut l'imaginer. Les choses changent régulièrement et les aménagements qu'on a pu faire sont démantelés donc il faut en permanence accompagner ces processus. D'où le rôle de l'ergonomie de conception et l'ergonomie de correction.

 

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Parmi les cinq axes de votre politique de santé sécurité, figure la prévention des TMS. Quelles mesures concrètes prenez-vous ?
Il faut faire en sorte que TMS ne soit pas égal à sortie de l'emploi  

Hugues Leloix : On travaille dans une entreprise industrielle : il y a un peu près les deux tiers de population qui a des tâches manuelles. C'est un vrai challenge. Encore une fois, la partie employabilité est importante, cela consiste à regarder comment on peut continuer à employer des personnes qui ont ces types de problèmes, faire en sorte que TMS ne soit pas égal à sortie de l'emploi. Concernant la prévention, on a une cinquantaine d'ergonomes dans le groupe, qui travaillent sur la conception, les projets et les aménagements des postes. Mais le monde industriel est changeant donc il faut donner aux managers des éléments qui leur permettent de savoir à quel moment les modifications qu'ils ont faites risquent d'avoir un impact sur l'ergonomie et les risques de TMS. Concernant la prévention chez les personnes en situation de travail, on engage chaque salarié à exprimer les difficultés qu'il peut avoir dans la réalisation de son travail, et d'être très attentif aux modifications de son ressenti. Si d'habitude il fait un geste et que brutalement il a des difficultés à le faire, on lui demande d'en parler à son responsable au plus vite afin de traiter le problème avant de ressentir une douleur et de devoir consulter. L’objectif est d’agir le plus en amont et le plus rapidement possible pour éviter la survenue de TMS.

Le salarié transmet donc ces gênes à son manager, non pas lors de la visite médicale ?

Hugues Leloix : Oui, au manager. Je suis convaincu que la santé au travail ne relève pas du service de santé au travail. Nous sommes conseillers de l'entreprise et des salariés, mais si c'est le médecin qui est seul responsable de la santé, cela ne peut pas marcher.

 

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Concernant les risques psychosociaux, on a beaucoup entendu parler de PSA, négativement avec une vague de suicides en 2007, et plus positivement ensuite avec les mesures que vous avez prises (numéro vert, questionnaire...). Qu'est ce qui a changé en dix ans ?
On a pas trop compris ce qui nous arrivait   

Hugues Leloix : Il y a dix ans, dans l'entreprise, quand le médecin parlait de RPS il n'était pas très écouté. Aujourd'hui la plupart des managers ont une formation concernant les risques psychosociaux. On est passé d'un moment où on a pas trop compris ce qui nous arrivait à un moment où nous avons un dispositif très structuré. Dans chaque établissement, existe une structure virtuelle qui réunit le secrétaire du CHSCT, le médecin du travail, l'assistante sociale et le DRH du site. On convient de s'appeler si on prend connaissances d'une situation critique. Ce réseau de vigilance nous permet de ne quasiment pas passer à côté de ces situations. On est maintenant très sensibles à la façon dont on peut aider les managers à être plus pertinents. Tout le monde est motivé sur ce sujet. Ce qui a été vécu a été un choc pour l'entreprise, c'est ce qui permet d'expliquer pourquoi notre dispositif est comme cela aujourd'hui.

 

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D'après l'étude de Stimulus de 2007, un salarié sur cinq était en situation de stress. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Hugues Leloix : Aujourd'hui on est à 7,5 en taux d'excès de stress. Sachant que les salariés répondent à un questionnaire dont le score permet de les classer en peu de stress, stress moyen, excès de stress. Tous se voient proposer ce questionnaire. Tous les ans, près d’un salarié du groupe sur trois est ainsi évalué.

Existe-t-il des différences entre le stress en usine et le stress chez les cadres ?
On essaie de faire en sorte que tous les changements qui se passent dans l'entreprise se fassent sans excès de stress  

Hugues Leloix : Cela dépend des situations parce que nous avons de nombreux établissements. En 2007, à la surprise générale, nous nous sommes rendus compte que les opérateurs étaient plus stressés que les cadres. Maintenant, on voit des variations en fonction de la vie de l'entreprise. Nous avons un taux de 7,5 d'excès de stress, il est probable qu'on ne sache pas faire beaucoup plus bas, on essaie plutôt d'augmenter la proportion des salariés qui sont en "peu de stress", d'avoir un impact favorable sur la motivation professionnelle, et faire en sorte que tous les changements qui se passent dans l'entreprise se fassent sans excès de stress.

En parlant de changement d'organisation, le siège de PSA vient de déménager de Paris à Rueil-Malmaison. Les salariés n'ont plus de bureau attitré. C'est un sacré changement ! Y a-t-il un accompagnement particulier ?

Hugues Leloix : C'est un gros changement. J'ai des collègues médecins du travail qui l'accompagnent. Un plan de formation a été mis en place exprès. On permet, par exemple, aux gens d'exprimer localement, anonymement, les difficultés qu'ils ressentent, via des tableaux dans les services. Vous savez la question du stress et de l'accompagnement du changement ce ne sont pas que des grandes idées. Ce sont aussi des petites choses très pratiques : il manque une prise, la cafetière s'est éloignée de cinq mètres... Ce déménagement est accompagné comme tous les changements, et même de manière peut-être un peu plus intense parce qu'il s'accompagne d'un changement des modes de travail : l'entreprise évolue notamment vers le zéro papier. 

 

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HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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