[interview] Paul Frimat : "La traçabilité du risque chimique, c’est gagnant-gagnant"

[interview] Paul Frimat : "La traçabilité du risque chimique, c’est gagnant-gagnant"

05.10.2018

HSE

Alors que son rapport sur l'exposition aux agents chimiques dangereux – peut-être moins prisé par le gouvernement que le rapport Lecocq-Dupuis-Forest – semble avoir été rendu public en catimini, le professeur Paul Frimat répond �� nos questions. Il nous explique qu'il est "globalement d'accord" avec cet autre document, et revient sur le fait qu'il est "indispensable aujourd'hui de mettre en place une véritable traçabilité" des expositions professionnelles, notamment en misant sur le document unique, "outil d'évaluation et de prévention".

Dans le rapport qu'il a remis depuis plusieurs mois à Muriel Pénicaud sur la prise en compte de l'exposition aux agents chimiques dangereux – et qui a été rendu public en même temps que celui, beaucoup plus médiatisé de Charlotte Lecocq sur l'organisation de la santé au travail –, le professeur Paul Frimat propose notamment d'utiliser la traçabilité collective comme levier de prévention, et estime qu'il ne peut y avoir de juste réparation possible sans traçabilité fiable.

 

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Comment analysez-vous le fait que ce rapport ait été rendu public en catimini ?

Paul Frimat : Je ne sais pas si l’on peut vraiment dire que tout s’est passé en catimini. La vraie question, selon moi, est de s’interroger sur la décision politique éventuelle qui fait que les 3 rapports sur la santé au travail - celui de Charlotte Lecocq, celui de la commission parlementaire avec Pierre Dharréville, et le mien - ont été rendus publics plus ou moins en même temps. Peut-être est-ce pour conforter le fait de mettre sur la table la thématique de la santé au travail auprès des partenaires sociaux. N’ignorons pas pour autant le fait que le gouvernement avait sans doute une appétence plus marquée pour le rapport Lecocq que pour les autres.

L’intérêt de tout ça est que l’on a parlé de la santé au travail. Maintenant, reste à voir si l’on va continuer à en débattre. Reste à voir comment ce petit bouchon qu’est la santé au travail va avancer dans les tumultes des autres débats, sur l’assurance chômage, la retraite, les arrêts maladie… Tout va dépendre de comment les partenaires sociaux, notamment au sein du Coct, se saisissent de la question.

Aujourd’hui, depuis la suppression de la fiche d’exposition, comment s’organise la prévention du risque chimique dans les entreprises ?

Paul Frimat : La suppression de la comptabilité de l’exposition à des produits chimiques en tant que facteur de pénibilité a fait perdre des droits du point de vue de la réparation, et l’employeur y a gagné en terme de calcul - lequel était très complexe, il faut bien le reconnaître. Mais d’un point de vue prévention, soyons honnêtes, cette suppression n’a rien changé.

La Dares constate qu’à peine plus de la moitié des entreprises ont réalisé leur document unique. Et selon une autre enquête, le risque chimique n’était pris en compte, dans le document unique, que par environ un tiers des établissements. Il est là, le vrai problème pour la prévention : le document unique est vécu comme une charge, alors que c’est un outil d’évaluation et de prévention.

Est-il possible de couper à la traçabilité lorsqu’on veut prendre au sérieux le risque chimique ?

Paul Frimat : On ne peut éviter la traçabilité que si l’on fait de la prévention primaire au sens le plus strict, c’est-à-dire si l’on substitue immédiatement la substance par une autre dont on est certain qu’elle ne représente aucun risque. Évidemment, ce cas de figure n’arrive quasiment jamais. Donc la traçabilité est en effet inévitable.

Il est indispensable aujourd’hui de mettre en place une véritable traçabilité. La traçabilité, c’est gagnant-gagnant. C’est un livre de bord qui va permettre à l’employeur, s’il se retrouve confronté dans quelques années à une maladie professionnelle (et cela arrive forcément !), de prouver qu’à telle période, il n’utilisait pas tel produit, ou qu’il avait bien mis en place tel moyen de prévention.

Sur quels points êtes-vous en désaccord avec Charlotte Lecocq ?

Paul Frimat : Il n’y a pas vraiment de points de désaccord, je suis globalement d’accord avec les propositions formulées dans son rapport. J’émettrais cependant deux réserves.

La première est un point sur lequel j’appellerais à la vigilance : le rapport Lecocq-Dupuis-Forest propose d’alléger l’évaluation des risques pour l’employeur, en se limitant aux risques principaux, par secteur, et en supprimant la démarche qui passe aujourd’hui par le document unique. Selon moi, il est essentiel de maintenir ce dispositif. Il faut accompagner les TPE-PME dans l’évaluation des risques, mais il ne faut pas réduire nos exigences sur ce point.

La seconde réserve que j’émettrai concerne la structure régionale pour la santé au travail. Même si je comprends l’intérêt de n’avoir qu’un seul conseil d’administration par région, et que j’approuve la nécessité de mieux coordonner et mutualiser, je n’aurais pas fait ce choix de l’échelon régional. Je préconiserais de rassembler en fonction des territoires et des spécificités. Car même si l’on promet le maintien d’une proximité, je ne vois pas comment cela va fonctionner de façon pertinente. Comment va-t-on faire en Île-de-France, par exemple ? Ou quels sont les points communs entre la Creuse et la région bordelaise ? 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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