Jean Auroux : "Le pouvoir est donné à une technocratie libérale, froide et cynique"

Jean Auroux : "Le pouvoir est donné à une technocratie libérale, froide et cynique"

09.11.2017

Représentants du personnel

Au siège de la CGT à Montreuil, Jean Auroux a fustigé mardi la politique sociale d'Emmanuel Macron. L'ancien ministre du Travail tient pour responsables de la remise en cause des droits des salariés les conseillers sociaux du gouvernement et qualifie "d'erreur fondamentale" la suppression du CHSCT.

Au sein de la salle Mezzanine, située au coeur du siège de la CGT à Montreuil, l'ambiance ce mardi 7 novembre était empreinte de nostalgie. La nostalgie du début des années 1980 où l'alternance politique laissait espérer l'essor des institutions représentatives du personnel, plutôt que leur fusion, et l'octroi de nouveaux droits pour les salariés. Affectée par les bouleversements à venir provoqués par les ordonnances Macron, la cinquantaine de militants et dirigeants syndicaux présents lors de cette conférence organisée par l'Institut de l'histoire sociale de la CGT n'a pas dissimulé sa joie de retrouver un visage amical et familier en la personne de Jean Auroux, ministre du Travail au sein du gouvernement de Pierre Mauroy de mai 1981 à juin 1982. L'auteur des désormais célèbres "lois Auroux", qui ont notamment institué il y a 35 ans le CHSCT, s'est livré à une virulente critique de la politique décidée par le Président de la République.

Les lois Auroux, fruit d'une co-construction avec les syndicats

Face à un auditoire déjà acquis à sa cause, Jean Auroux a commencé par rappeler son engagement syndical, antérieur à tout engagement politique : "Je suis un ancien syndicaliste de la CGT-SNTP. En tant qu'enseignant dans l'enseignement général, mieux rémunéré à l'époque que les enseignants du technique, j'avais milité en faveur de l'égalité des salaires. Mon père, qui avait une petite ferme, était lui même militant syndical et n'avait pas peur de brûler des pneus devant la sous-prefecture !, s'amuse-t-il. En tant que ministre du travail, ma force c'était justement de connaître le monde du travail. C'est pourquoi, lorsque François Mitterand m'a choisi, j'ai immédiatement commencé la co-production législative avec les partenaires sociaux". L'ancien maire de Roanne raconte alors la construction de ses lois : "J'avais côté employeur le CNPF, dont je n'attendais pas grand-chose s'agissant du progrès social, et surtout mes syndicats.

Après 23 ans de gouvernement de droite, l'attente était immense

Lors de mon premier rendez-vous avec la CGT, Henri Krasucki est arrivé avec un énorme dossier, 23 ans de revendications rejet��es par la droite ! L'attente était immense". Et Gérard Alezard, membre de la délégation CGT qui a négocié en 1981 le contenu des lois Auroux, d'intervenir : "Il y a une filiation de Gattaz à Gattaz. En 1981 on a subi le père, Yvon. On a maintenant le fils, Pierre, c'est-à-dire le pire en plus jeune. Le patronat conserve depuis 35 ans ce même souci de réduire les droits des travailleurs au nom de la compétitivité des entreprises. Mais s’il y avait quelque chose d'inédit au début du premier septennat de François Mitterrand, c'était le contexte. À l'époque, tout le monde était en apprentissage, affirme-t-il. Pour la CGT, le défi c'était de passer d'une opposition de principe à un "partenariat vigilant", selon les termes d'Henri Krasucki, avec un gouvernement d'alliance au sein de la gauche". Un constat immédiatement confirmé par Jean Auroux : "La mondialisation n'était pas aussi forte, la société n'était pas aussi individualiste, impatiente, et le patronat n'était pas encore composé de spéculateurs mais de personnes physiques à qui l'on pouvait parler. Ce moment particulier de l'histoire sociale française nous a permis de mettre en oeuvre au cours de l'année 1982 ces lois, j'ose le dire, de progrès social : la création du CHSCT, les 39 heures payées 40, la retraite à 60 ans, le hausse du Smic de 10%, la généralisation de la cinquième semaine de congés payés, etc. Tout cela sans pour autant bloquer l'économie française".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Pour les salariés et représentants du personnel, la comparaison avec le contenu des ordonnances du 22 septembre 2017 peut apparaître bien cruelle : "Je ne supporte pas cette attaque frontale contre le code du travail, accusé d'être illisible et trop volumineux, s'insurge Jean Auroux. D'autant plus que des 50 ou 60 codes publiés chaque année, le code du travail est le plus démocratique. C'est toute l'histoire sociale que l'on y retrouve. Le code du travail fait partie de notre pacte républicain, le mettre en cause c'est menacer la démocratie", avance-t-il. L'ancien ministre tient ainsi pour responsables les conseillers sociaux qui entourent Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Muriel Pénicaud : "Sur ces ordonnances, les pleins pouvoirs ont été donnés à une technocratie libérale, froide et cynique. Libérale car c'est l'argent roi. Froide car on ne retrouve pas la dimension humaine, les individus et les territoires ne sont pas respectés. Cynique car on fait payer le chômage de masse aux travailleurs".

 Supprimer le CHSCT est une erreur fondamentale

Plus précisément, il met en cause une fragilisation du contrat de travail à travers les nouvelles mesures sur les contrats de mission, de chantier, de projet, et la généralisation de l'instance unique de représentation du personnel : "La fusion des IRP est une grave erreur, poursuit Jean Auroux. Le gouvernement met de côté le CHSCT qui est pourtant l'une des institutions les plus dynamiques de France. Dans le cadre d'une société qui évolue toujours plus vite, se priver d'un tel atout, avec des élus devenus avec le temps très compétents, est une erreur fondamentale. Au lieu de soutenir le travail, on l'affaiblit et on favorise le capital. C'est l'affaiblissement de la démocratie, qui pour moi est le partage du savoir, de l'avoir et du pouvoir, dénonce-t-il. Je me demande si les nouvelles règles de négociation des accords d'entreprise ne vont pas favoriser demain une résurgence des syndicats maison comme il en existait à l'époque, téléguidés par la direction".

Travailler tous les sujets pour trouver les failles dans les ordonnances
Cette critique de la politique sociale du gouvernement, largement approuvée par les responsables confédéraux présents, a provoqué quelques réactions : "Les lois Auroux c'était très bien, mais je ne pense pas que Jean Auroux soit destiné à redevenir ministre du Travail, relève Alain Alphon-Layre, secrétaire confédéral de la CGT. Il faut maintenant réfléchir aux alternatives que l'on peut proposer".
Il ne faut pas s'avouer vaincus

En fait d'alternatives, il s'agit plutôt de rechercher les moyens de faire obstacle en entreprise à la mise en oeuvre des ordonnances : "Il ne suffit pas de voter une loi pour qu'elle s'applique, assure Jean Auroux. Il aura par exemple fallu attendre trois ans pour que les délégués syndicaux s'approprient et mettent en oeuvre mes lois. Je n'ai pas de mode d'emploi pour bloquer les ordonnances Macron, mais elles ne sont certainement pas sans failles. Il vous faut maintenant assimiler les nouveautés, et travailler tous les dossiers pour vous emparer des possibilités qui existent encore. Si les négociations collectives sont bien menées, notamment sur les moyens du comité social et économique (CSE), il y a des choses à obtenir. Il ne faut pas s'avouer vaincus dès le départ". Et l'ancien ministre socialiste de conclure son discours de remotivation : "Je sais qu'il n'est pas évident de rester motivé à mouiller la chemise pour les autres, mais vous avez une responsabilité. L'avenir ce n'est pas celui que l'on attend, mais celui que l'on fait".

Julien François
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