L’entreprise : objet (social) de convoitise

L’entreprise : objet (social) de convoitise

26.04.2018

Environnement

Alors que nous ne pouvons ignorer les pires scénarios sur le dérèglement climatique et vivons à un siècle où les entreprises sont plus puissantes que les États, qui peut encore dire qu'il ne faut pas adapter notre code civil, s'interroge Sylvain Guyoton, d'EcoVadis. Pour lui, le rapport Notat-Senart qui servirait de socle au volet social de la loi Pacte va dans le bon sens en remettant les entreprises au cœur de la société. Tribune.

À lire les tribunes sur l’intérêt de réécrire – dans le cadre du projet de loi Pacte (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) – l’article 1833 du code civil régissant les sociétés, on a le sentiment que le gouvernement manipule des barres d’uranium à mains nues.

Rédigé en 1804, le texte inspire au respect, on toucherait au cœur du système. Les plus téméraires proposent d'inscrire la loi dans un capitalisme rénové, beaucoup militent pour une remise au goût du jour de formulations qu’ils jugent désuètes. Les défenseurs de l'immobilisme effraient en invoquant l’ouverture de la boîte de Pandore.

Quelle est la direction à donner au projet de loi Pacte qui sera bientôt présenté par Bruno Le Maire en conseil des ministres ? Révolution, réforme ou statu quo ? La réponse tient dans l’inventaire de ce qui a vraiment changé.

Nous vivons à l'heure de l'anthropocène

Il y a deux cents ans, la nature était le décor immuable de nos activités. L’homme y puisait des ressources mais pensait que celles-ci se régénéraient systématiquement. Nous demeurions au temps du chant du cœur de l’Antigone de Sophocle : la Terre éternelle et infatigable. Aujourd’hui nous savons que nous avons un impact sur notre écosystème, nous vivons à l'ère de l’anthropocène. Les pires scénarios sur le dérèglement climatique envisagent la destruction des conditions viables de vie humaine sur terre.

"Nous sommes sur une trajectoire qui serait d’au moins 3 à 3,5°C… Nous marchons vers l’irréversible", déclarait le président de la République le 22 mars à Bruxelles. Nous jouons avec l'édifice fragile de la biodiversité, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.

Paradoxalement, d’autres pensent que l'être humain est sur le point de devenir quasi-immortel. D’ici la fin du siècle nous pourrions vivre jusqu’à 130 ans (en 1804, l’espérance de vie était d’environ 40 ans).

Autre différence existentielle, à l’époque de Napoléon la science reposait sur les théories. Depuis l'article de Chris Anderson (Wired) en 2008 sur la fin de la théorie, la recherche de la vérité passerait désormais par les big data, en faisant ingurgiter à des machines intelligentes des milliards de données.

Un 21e siècle où les entreprises sont plus puissantes que les états : parmi les 100 entités économiques les plus riches, 69 étaient en 2015 des entreprises (étude Global Justice Now). Des entreprises en perpétuel mouvement, soumises au diktat de la disruption, ayant le plus grand mal à prédire les conséquences de leurs innovations, à orchestrer leurs réseaux d'approvisionnement mondialisés. Des multinationales devenues trans-nationales, poussant les législateurs à utiliser le concept d'extra-territorialité à l’instar de la loi sur le devoir de vigilance.

Dans ce contexte, y a-t-il encore quelqu’un pour dire qu’il ne faut pas adapter notre code civil ?

Les entreprises au cœur de la société

Le rapport Notat-Senart qui servirait de socle au volet social de la loi Pacte va dans le bon sens car il remet les entreprises au cœur de la société, en les obligeant à considérer les effets de leurs activités sur le milieu naturel et sur leurs communautés, et qui plus est, en leur demandant de formaliser dans leurs statuts leur raison d’être qui prendra forcément en compte l’intérêt collectif de l’entreprise. Par ailleurs, le rapport incite à se doter d’un comité des parties prenantes, réduisant de fait l’influence des intérêts purement financiers.

 

► Lire aussi : 

Une entreprise doit être gérée "en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité"

 

Les 14 recommandations sont habiles mais conviendront-elles à la majorité du spectre politique ?

Soyons optimistes car d’une part, les managers croient à la RSE – selon le baromètre ViaVoice, HEC Paris et SNo, 7 cadres sur 10 pensent que la RSE devrait être intégrée à la stratégie de l’entreprise –, et d’autre part les prescriptions Notat-Senart laisseront libre cours aux entreprises qui veulent aller loin dans la poursuite de leur mission sociétale, tout en autorisant certaines à faire le strict minimum. Il y aura mille manières de considérer les enjeux sociaux et environnementaux…

Un menu à la carte qui rend hommage aux pionniers de la RSE et de l’ISR qui n’ont eu de cesse de promouvoir un nouveau modèle managérial, un néo management performant et durable déjà adopté par nombre d’entreprises françaises comme le révélait une étude Le Médiateur des Entreprises / EcoVadis.

Et la finance durable ?

Les préconisations Notat-Senart précisent qu'il reste un autre chantier à attaquer : les investissements. "Le court-termisme et la financiarisation pèsent sur la vie de l’entreprise", souligne le rapport qui renvoie aux recommandations sur la finance durable émises en janvier dernier par le groupe d'expert de haut niveau (HLEG) de la commission européenne. Emmanuel Macron admettait d’ailleurs devant les auteurs de cette feuille de route "qu’il faut reprendre le combat pour la régulation financière". Combat qui sera indispensable si nous voulons réussir l'aggiornamento de notre système économique.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Sylvain Guyoton

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