L’illettrisme, angle mort de l’administration numérique

L’illettrisme, angle mort de l’administration numérique

25.05.2018

Action sociale

Quasi invisibles, les personnes en situation d’illettrisme sont les grandes victimes de l’e-administration. Un groupe de travail réuni par l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) vient d’émettre des premières recommandations à leur intention. Acteurs du social et de l’inclusion numérique sont convoqués.

Après la restitution en début d’année d’une première cartographie des publics en difficulté avec le numérique, l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) a rendu public, le 15 juin dernier, les résultats d’un groupe de travail consacré aux problématiques des personnes illettrées ou maîtrisant mal l’écrit en langue française.

Directement impactées par le développement de l’e-administration, celles-ci constituent avec les personnes âgées une population particulièrement fragilisée. L’Insee estime à 2,5 millions le nombre de Français de 18 à 65 ans en situation d’illettrisme, chiffre auquel se rajoutent les plus de 30 000 adolescents présentant des carences graves dans l’écrit, détectés chaque année lors des tests de la Journée défense et citoyenneté.

À l’heure du tout digital, indique l’Ansa, ne pas maîtriser l’écrit revient à se confronter à un ensemble d’outils et de services en ligne « fondés sur la lecture, la compréhension et la production de textes. » Si les plus scolarisées de ces personnes parviennent à lire des phrases simples, « elles ne saisissent pas nécessairement le sens des textes », notamment dans les questions à choix multiples, et ne peuvent donc répondre convenablement à un formulaire d’ouverture des droits.

Une utilisation de l’Internet, néanmoins…

Dans sa recherche de solutions, l’Ansa remarque toutefois que l’illettrisme ne signifie pas l’exclusion du Net. Outre les « stratégies intuitives développées par les personnes pour s’adapter aux outils numériques », la plupart indiquent connaître les grands sites de services publics (CAF, sécurité sociale, Pole emploi). Elles sont également habituées à l’utilisation des réseaux sociaux, utilisent les outils numériques de communication tels que WhatsApp ou Viber et, pour les migrants ou les primo-arrivants qui ne maîtrisent pas le Français, échangent couramment des informations sur des forums communautaires.

C’est surtout sur le front des sites utiles, comme pour la recherche d’emploi ou pour trouver un logement, que l’illettrisme se paie au prix fort. « Ces sites sont peu connus des personnes elles-mêmes, car il leur est difficile de les utiliser », pointe l’Ansa. Pas toujours ergonomiques, ces services peuvent avoir « un effet repoussoir lors de la première visite » et générer un effet de bouche à oreille négatif.

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L’information, une priorité

Pour sortir de cette situation, l’Ansa propose une stratégie à plusieurs étages. Tout d’abord, contourner la discrétion des personnes illettrées en allant à leur rencontre afin de diffuser la connaissance des ressources utiles sur Internet. L’information pourrait être délivrée par des acteurs du social ou de l’inclusion spécialement formés, soit sur les lieux de passage des personnes (associations, centres sociaux, points d’accès aux droits, bureaux de poste, etc.), soit dans des messages adressés sur les réseaux sociaux, les sites communautaires, voire les médias classiques tels que la presse ou les radios locales.

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Mobiliser sur l’accompagnement

Cette information est inséparable d’une mobilisation des acteurs en faveur d’un accompagnement humain adapté. « Quelle que soit la forme qu’il prend, l’accompagnement d’une personne en difficulté avec l’écrit est une source de renforcement des capabilités et de l’estime de soi », définit l’Ansa. Il est donc « impérieux » qu’elle puisse s’appuyer sur un référent qui l’accompagnera dans son apprentissage ou, à défaut, pourra l’aider dans l’utilisation des services.

« Les espaces publics numériques n’étant généralement pas en mesure de répondre seuls aux besoins d’une personne en difficulté avec l’écrit », c’est donc à un tissage de relations entre les structures proposant des services spécifiques, comme par exemple les associations de lutte contre l’illettrisme, les organismes de formation ou les associations d’accueil de migrants, qu’invite l’Ansa.

Accélérer le chantier de l’accessibilité numérique

Enfin, les expertises recueillies dans le cadre du groupe de travail plaident pour une relance du chantier de l’accessibilité des sites administratifs ou de services en ligne. Elie Maroun, chargé de mission à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), évoque ainsi le développement de « technologies palliatives », tels que des « tutoriels en ligne », « la vocalisation numérique » ou « la traduction numérique » des textes. « La non-maîtrise partielle ou totale de l’expression écrite combinée, pour la majorité de ces personnes, avec l’insuffisance de la maîtrise d’autres compétences de base présente un facteur aggravant leur isolement, leur dépendance, voire leur exclusion », appuie-t-il.

 

Tous les articles de notre série sur "le travail social à l'heure du numérique" sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Michel Paquet
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