"La co-détermination donne au patron une position politique au sens noble du terme"

"La co-détermination donne au patron une position politique au sens noble du terme"

21.12.2017

Gestion du personnel

Olivier Favereau, économiste, dirige depuis 8 ans avec le Père Baudoin Roger, au Collège des Bernardins, un groupe de recherche sur l'entreprise au sein du département "Economie et société". Co-détermination, objet social de l'entreprise, des sujets qu'il connait bien alors que le gouvernement réfléchit à faire évoluer la gouvernance des entreprises.

Cela fait plusieurs années que vous travaillez sur la question de la gouvernance des entreprises. Quelles sont vos conclusions ? (*)

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Nous travaillons sur ce sujet depuis 8 ans et nous avons acquis la conviction que la conception de l'entreprise doit évoluer. Nous sommes partis de la réfutation de l'idée reçue selon laquelle les actionnaires seraient propriétaires de l'entreprise. L'entreprise, organisation économique, n'a pas de statut juridique, à la différence de la personne juridique de la "société". L'actionnaire n'est propriétaire ni de l’une, ni de l’autre. Il est seulement propriétaire de son action, qui lui donne des pouvoirs (participation à l'assemblée générale, droit de vote, etc.) mais pas un droit de propriété. Toute la question est alors de savoir comment articuler la société (les actionnaires) avec l’entreprise, et ses autres membres ou parties prenantes : salariés, fournisseurs, clients, riverains, etc.

Il faut donc faire évoluer la gouvernance de l'entreprise et sa définition ?

En effet, si les actionnaires ne sont pas les propriétaires, pourquoi seraient-ils les seuls à pouvoir désigner des représentants au conseil d'administration ? En rester là serait assimiler l'assemblée générale à une assemblée générale de copropriétaires dont le conseil d'administration serait le syndic. Or, les actionnaires ne sont pas des co-propriétaires et les administrateurs ne sont pas leurs mandataires mais ceux de la société. C'est pourquoi il est urgent de modifier les articles 1832 et 1833 du code civil [qui définissent l'objet de l'entreprise et parlent de l'intérêt social sans le définir]. Le député Dominique Potier vient de déposer une proposition de loi précisant que la société doit être gérée dans l'intérêt de l'entreprise, ce qui ouvre  les conseils d'administration à la défense d’autres intérêts que ceux des seuls actionnaires, et débouche logiquement sur la présence des salariés dans les conseils.

Vous défendez donc vivement un système de co-détermination ?

Il faut être conscient que la France est en retard par rapport au reste de l’Europe germanique ou scandinave et même certains pays de l'Est entrés dans l'UE après la chute du mur de Berlin. Les choses ont certes évolué avec l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi. Pour la première fois, la France a fait entrer un à deux salariés dans les conseils d'administration des sociétés privées. Et la loi Rebsamen a abaissé le seuil à 1 000 salariés, contre 5 000 auparavant.

Mais il faut aller plus loin. D’abord les salariés sont les seuls administrateurs réellement indépendants : ils ne dépendent pas de la direction pour leur nomination. Ensuite, ce sont eux qui s’intéressent le plus naturellement au long terme de l'entreprise. Leur présence au conseil d'administration enrichit ses débats en fournissant un autre éclairage à partir du travail. Enfin cela rend possible l’identification des salariés aux choix stratégiques de l’entreprise.

On a complètement oublié que pendant les années 70, il y avait eu une négociation au niveau européen, d’une part pour harmoniser le droit des sociétés, d’autre part pour créer une société de droit européen. Chaque fois il était envisagé un système de co-détermination, inspiré du modèle allemand. Mais ces discussions n'ont pas abouti. La vague anglo-saxonne néo-libérale des années 80 a tout balay��. Un principe de coopération au sein des entreprises accompagnait donc, à l’origine, le principe de "concurrence libre et non faussée" dans le projet européen.

Comment expliquez-vous les résistances patronales à la co-détermination ?

C’est une résistance compréhensible, car on déstabilise la figure traditionnelle du patron à la française, seul maître à bord. Mais la peur du partage du pouvoir est ici profondément irrationnelle. Comme le prouvent les exemples étrangers, la co-détermination confère une tout autre dimension à la façon dont le patron conçoit son rôle : de représentant des actionnaires, il devient celui qui arbitre entre des intérêts légitimes, ceux des actionnaires et ceux des salariés, sans oublier les autres parties prenantes. La co-détermination donne au patron une position politique au sens noble du terme : Il incarne l'intérêt du collectif humain qu’est l'entreprise.

Le patronat semble moins réticent face à des m��canismes optionnels, comme l'entreprise à mission qui inscrit dans ses statuts de l'entreprise qu'elle poursuit une mission d'intérêt général. L'entreprise se dote alors d'un comité de mission avec un certain pourcentage de salariés. Cela existe déjà dans certains Etats des Etats-Unis. La proposition de loi déjà mentionnée intègre cette possibilité.

Quelle est la place des syndicats dans cette co-détermination ? Quels avantages peuvent-ils en retirer ?

En Europe, là où il y a co-détermination, les syndicats sont forts. En Allemagne et dans les pays scandinaves, les administrateurs salariés peuvent et parfois doivent avoir un mandat syndical. La loi Rebsamen l’interdit de façon jugée incompréhensible par le reste de l’Europe. La proposition de loi suggère de supprimer cette clause.

Davantage de co-détermination dans les entreprises françaises confèrerait une nouvelle fonction aux syndicats. Ils auraient la responsabilité non plus seulement de contribuer à la régulation intra-entreprise mais d'opérer une coordination inter-entreprises. L’expérience européenne montre que cela conduit à des relations moins conflictuelles car plus équilibrées entre pouvoirs publics, associations patronales et confédérations syndicales.

Au total aucune autre réforme "structurelle", ne coûtant rien ni aux entreprises ni à la puissance publique, ne peut se prévaloir d’un tel rapport qualité/prix….

Objet social élargi, co-détermination, au final, la question est de savoir s'il faut réinjecter du collectif dans le monde de l'entreprise ?

Pendant la vague de financiarisation, toutes les structures collectives ont été peu à peu érodées ; ce qui oriente le management ce sont moins les collectifs de travail que la performance et les objectifs quantitatifs, dans des relations de travail individualisées. Toutes les réformes dites de "modernisation" du marché du travail, de 3 ans en 3 ans, consistent à alléger, simplifier, retrancher, fluidifier, au nom de la sacro-sainte flexibilité. La mise en cause récurrente du droit du licenciement l’illustre bien. On remarque que le volet sécurité – toujours en attente - semble n’être plus envisagé qu’au niveau de l’individu en recherche d’emploi.

Certes la flexibilité multiplie les passages sur le "marché" du travail. Il faut donc un meilleur "équipement institutionnel" du chômeur. Mais pourquoi devrait-il s’accompagner d’un "déséquipement" des relations de travail au niveau des entreprises ? Là encore la co-détermination éviterait bien des procès d’intention …

(*) Depuis 2009, Olivier Favereau dirige avec le Père Baudoin Roger, au Collège des Bernardins, un groupe de recherche sur l'entreprise au sein du département "Economie et société".

Florence Mehrez
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