La commission de Cambourg veut intensifier la concurrence entre experts-comptables et commissaires aux comptes

La commission de Cambourg veut intensifier la concurrence entre experts-comptables et commissaires aux comptes

06.07.2018

Gestion d'entreprise

Le rapport sur l’avenir de la profession des commissaires aux comptes, que nous publions, propose de créer un audit optionnel des comptes des petites sociétés. Il veut aussi élargir le périmètre des missions du Cac. Au point d'autoriser la production comptable et le conseil fiscal ?

Bruno Le Maire veut supprimer la présence obligatoire des commissaires aux comptes dans les petites sociétés. La commission présidée par Patrick de Cambourg, créée à la demande du gouvernement, a choisi de ne pas remplacer cette obligation qui va disparaître par une autre — mais pouvait-elle faire autrement eu égard à sa lettre de mission ? Elle propose, dans PDF iconle rapport que nous publions, de créer une mission de contrôle des comptes qui soit optionnelle pour les sociétés commerciales qui ne dépassent pas deux des trois seuils de référence européens (8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés). Toutefois, cette nouvelle mission s’appellerait audit légal PE car elle serait définie dans la loi. D’une durée de trois ans, le mandat comprendrait trois volets. Premièrement, une certification que les comptes sont réguliers et sincères via une assurance raisonnable. Toutefois, le comité de Cambourg préconise que "les diligences à mettre en œuvre pour réaliser cette certification et exprimer l’opinion qui en résulte doivent être proportionnées, ce qui implique une véritable simplification des normes actuelles et l’élaboration de NEP spécifiques". Il propose aussi que cette mission se rapproche du terme attestation afin de se démarquer du terme certification et de se différencier du commissariat aux comptes. D’ailleurs, rien n’est dit sur les obligations de révélation des faits délictueux et de déclenchement de l’alerte par le commissaire aux comptes. Il semble qu’elles soient exclues de cet audit légal PE.

Audit optionnel par le Cac ou par l’expert-comptable

Cette proposition conduirait inévitablement à intensifier la concurrence entre commissaires aux comptes et experts-comptables. Car davantage de petites sociétés commerciales pourraient, en cas de volonté de faire auditer leurs comptes par un prestataire extérieur, se tourner vers l’un ou l’autre de ces professionnels. Rappelons d’ailleurs l’existence, depuis 2017, de la norme 2910 des experts-comptables relatifs à l’audit d’états financiers dans une petite entité. Il resterait toutefois quelques différences et notamment la présence obligatoire dans la mission d’audit légal PE — c’est le second volet proposé par le comité de Cambourg — d’un rapport, établi par le commissaire aux comptes donc, sur la maîtrise générale et prospective des risques. "Il s’agit pour le professionnel d’effectuer une analyse des principales zones de risque identifiées, prévoit le rapport. Cette analyse est le fondement de la démarche de contrôle des comptes mais elle peut aller au-delà de façon prospective et être enrichie au cours de la réalisation de la mission. Elle peut porter entre autres sur les principaux ratios financiers, le crédit interentreprises, les éléments rétrospectifs et prospectifs de profitabilité, la qualité des systèmes comptables et de gestion, la sécurité des systèmes de données, le respect des réglementations sensibles, les dispositifs incitatifs disponibles et utilisés…", illustre-t-il. La frontière entre audit contractuel et audit légal est d’autant plus floue que "la démarche [de ce second volet] peut d’ailleurs s’inscrire dans un cadre pluriannuel, permettant au professionnel, en accord avec le chef d’entreprise, d’approfondir plus particulièrement certains points d’attention particulière". Bref, autant de missions que l’expert-comptable peut lui aussi réaliser si son client le lui demande.

Vers le conseil fiscal délivré par un commissaire aux comptes ?

Et dans le troisième volet de cet audit légal PE, "le chef d’entreprise et le commissaire aux comptes doivent pouvoir convenir de la production d’attestations spécifiques". Il est proposé 6 domaines dans lesquels le commissaire aux comptes pourrait fournir des attestations — y compris lorsqu'il n'est pas chargé d’une mission légale — : 1) sur la situation financière ; 2) sur les prévisions ; 3) sur la fiscalité et la protection sociale ; 4) sur la sécurité juridique ; 5) sur la responsabilité sociale et environnementale ; 6) sur le contrôle interne et les systèmes d’information. Parallèlement, il est préconisé de libéraliser le plus possible, de façon générale, les missions que pourrait réaliser le commissaire aux comptes qui contrôle les comptes d’une entité qui n’est pas d’intérêt public (non EIP). Rappelons que la France a choisi, à la différence du droit de l’Union européenne, d’homogénéiser le régime d'interdiction des services autres que la certification des comptes (Sacc), que la mission de contrôle légal des comptes s’exerce auprès d’une EIP ou non. Le rapport de Cambourg propose que les Sacc fournis aux entités qui ne sont pas d’intérêt public soient analysés dans une logique de sauvegarde — avec toutefois certaines interdictions ciblées — et non plus d’interdiction absolue comme c'est le cas de ceux faisant partie de la liste noire du règlement européen sur le contrôle légal des comptes des EIP. Cette approche d'atténuation ou d'élimination des risques d'atteinte à l'indépendance correspond d'ailleurs à ce que prévoit le droit de l'Union européenne concernant le contrôle légal des comptes des entités qui ne sont pas d'intérêt public. A titre d’exemple — symptomatique —, le rapport considère que le Cac (d'une entité non EIP) pourrait intervenir à plusieurs titres sur des questions fiscales. Mais, selon nous, le sujet existe aussi sur la production comptable. Le droit de l'Union européenne n'interdit pas de manière absolue au Cac d'une entité qui n'est pas une EIP de produire la comptabilité. Bref, plus que jamais, Cac et experts-comptables deviendraient les frères rivaux de la profession comptable. Toutefois, on ne connaît pas la position du gouvernement sur ces propositions. Bruno Le Maire et Nicole Belloubet devaient publier un communiqué de presse mercredi dernier. Finalement, ils se sont enfermés dans le silence.

Ludovic Arbelet

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