La Croix-Rouge veut redonner aux personnes sans langage le pouvoir de communiquer

La Croix-Rouge veut redonner aux personnes sans langage le pouvoir de communiquer

30.03.2018

Action sociale

Face au retard pris dans la diffusion d'outils numériques de communication alternative, qui permettent aux personnes privées de parole de communiquer, la Croix-Rouge a décidé de prendre les devants. Plus de 70 de ses établissements et services du handicap vont être dotés de kits numériques. Objectif : lancer le débat sur ces dispositifs et forcer la main des pouvoirs publics.

« Qu’aurions-nous connu du physicien Stephen Hawking sans son synthétiseur vocal ? ». La question posée par Céline Poulet, déléguée nationale de la Croix-Rouge française aux personnes en situation de handicap, pourrait paraître provocatrice si, en France, en 2018, des milliers de nos concitoyens en situation de handicap n’étaient pas privés de toute capacité à s’exprimer verbalement… et laissés sans solution.

Polyhandicap, autisme, aphasie, atteintes neurologiques, une quantité de pathologies peuvent en effet se traduire par des troubles graves de la parole venant entraver les interactions sociales. Problème : s’il existe depuis quelques années des outils numériques dits de « communication alternative améliorée » (CAA), qui, via des interfaces tactiles ou visuelles, révolutionnent l’accompagnement des personnes, la France reste très en retard dans ce domaine.

« Plusieurs pays européens ont fait de la communication alternative améliorée une démarche nationale et ont mis en place des dispositifs qui permettent aux personnes d’accéder à ces nouveaux outils, alors qu’en France le sujet n’est même pas encore posé en termes de compétences à mobiliser », déplore la représentante de la Croix-Rouge. En Norvège, par exemple, une personne privée de langage à la suite d’un accident ou d’un handicap qui survient peut bénéficier d’un service de CAA dans les 7 jours, et en Allemagne, le taux d’équipement de ces technologies est de l’ordre de 8 à 10 fois supérieur à celui de la France.

La Croix-Rouge engage son réseau

Afin de faire bouger les lignes, la Croix-Rouge s’est engagée dans un vaste programme de promotion de la CAA au sein de son réseau. Présenté le 12 mars dernier, celui-ci vise à « permettre à toute personne en situation de handicap d’apprendre à communiquer, à exprimer des choix, des attentes, grâce à des outils numériques et des logiciels ludiques. »

L’ensemble des professionnels de l’association seront formés à la démarche de communication alternative et plus de 70 établissements et services pour enfants et adultes handicapés vont recevoir des kits numériques de communication répondant chacun à des besoins types. « Il ne s’agit pas d’équiper toutes les personnes, c’est impossible, précise Céline Poulet. Avec la mise à disposition de kits numériques, les professionnels pourront tester différents outils pour une personne, évaluer leur pertinence, puis aider l’usager ou l’aidant à constituer un dossier de compensation auprès de la MDPH. »

L’idée est de sécuriser le choix de l’outil – qui reste l’un des principaux points noirs dans l’équipement des personnes – et de faciliter la prise de décision de la MDPH en lui soumettant une demande de compensation déjà évaluée par une équipe pluridisciplinaire. De quoi accélérer la diffusion de ces aides spécifiques, attend la Croix-Rouge.

Changer les postures professionnelles

Au-delà de l’accès aux outils, c’est une évolution des pratiques professionnelles qui est visée, assure de son côté Pascale Gracia, formatrice et responsable de COMAutrement, un organisme spécialisé dans la CAA chargé d’accompagner les établissements de la Croix-Rouge. « Mettre en place des aides à la communication suppose de réinterroger le sens des pratiques, à commencer par la place qu’on accorde dans notre pensée à la personne lourdement handicapée. Lui demande-t-on son avis ? L’informe-t-on des changements qui la concernent ? Lui proposer des outils d’expression n’a de sens que si l’on est prêt à écouter ce qu’elle dit. »

Déjà entamée en 2017 auprès de l’encadrement des établissements, la formation visera à élargir la perception des professionnels. Ceux-ci devront se familiariser avec les fondamentaux de la CAA, comme l’utilisation de pictogrammes ou la langue des signes, et accompagner les usagers dans l’évaluation de technologies aussi sophistiquées que la commande oculaire. « L’objectif est que cette technique s’insère dans la vie de tous les jours, jusqu’à par exemple envoyer ses mails, écouter sa musique, aller sur Internet. Tout cela est lié », appuie la formatrice.

Une méthodologie au « pas à pas »

Pour Jean-Yves Quillien, directeur d’un établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) et d’un Sessad, deux institutions de la Croix-Rouge en Seine-et-Marne qui accueillent un public souvent sans langage verbal, le challenge est néanmoins relevé. Engagé dans la mise en place de la communication alternative depuis plusieurs années, il évoque une méthodologie au « pas à pas », en testant à chaque étape l’outil le plus adapté à un enfant donné. Au point où une éducatrice spécialisée se consacre à plein-temps au développement de la démarche.

« Spontanément, les professionnels sont dans la communication non verbale avec les enfants qu’ils accompagnent. L’apport d’une technique de communication va les faire passer dans une dimension plus construite qui laisse moins de place aux interprétations. Cela nécessite d’être porté par l’institution », explique-t-il.

Porter le débat au niveau national

Forte de son engagement, la Croix-Rouge entend interpeller les pouvoirs publics. Selon l’association, l’absence d’outils de communication au sein des établissements suscite des problèmes de comportement majeurs chez de nombreux usagers, pouvant entraîner des ruptures d’accompagnement et des hospitalisations coûteuses.

D’autres publics pourraient également profiter de la mise en place systématique de la CAA, comme les personnes âgées Alzheimer, les personnes autistes ou les victimes d’accident qui sortent d’un coma et ne peuvent exprimer leur douleur. « Il ne s’agit pas d’un problème de moyens, mais d’un problème de volonté et de définition des priorités d’investissement. C’est un enjeu qui dépasse la seule Croix-Rouge et qui doit être porté au niveau national », interpelle Céline Poulet.

Une série de propositions co-écrites avec un collectif d’associations (voir encadré) pourraient être discutées à cette fin lors de la prochaine conférence nationale du handicap, qui se tiendra en mai prochain. L’occasion, espère la Croix-Rouge, de poser un cadre au déploiement d’outils devenus essentiels pour une société réellement inclusive.

 

Un plan d’actions pour la CAA

La Croix-Rouge propose quatre mesures pour le déploiement de la communication alternative améliorée :

• Financer des packs de services sur des fonds publics. Les outils sont accordés à titre provisoire. Lorsqu’ils ne sont plus utilisés, ils sont redistribués dans le cadre d’une économie circulaire.

• Mettre en place dans les départements des pôles ressources CAA en s’appuyant sur les opérateurs existants. Ces pôles sont dépositaires des outils de CAA. Ils informent et orientent dans le choix des aides.

• Intégrer la démarche de CAA dans tous les projets d’établissements ainsi que dans les projets personnalisés.

• Imposer aux maisons départementales du handicap un traitement de la demande dans les 8 jours.

 

Tous les articles de notre série sur "le travail social à l'heure du numérique" sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

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