La détention, l'utilisation et la divulgation du secret des affaires

02.08.2018

Gestion d'entreprise

Le code de commerce définit enfin le secret des affaires et fixe les conditions dans lesquelles la protection du secret doit être accordée.

Moins de 6 mois après son dépôt à l'Assemblée nationale, la loi relative à la protection du secret des affaires a été adoptée et publiée au Journal Officiel (L. n° 2018-670, 30 juill. 2018 : JO, 31 juill.).
Comme on l'attendait, le texte suit et transpose de nombreuses dispositions très précises et inconditionnelles de la directive du Parlement européen et du Conseil de 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites  (Dir. (UE) 2016/943, 8 juin 2016).
Remarque : le Conseil constitutionnel a validé le texte de loi rejetant ainsi les arguments présentés par plusieurs députés et sénateurs mais aussi par de nombreuses associations, syndicats et sociétés de journalistes qui dénonçaient "une atteinte grave, excessive et injustifiée à la liberté d’expression et de communication" ainsi qu'une "définition trop étendue du secret des affaires, notamment au regard de la protection des salariés" (Déc. Cons. constit., 26 juill. 2018, n° 2018-768DC).

L'article 1er de la loi nouvelle créé un Titre V dans le Livre Ier du code de commerce, intitulé "De la protection des secrets des affaires". Ces nouvelles dispositions prévoient notamment de définir le secret des affaires et les conditions dans lesquelles la protection du secret est accordée. Les conditions d'application devront être fixées par décret en Conseil d'État.

Remarque : à noter que la loi n'introduit aucun mécanisme de protection pénale du secret des affaires.
Quels types d'informations et pour quels usages ?
Trois critères cumulatifs pour définir une information pouvant bénéficier du secret des affaires (C. com., art. L. 151-1)

Ces dispositions reprennent la définition du secret d'affaires telle que prévue par l'article 2 de la directive de 2016. L'information :

- n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

- elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ;
- elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret.

Remarque : cette condition relative à la valeur commerciale pourrait sembler trop restrictive. Les entreprises pourraient tenir secrètes bien d'autres types d'informations sans valeur commerciale mais avec une forte valeur économique (stratégie de l'entreprise, projets de grandes importance, projet industriel, projet de croissance externe...).
Le critère du contrôle pour définir le détenteur légitime d'un secret des affaires (art. L. 151-2 et L. 151-3)
Le détenteur d'un secret des affaires est celui qui en a le contrôle de façon licite. Constituent des modes d'obtention licite :
- une découverte ou une création indépendante ;
- un procédé d'ingénierie inverse, c'est-à-dire l'observation, l'étude, le démontage ou le test d'un produit ou d'un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l'information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l'obtention du secret.
Le détenteur peut ainsi prétendre au bénéfice de la protection légale de ce secret et a qualité pour agir en cas d'atteinte au secret qu'il contrôle.
Remarque : la simple obtention licite ne confère pas, par elle-même, un contrôle sur le secret au sens de la directive de 2016 et donc un droit à agir pour en assurer la protection ; elle exempte simplement celui qui a obtenu le secret de tout risque de condamnation pour atteinte au secret.
L'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites d'un secret des affaires (art. L. 151-4 à L. 151-6)
Obtention illicite Utilisation ou divulgation illicites Obtention, utilisation ou divulgation illicites

Absence de consentement du détenteur légitime. S'il existe plusieurs détenteurs légitimes, chaque détenteur a le contrôle du secret. Si l'un d'entre eux permet régulièrement à une autre personne d'obtenir ou d'utiliser ce secret, celle-ci n'a pas besoin du consentement des autres détenteurs légitimes pour obtenir ou utiliser licitement le secret ;

Accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments ou tout autre comportement considéré comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.

Lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l'article L. 151-4 ou qui agit en violation d'une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.
Lorsque, au moment de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d'une autre personne qui l'utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l'article L. 151-5.
Exceptions à la protection du secret des affaires (art. L. 151-7 à L. 151-9)

Dans plusieurs cas, le secret des affaires ne trouve pas à s'appliquer :

- lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l'UE, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national ;

- lorsque l'obtention du secret est intervenue dans le cadre de l'exercice du droit à l'information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;

- lorsque la divulgation du secret par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l'exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice ;
- car une une protection spécifique est accordée aux journalistes et aux lanceurs d'alerte.
Remarque : rappelons que le lanceur d'alerte est celui qui "révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance" (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 6).
Le régime d'alerte de la nouvelle loi du 30 juillet 2016 vient ainsi se rajouter à celui instauré par la loi de 2016, qui est limité aux personnes physiques et qui impose une procédure d'alerte précise, pour divulguer des informations de nature diverse, là où la directive concerne également les personnes morales, mais uniquement dans le cadre d'une dérogation au secret des affaires, sans prévoir aucune procédure ni aucune protection.
La Commission européenne envisage de présenter prochainement une proposition de directive pour fixer un statut des lanceurs d'alerte, ce qui permettrait à terme une harmonisation des différents régimes applicables en France.
L'engagement de la responsabilité en cas d'atteinte au secret des affaires
Actions en prévention, en cessation ou en réparation d'une atteinte au secret des affaires (art. L. 152-1 à L. 152-4)

Une entreprise qui allègue une atteinte au secret des affaires et la captation illicite d'une information protégée qu'elle détenait peut engager une action devant les juridictions civiles et commerciales, dans un délai de 5 ans à compter des faits qui en sont la cause.

Remarque : précisons que l'auteur d'une atteinte au secret des affaires peut d'abord être condamné, à la demande de l'entreprise lésée par la violation de son secret, au paiement de dommages et intérêts à hauteur du préjudice effectivement subi.

Le juge peut "notamment" :
- interdire la réalisation ou la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires ;
- interdire les actes de production, d'offre, de mise sur le marché ou d'utilisation des produits résultant de manière significative de l'atteinte au secret des affaires ou l'importation, l'exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;
- ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être d��duit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.

Remarque : en application des règles ordinaires de compétence juridictionnelle, les actions civiles devraient ainsi relever de la compétence :
- des tribunaux de commerce lorsque le demandeur et le défendeur à l'action sont tous les deux des sociétés commerciales ;
- des tribunaux de commerce si le litige survient entre une société commerciale et un commerçant ou entre commerçants (C. com., art. L. 721-3) ;
- des tribunaux de grande instance dans les autres cas, notamment en cas de contentieux entre une entreprise et une personne physique.
Réparation du préjudice et mesures de publicité (art. L. 152-5 à L. 152-7)

La juridiction saisie peut, à la demande de l'auteur de l'atteinte au secret, décider du versement d'une indemnité à l'entreprise lésée en remplacement des différentes mesures présentées ci-dessus, lorsque l'auteur de l'atteinte ne savait ni ne pouvait savoir qu'il utilisait un secret obtenu de façon illicite.

Le calcul du montant des dommages et intérêts s'effectue en considération, notamment :

- des conséquences économiques négatives de l'atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;

- du préjudice moral causé à la partie lésée ;

- des bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte au secret des affaires, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte.

Enfin, la juridiction peut ordonner des mesures de publicité de sa décision, aux frais de l'auteur de l'atteinte.

Mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales (art. L. 153-1 et L. 153-2)

A l'occasion de n'importe quelle instance civile ou commerciale, une partie ou un tiers peut alléguer que la diffusion d'une pièce peut porter atteinte au secret des affaires. Le juge peut alors prendre diverses dispositions, d'office ou à la demande des parties ou d'un tiers.

Les dispositions du régime spécifique de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles et commerciales en cas d'instance en réparation d'un dommage causé par une pratique anticoncurrentielle sont, quant à elles, abrogées (C. com., ex-art. L. 483-2 et L. 483-3).

 

 

Stefano Danna, Dictionnaire Permanent Droit des affaires

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