La fin programmée des clauses de verrouillage

La fin programmée des clauses de verrouillage

16.10.2018

Convention collective

Les clauses de verrouillage des accords de branche ont-elles vécu après les ordonnances du 22 septembre 2017 ? C'est à cette question que répond Michel Morand, avocat associé et membre du comité scientifique du cabinet Barthélémy Avocats, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet.

Afin de couvrir davantage l'actualité des branches professionnelles, de mesurer les enjeux auxquels elles sont confrontées, mais aussi d'évaluer les nouvelles missions qui leur sont confiées, nous interrogerons chaque mois un expert du Club des branches du cabinet Barthélémy Avocats. Créé en 2013, le Club des branches est un club d’échanges et de rencontres des représentants des branches professionnelles françaises. Sa vocation est de permettre aux acteurs de branche de se réunir et d’échanger sur les problématiques qui leur sont propres, et d’obtenir un éclairage juridique grâce à l’intervention d’avocats spécialisés.

Le premier volet est consacré au sort des clauses de verrouillage contenues dans les conventions collectives de branche, après l'entrée en vigueur des ordonnances du 22 septembre 2017. Michel Morand, avocat associé et membre du conseil scientifique, augure une disparition inéluctable des clauses d'impérativité.

Une nouvelle articulation des accords collectifs qui affaiblissent l'impérativité des accords de branche

Les clauses d'impérativité, plus connues sous le nom de "clauses de verrouillage" ont été introduites par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle et au dialogue social. Elles permettent aux accords de branche de rendre certaines de leurs dispositions insusceptibles de dérogations dans un sens défavorable par les accords d'entreprise. La loi de 2004 a laissé les branches libres de décider ou non de verrouiller tout ou partie de leurs dispositions.

"Les ordonnances ont modifié les relations entre accord de branche et accord d'entreprise à partir d'un acte manqué de la loi du 4 mai 2004 

Les ordonnances du 22 septembre 2017, en modifiant l'articulation entre les accords de branche et les accords d'entreprise, préfigurent la disparition des clauses de verrouillage. Ce changement de paradigme n'est pas un bouleversement brutal, mais le fruit d'une lente évolution, explique Michel Morand. "Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont modifié les relations entre accord de branche et accord d'entreprise à partir d'un acte manqué de la loi du 4 mai 2004. Cette loi autorisait, pour la première fois, l'entreprise à déroger à la branche mais avec des restrictions tenant à la protection des dispositions conventionnelles négociées avant 2004, aux thèmes protégés auxquels les entreprises ne pouvaient pas déroger et à tout ce qui pouvait être négocié après 2004 avec une clause de verrouillage".

Les branches professionnelles se sont largement emparées de ce garde-fou, empêchant la réforme de produire les effets escomptés. "Il a fallu réfléchir à une autre organisation plus efficace. L'idée selon laquelle la convention collective pouvait être supplétive est apparue dans la loi sur la représentativité syndicale du 20 août 2008". La loi de 2008 permettait ainsi aux entreprises d'aménager le temps de travail de manière à répartir la durée du travail collective sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année. "Apparaît la primauté de l'accord d'entreprise sur les accords de branche. A l'époque, ça n'a pas provoqué beaucoup de remous car c'est la représentativité syndicale qui a suscité l'attention", constate Michel Morand.

Les ordonnances élargissant le champ de la primauté de l'accord d'entreprise au-delà de ce que prévoyait la loi de 2016 

Dans le prolongement du rapport de Jean-Denis Combrexelle, alors président de la section sociale du Conseil d'Etat, la loi Travail du 8 août 2016 a étendu ce régime de supplétivité de l'accord de branche en structurant les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux congés autour de trois strates : les dispositions d'ordre public, le champ ouvert à la négociation et les dispositions supplétives. "En 2017, les ordonnances opèrent de manière beaucoup plus large en élargissant le champ de la primauté de l'accord d'entreprise au-delà de ce que prévoyait la loi de 2016", pointe Michel Morand. Les ordonnances organisent ainsi cette nouvelle articulation en trois blocs. Le premier est constitué des thèmes qui peuvent relever du domaine exclusif de la branche. Le deuxième bloc porte sur quatre thèmes qui pouvaient déjà être protégés par la loi de 2004 auxquels un accord d'entreprise ne peut y déroger que s'il prévoit des garanties au moins équivalentes à celles prévues par la convention collective. Enfin, le troisième bloc est constitué de toutes les autres matières qui relèvent du domaine de la primauté de l'accord d'entreprise.

Les clauses de verrouillage désormais réduites au strict minimum

Dans cette nouvelle architecture, les clauses de verrouillage sont appelées à avoir une place résiduelle. "En donnant la priorité à la négociation d'entreprise, il fallait nécessairement abroger l'article 45 de la loi du 4 mai 2004. C'est ce qu'a fait l'article 16 de l'ordonnance [n° 2017-1385] du 22 septembre 2017", précise Michel Morand.

Les clauses de verrouillage restent donc possibles s'agissant des quatre thèmes que la branche peut préserver :

  • la prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à l'article L.4161-1 du code du travail ;
  • l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés ;
  • l'effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leur parcours syndical ;
  • les primes pour travaux dangereux ou insalubres.
"Les thèmes concernés ne sont pas fondamentaux  

"La branche peut sur ces quatre thèmes, confirmer une clause de verrouillage déjà existante en signant un avenant avant le 1er janvier 2019, que l'accord portant sur ces thèmes ait été signé avant ou après 2004", explique Michel Morand. Reste à savoir si les branches vont faire usage de cette possibilité sachant que la plupart d'entre elles avaient intégré des clauses de verrouillage dans leurs accords. A notre connaissance, seule une branche a pour l'instant signé un accord contenant une clause de confirmation (encadré ci-dessous).

"Les partenaires sociaux ne se sont pas emparés - pour l'instant - de l'article 16 et ce, pour plusieurs raisons. La première tient aux thèmes concernés qui apparaissent un peu marginaux. Les branches se mobilisent donc peu. La seconde tient à la technicité considérable de l'articulation entre les accords de branche et d'entreprise qui nécessite une parfaite connaissance de cette architecture complexe", analyse Michel Morand. Selon lui, la très grande majorité des clauses de verrouillage existantes devraient donc être amenées à disparaître.

 

Le Bâtiment confirme sa clause de verrouillage

La branche du Bâtiment vient de revoir toutes ses dispositions conventionnelles. Elle a en profité pour confirmer le verrouillage de trois des thèmes prévus à l'article L.2253-2 du code du travail (bloc 2).

Elle prévoit ainsi, dans ses accords du 7 mars 2018 visant les ouvriers dans les entreprises dont l'effectif est inférieur ou égal à 10 et dans celles dont l'effectif est supérieur à 10 :

"En application de l'article L.2253-2 du code du travail, les parties signataires de la présente convention confirment le caractère obligatoire :

- de l'accord collectif national du 20 décembre 2011 relatif à la prévention de la pénibilité et à l'amélioration des conditions de travail dans le BTP ;
- de l'article VII-8 de la présente convention, relatif au déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales ;
- et des primes expressément prévues dans les avenants locaux annexés à la présente convention [à noter : les primes ainsi visées ne pourront être que celles qui entrent dans la thématique du bloc 2 : primes pour travaux dangereux ou insalubres].

 

Quant à savoir si de nouvelles clauses de verrouillage pourraient être créées, l'incertitude est de mise. "S'agissant de la prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, les branches ont déjà eu du mal à s'emparer de la pénibilité ; celles qui ont élaboré un référentiel de pénibilité pourraient le faire mais elles sont peu nombreuses. Sur l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, il existe quelques accords mais cela ne poserait pas de problème au niveau des entreprises si elles ne peuvent pas y déroger. Il n'y a pas non plus d'enjeux pour les entreprises pour les primes pour travaux dangereux ou insalubres".

Les branches pourront laisser se paupériser la négociation de branche

Plus généralement, cette négociation des thèmes du bloc 2 renvoie au rôle de la branche et plus particulièrement au caractère supplétif de certaines de ses dispositions. Désormais, "les négociateurs de branche peuvent adopter deux attitudes. Négocier selon les principes de l’article L 2221-1 du code du travail visant à accorder aux salariés de la branche des garanties sociales sachant que sur la plupart des thèmes (sauf ceux protégés ou du domaine exclusif de la branche), l’accord d’entreprise pourra écarter ces dispositions. Soit au contraire considérer que sur le thème de primauté de l’accord d’entreprise, la branche est un peu dessaisie et ainsi laisser se paupériser la négociation de branche. Les options qui seront retenues dans chaque branche ne seront pas uniformes et dépendent de la volonté des négociateurs de branche, ou d’autres paramètres comme la taille des entreprises de la branche".

N’oublions, ou pas, non plus que le rôle supplétif des dispositions de branches est ainsi essentiel en cas de « disparition » de l’accord d’entreprise ayant écarté ces dispositions pendant la durée de cet accord.

Mais la grande inconnue reste la dynamique de la négociation d'entreprise. "Plus on donne à l'entreprise la capacité à créer sa propre norme sociale, plus cela risque de générer de l'insécurité juridique. Ainsi, la primauté en matière de temps de travail consacrée par la loi du 20 août 2008, n'a pas vraiment été utilisée par les entreprises qui continuent d’appliquer des accords « obsolètes ». Le même constat à court ou moyen terme risque d’être fait sur les autres thèmes de primauté de l’accord d’entreprise, si bien que la négociation de branche aura encore toute sa pertinence sur ces thèmes (indemnité de licenciement, départ en retraite, accessoires de rémunération…".

 

Dispositions sur l'ordre public conventionnel

Afin de renforcer les branches professionnelles face aux critiques tenant à la nouvelle hiérarchie des normes, la loi du 8 août 2016 a demandé aux branches de définir leur "ordre public conventionnel", à savoir les matières dans lesquelles les accords d'entreprise ne pourront pas être moins favorables que les accords de branche. Que vont devenir les rares accords signés ?

"Plusieurs types de clauses ont été signées sur l'ordre public conventionnel, constate Michel Morand. Certaines clauses étaient rédigées de manière minimale, se contentant de reprendre les thèmes protégés par la loi du 4 mai 2004. D'autres ont séquencé les thèmes et dressé la liste des sujets pour lesquels était prévue la primauté de l'accord d'entreprise et ceux qui relevaient de l'ordre public conventionnel. Enfin, d'autres accords visaient tous les thèmes de la convention collective, sauf ceux où l'accord d'entreprise prime en vertu de la loi. Mais aucun de ces accords n'a été étendu ; ils n'ont donc produit aucun effet et sont désormais inapplicables".

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

Découvrir tous les contenus liés
Florence Mehrez
Vous aimerez aussi

Nos engagements