La loi renforçant la lutte contre le terrorisme étend à nouveau les contrôles d'identités frontaliers

13.11.2017

Droit public

Aux termes de l'article 19 de la loi du 30 octobre 2017, contrôles d'identité et vérifications de situation administrative peuvent désormais être autorisés dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers.

A travers la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » et une modification du code de procédure pénale et du code des douanes, le législateur étend une nouvelle fois les possibilités de procéder à des contrôles d’identité de « toute personne » en vue de vérifier « le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ». Ces contrôles sont ainsi possibles dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers, dont les textes réglementaires devraient permettre de mieux mesurer l’étendue.
Remarque : alors qu’elle est largement susceptible d’interroger la question du respect des droits fondamentaux et celle des contrôles d’identité discriminatoires, la loi du 30 octobre 2017 n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel. Il est cependant probable qu’elle donnera lieu à quelques questions prioritaires de constitutionnalité, voire à des questions préjudicielles devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Modification de l’article 78-2 du code de procédure pénale
L’article 19 de la loi du 30 octobre 2017 modifie en premier lieu l’article 78-2 du code de procédure pénale qui liste les hypothèses de contrôle d’identité. Pour rappel, cette disposition énumère trois types d’opérations :
 
- les contrôles d’identité judiciaires (en lien avec la commission d’infractions) ;
 
- les contrôles d’identité administratifs opérés pour prévenir une atteinte à l’ordre public ;
 
- les contrôles d’identité « frontaliers », imaginés en 1993 par le législateur pour compenser la disparition des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.
 
Seuls ces derniers contrôles sont concernés par la réforme.
 
En effet, dans ce cadre, la loi introduit un dixième alinéa à l’article 78-2 qui prévoit que « dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers au sens de l’article 2 du règlement (UE) 2016/399 [...] d��signés par arrêté en raison de l’importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité, l’identité de toute personne peut être contrôlée, pour la recherche et la prévention des infractions liées à la criminalité transfrontalière [...] en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ».
 
Les contrôles d’identité et les vérifications de situation administrative sont ainsi désormais librement autorisés dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour de ces emprises.
Un contrôle autour de certains ports et aéroports...
S’agissant de ces dernières emprises, tous les ports et les aéroports ne sont pas concernés.
 
La loi mentionne en effet les seuls « ports et aéroports constituant des points de passage frontalier au sens de l’article 2 du règlement UE 2016/399 […], désignés par arrêté en raison de l’importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité ».
 
Or, le « code frontières Schengen » (Régl. (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, 9 mars 2016 : JOUE n° L. 77, 23 mars) définit au 8) de son article 2 un point de passage frontalier comme « tout point de passage autorisé par les autorités compétentes pour le franchissement des frontières extérieures ».
Remarque : ces points de passages frontaliers ont été communiqués par la France à la Commission européenne et ont fait l’objet d’une information publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 13 avril 2017 (Inf. n° 2017/C 120/09 : JOUE, 13 avr. 2017). Cette liste exclut a priori de nombreux ports et plusieurs aéroports dits « ouverts au trafic international » en vertu de l’arrêté ministériel du 22 mars 2012 (Arr. 22 mars 2012, NOR : IOCC1117906A : JO, 27 mars 2012), qui ne constituent pas nécessairement des frontières extérieures à l’espace Schengen.
La loi ajoute que l’arrêté qui désignera les ports et aéroports concernés devra reposer sur deux critères : l’importance de la fréquentation et la vulnérabilité.
 
A ce titre, on peut relever que si le premier critère semble facile à envisager (par exemple en prenant en compte le nombre d’avions ou le flux de voyageurs), le second paraît plus obscur dès lors qu’il n’est pas usuel de qualifier comme tel un port ou un aéroport… qu’est-ce qu’un port ou un aéroport vulnérable ? Ce critère est-il lié à l’importance des flux migratoires ?
... dans un rayon d’action de 10 kilomètres maximum
Alors que la première version du projet de loi avait pour résultat d’étendre considérablement les lieux où les interpellations « frontalières » pouvaient avoir lieu (le rayon pouvant aller jusqu’à 20 kilomètres), sa version définitive a finalement fixé le rayon d’action des contrôles à « au plus » 10 kilomètres.
Remarque : on ignore les critères à l’œuvre pour définir la longueur du rayon de 10 kilomètres qui pourrait être choisi par facilité, quel que soit le port ou aéroport concerné. Il est constant qu’un tel rayon, susceptible de varier selon les ports et aéroports, permettra, dans plusieurs grandes villes, d’englober le centre-ville dans le périmètre du contrôle.
La loi précise en outre que la limite de dix kilomètres peut être dépassée, « lorsqu’il existe une section autoroutière commençant dans [le rayon de dix kilomètres autour des ports et aéroports désignés] et que le premier péage autoroutier se situe au-delà des limites de cette zone ». En effet, dans cette hypothèse, les contrôles peuvent avoir lieu « jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes ».
 
Là encore, les péages concernés doivent être désignés par arrêté.
Des garanties pour légitimer le dispositif aux yeux de la CJUE
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 octobre 2017, les contrôles frontaliers étaient autorisés dans les espaces publics des gares, ports et aéroports ouverts au trafic international (désignés par un arrêté ministériel) et dans une zone située entre la frontière terrestre et une ligne tracée de 20 kilomètres en deçà. Le législateur avait étendu les zones frontalières, notamment dans les territoires ultra-marins (où la convention de Schengen n’est pourtant pas applicable).
 
Toutefois parce que, dans ces espaces, les agents de police pouvaient intervenir librement sans avoir à y justifier le choix des personnes interpellées, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 22 juin 2010, aff. C-188/10, Melki ; CJUE 21 juin 2016, aff. C-9/16, A.) avait pointé du doigt le dispositif français en considérant qu’il produisait un effet équivalent au contrôle des frontières intérieures supprimé avec l’acquis Schengen.
 
La loi française avait donc été revue pour prendre en compte les exigences communautaires et l’alinéa 9 (alinéa 8 alors) de l’article 78-2 modifié pour préciser que les opérations de contrôle ne pouvaient ni excéder une durée de six heures, ni être systématiques (C. pr. pén., art. 78-2, al. 4 mod. par L. n° 2011-267, 14 mars 2011).
 
Pour se protéger d’une éventuelle nouvelle censure du juge de l’Union européenne, qui pourrait considérer que le dispositif mis en place par la loi du 30 octobre 2007 revient dans les faits à rétablir les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen, le législateur a donc posé quelques garanties.
 
Tout d’abord, l’opération de vérification des titres et documents doit être pratiquée sur une période au plus de douze heures consécutives dans un même lieu.
Remarque : aux termes de la loi du 30 octobre 2017, cette durée de douze heures (au lieu, donc, des six heures initialement prévues) s’applique désormais également aux contrôles effectués dans la bande terrestre de 20 kilomètres en deçà de la frontière entre la France et les États parties à la convention de Schengen et à ceux opérés dans l’ensemble des ports, gares et aéroports mentionnés par l’arrêté du 22 mars 2012 (Arr. 22 mars 2012, NOR : IOCC1117906A : JO, 27 mars 2012).
Ensuite, l’opération ne peut pas consister « en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones surveillées ».
Remarque : au regard de la jurisprudence, on relèvera qu’il est très difficile de faire valoir le non-respect de cette seconde condition, la police n’étant pas tenue de prouver le caractère aléatoire du contrôle. Quant à la durée de l’opération, elle apparaît confortable, d’autant plus que rien n’empêche la réitération de l’opération le lendemain ou les jours suivants ou le décalage des interventions de quelques kilomètres.
Absence de nullité en cas de révélation d’infraction
De façon classique (en ce sens où plusieurs hypothèses de contrôles d’identité usent de cette même formule) et afin de restreindre ici les cas de nullité, notamment pour détournement de procédure, le législateur ajoute que « le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susmentionnées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ».
Modification du code des douanes
La loi du 30 octobre 2017 modifie également l’article 67 quater du code des douanes. Cette disposition donne en définitive les mêmes pouvoirs de contrôler la détention de titres et documents autorisant le séjour et/ou la circulation en France aux agents des douanes.
 
Il est donc prévu d’étendre, à l’image de ce qui a été fait pour l’article 78-2, les zones d’intervention de ces agents.
 
Dès lors, « pour la recherche et la prévention des infractions liées à la criminalité transfrontalière », les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent « vérifier le respect, par les personnes dont la nationalité étrangère peut être déduite d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé, des obligations de détention, de port et de présentation des pièces ou documents prévus à l’article L. 611-1 » du Ceseda.
 
Comme dans le cadre des contrôles du dixième alinéa de l’article 78-2, ces opérations ne peuvent se dérouler que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers au sens de l’article 2 du règlement (UE) 2016/399. Ports et aéroports qui, là encore, devront être désignés par arrêté en raison de l’importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Nathalie Ferré, Professeur des universités
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