La métamorphose durable du bâtiment

12.04.2018

Environnement

En quelques années, le bâtiment est indéniablement devenu un levier essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Ce mouvement n'a eu de cesse de s'amplifier et de s'approfondir ces derniers mois, et cela ne devrait pas s'arrêter. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Bâtiment passif, bâtiment à énergie positive (BEPOS), bâtiment à haute performance environnementale (BHPENV), bâtiment E+C-,..., les démarches environnementales dans le secteur du bâtiment sont désormais légion.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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NDLR : nous écrivons "BHPENV" pour éviter toute confusion avec le bâtiment à haute performance énergétique (BHPE).

Ces référentiels, anciens ou nouveaux, sont conçus pour limiter l’impact environnemental des constructions nouvelles, réduire leurs consommations énergétiques et limiter les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie de l’immeuble, de l’extraction des matières premières à la déconstruction du bâtiment.

 

Les certifications et labels environnementaux, qu’ils soient l’initiative d’acteurs privés ou d’autorités publiques, sont aujourd’hui nombreux. Autrefois d’application volontaire, on assiste depuis peu à une "juridicisation" de ces référentiels, le législateur n’hésitant plus à y faire référence et à les intégrer dans l’ordonnancement juridique national. C’est ainsi que les référentiels BEPOS et BHPENV sont récemment entrés au Panthéon des règles de droit : aux grandes normes, la planète reconnaissante !

 

Compte tenu de la myriade de référentiels existants et des nouvelles règles applicables, il est utile de rappeler et d’expliquer quelles sont les nouvelles exigences environnementales applicables aux bâtiments neufs (I), avant d’apporter des éclaircissements sur leur mise en œuvre pratique (II).

I  Les nouvelles exigences environnementales applicables aux bâtiments neufs

Dans un objectif d’exemplarité de l’action publique, l’article 8 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (L. n° 2015-992, 17 août 2015) promeut la construction de bâtiments publics à énergie positive et à haute performance environnementale.

Pour mémoire, ledit article dispose que "toutes les nouvelles constructions sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat, de ses établissements publics ou des collectivités territoriales font preuve d'exemplarité énergétique et environnementale et sont, chaque fois que possible, à énergie positive et à haute performance environnementale".

Si l’incise "chaque fois que possible" est porteuse d’une hésitation nuisible à l’efficacité de la norme, elle peut aussi être perçue comme le signe d’une souplesse réglementaire permettant une mise en œuvre progressive de normes exigeantes.

 

Quoiqu’il en soit, l’avenir est tracé : les bâtiments de demain seront à énergie positive (La réglementation BEPOS), à haute performance environnementale (La réglementation BHPENV), voire les deux (Le label E+C-).

La réglementation BEPOS

Il ne s’agit pas d’une nouveauté, le bâtiment à énergie positive existe depuis déjà plusieurs années. La petite révolution réside dans ce que le référentiel BEPOS devrait servir de base à l’élaboration de la future RE 2020 pour les constructions neuves.

 

Pour stimuler le secteur et le préparer à cette nouvelle réglementation, le gouvernement a défini juridiquement la notion de bâtiment à énergie positive. Il s’agit de celui qui permet d’atteindre l’équilibre entre la consommation d'énergie non renouvelable et la production d'énergie renouvelable injectée dans le réseau (D. n° 2016-1821, 21 déc. 2016 ; entré en vigueur le 1er septembre 2017).

 

Pour atteindre cet équilibre, le bilan énergétique du bâtiment doit être inférieur à un seuil défini par arrêté (Arr. 10 avr. 2017, NOR : LHAL1623032A : JO, 19 avr.), seuil pouvant être modulé selon la localisation, les caractéristiques et l'usage de la construction. Preuve que la règle de droit peut prendre en compte les particularismes locaux.

 

En outre, on notera que la réglementation BEPOS fait un renvoi direct au nouveau référentiel "Énergie" (dit "E+C-"), en précisant que le bilan énergétique du BEPOS correspond aux niveaux de performance "Énergie 3" ou "Énergie 4" du label "E+C-" (voir infra).

 

Une fois de plus, en raison de la technicité du sujet et par souci de flexibilité, le gouvernement impose à l’Etat, ses établissements publics et aux collectivités territoriales, de nouvelles obligations dont le contenu est défini par référence à des normes d’application volontaire, en l’occurrence le label "E+C-". Le procédé est désormais connu, il permet aux autorités publiques, corédactrices de ces normes, de maîtriser l’évolution de la réglementation tout en permettant des ajustements réguliers, définis conjointement avec les acteurs de la filière.

La réglementation BHPENV

Le décret du 21 décembre 2016 fait également référence aux bâtiments publics à haute performance environnementale. Plus large que le référentiel BEPOS, celui-ci élargi le périmètre de réflexion. L’attention est portée sur les émissions de CO2 sur l’ensemble de cycle de vie du bâtiment, de l’extraction des matières premières à l’utilisation et la déconstruction du bâtiment.

 

Les émissions sont calculées en tenant compte des gaz à effet de serre émis par le bâtiment (niveau Eges) et de ceux émis par l’ensemble des matériaux de construction et des équipements du bâtiment (EgesPCE). Les niveaux d’émissions doivent atteindre un niveau inférieur ou égal aux niveaux maximum "Carbone 1" ou "Carbone 2" du label "E+C-" (voir infra).

 

La réglementation BHPENV s’intéresse aussi à la quantité de déchets de chantier valorisés pour la construction du bâtiment, aux matériaux faiblement émetteurs en composés organiques volatils, aux installations de ventilation ou encore aux matériaux biosourcés.

 

Il ne s’intéresse donc pas uniquement aux performances énergétiques du bâtiment et est, en-cela, complémentaire de la démarche BEPOS.

Le label E+C-

Le nouvel label E+C- est une initiative conjointe de l’Etat et des opérateurs économiques. Il s’agit d’un label d’application volontaire qui a pour ambition de préfigurer la réglementation de demain.

Construit autour de deux objectifs majeurs, la performance énergétique et la sobriété carbone, ce référentiel se veut la synthèse et l’approfondissement de la réglementation thermique actuelle.

 

S’agissant de l’objectif énergétique, le but n’est pas tant d’augmenter les performances de l’enveloppe et des systèmes énergétiques – des progrès considérables ont déjà été réalisés dans ce domaine au cours des dernières années –, que d’accroître significativement le recours aux énergies renouvelables. L’analyse des 7 premiers projets labellisés "E+C-" montre que le recours aux installations photovoltaïques est largement privilégié pour la production d’électricité. D’autres sources d’énergies renouvelables peuvent néanmoins être mobilisées comme le solaire thermique ou la biomasse pour les systèmes de chaleur renouvelable ou l’éolien et la cogénération pour les systèmes de production d’électricité renouvelable.

 

S’agissant de l’objectif de réduction de l’empreinte carbone du bâtiment, il s’agit d’évaluer précisément les quantités de CO2 émises entre l’extraction des matières premières et la fin de vie de l’immeuble. Cette ambition remarquable nécessite néanmoins la mise en place d’outils de calcul adaptés et la production de données fiables.

 

La réglementation, aussi ambitieuse soit-elle, ne suffit bien évidemment pas. Elle doit s’accompagner d’une modification profonde des pratiques et d’une généralisation des meilleures techniques disponibles.

II La mise en œuvre technique des nouvelles exigences environnementales applicables aux bâtiments neufs

Les professionnels du bâtiment sont conscients de l’impact environnemental de leurs activités et de l’importance de leur rôle dans la lutte contre le changement climatique.

Rappelons que le bâtiment représente 45% de la consommation énergétique, 25% des émissions de gaz à effet de serre et 12 % des déchets du pays.

Les bâtiments neufs performants sont aujourd’hui très peu consommateurs d’énergie. Les bâtiments passifs sont conçus pour favoriser les apports solaires gratuits en appliquant les principes du bioclimatisme (orientation, adaptation au terrain,...) et s’appuient sur une enveloppe thermique isolante très performante. A titre d’exemple, un bâtiment passif consomme 90% de chauffage en moins qu’un bâtiment existant, et deux fois moins qu’un bâtiment construit selon les règles de la RT 2012. Gardons en tête ces chiffres pour comprendre quelles solutions techniques permettent d’aboutir à de tels résultats.

Attacher de l’importance aux détails

Il ne s’agit pas de révolutionner ce que nous faisons déjà mais d’accorder une haute importance aux détails et d’être très exigeant sur la qualité des projets.

 

Cette exigence de qualité doit se retrouver durant les phases de conception, de construction, de prise en main du bâtiment et au cours des opérations d’entretien-maintenance. Tous les acteurs sont concernés : le maître d’ouvrage, qui doit maintenir son ambition tout au long du projet ; l’architecte, véritable chef d’orchestre et organisateur de compétences ; les bureaux d’études ; les entreprises chargées de la construction et/ou de la maintenance du bâtiment ; et enfin les utilisateurs.

 

La première étape consiste à concevoir une enveloppe thermique très performante. La chaleur s’échappe par les murs, le plancher bas, la toiture, les fenêtres, les ponts thermiques, les défauts d’étanchéité à l’air et le renouvellement d’air.

 

Nous disposons aujourd’hui de toutes les épaisseurs nécessaires d’isolants pour isoler fortement un bâtiment. Avec de tels niveaux d’isolation, le vrai sujet concerne le traitement des ponts thermiques.

Le traitement des ponts thermiques

Les ponts thermiques sont une déperdition d’énergie provoqués par une rupture d’isolant ponctuelle lors d’une liaison d’éléments constructifs. On parle aussi de ponts thermiques structurels, lorsque la déperdition est provoquée par le système d’accroche et de pose de l’isolant, par exemple si l’on utilise une équerre métallique en aluminium (conducteur) qui transperce l’isolant lors de la pose. Il faut savoir que "plus les niveaux d’isolation des parois augmentent, plus la part des ponts thermiques dans les déperditions est importante" (T. Rieser 2012 "T17 Les ponts thermiques dans les bâtiments performants"). 

 

Ces derniers peuvent représenter plus de la moitié des déperditions de chaleur d’une construction.

Remarque : sur la modélisation d’un pont thermique d’acrotère et celle d’un pont thermique de plancher intermédiaire, voir document joint.

Il existe aujourd’hui des solutions pour pratiquement chaque pont thermique, mais cela crée une charge de travail supplémentaire lors de la conception et lors de la construction. L’avantage d’une isolation par l’extérieur, est qu’elle permet d’éviter de nombreux ponts thermiques.

En réduisant au maximum les déperditions, on réduit drastiquement les besoins de chauffage d’un bâtiment. Dès lors, si le bâtiment est construit selon les principes du bioclimatisme, une grande partie de ses besoins en chaleur peut être apportée par le soleil, grâce à ses fenêtres. Ajoutez à cela les apports internes et une VMC double flux capable de récupérer 80% de l’énergie de l’air extrait, le résultat est sans appel : certains bâtiments passifs parviennent à se passer totalement de source de chauffage. Cependant, pour la plupart, un chauffage d’appoint reste nécessaire.

L’étanchéité à l’air du bâtiment

Plus un bâtiment est étanche à l’air, moins il consomme d’énergie pour se chauffer et plus il est confortable à vivre (acoustique, courants d’air). En outre, une bonne étanchéité à l’air diminue les risques de pathologies du bâti.

 

Il existe sur le marché plusieurs produits permettant d’assurer la continuité de l’enveloppe étanche, pour tout type de modes constructifs. Les corps d’états secondaires, ceux intervenants après le gros œuvre, sont déjà sensibilisés à ce sujet.

 

Nous présentons ci-dessous quelques exemples de bonnes pratiques dans différents corps d’état :

- menuiserie : les menuisiers doivent assurer la liaison entre le mur et le dormant. Pour cela ils utilisent un joint compribande. Il s’agit d’une bande en mousse expansive qui "gonfle". Son utilisation nécessite une parfaite maîtrise et un soin particulier lors de la pose ;

- électricité / plomberie : les électriciens et les plombiers doivent prévoir un calfeutrement continu pour les traversées de gaines et de conduits, qui ne doivent pas être accolés mais suffisamment espacés pour permettre de reboucher au mortier. Il existe aussi des membranes en caoutchouc EPDM et des bandes adhésives étirables, spécialement prévues pour traiter l’étanchéité à l’air. Cela implique également une meilleure coordination avec le gros œuvre lors de la réalisation des percements et des réservations.

 

Concrètement, cela nous ramène aux fondamentaux de nos métiers, c'est-à-dire à la nécessité d'être attentif au travail des autres et se rappeler que le bâtiment est un sport d’équipe. 

 

Aujourd’hui, un test d’infiltrométrie est imposé pour les constructions nouvelles. Les exigences du bâtiment passif sont nettement plus élevées que les objectifs de la RT 2012. Avec de telles exigences, l’étanchéité à l’air doit être planifiée, les équipes de conception doivent notamment prévoir les détails d’exécution en amont et ne pas attendre le chantier pour découvrir les "points singuliers". L’usage du BIM est un véritable atout car il permet de visualiser le bâtiment en 3D et de naviguer à l’intérieur. Ainsi, il est plus aisé de repérer les "points singuliers" à traiter.

Précision : le sigle BIM signifie "Building Information Modeling" (Modélisation des informations du bâtiment).

Bien entendu certains modes constructifs, telle la construction béton, permettent de faciliter la réussite d’une bonne étanchéité à l’air. Toutefois, en regardant les types de bâtiments certifiés passifs, on se rend compte que tous les modes constructifs sont susceptibles d’être performants. L’expérimentation E+C-, préfiguration de la RE 2020, va plus loin. En s’intéressant à l’analyse du cycle de vie et au bilan carbone des matériaux, elle pose les bases d’un nouveau cadre de réflexion pour les professionnels.

Le recours aux énergies renouvelables

Le recours aux énergies renouvelables est largement encouragé. La production décentralisée et intermittente d’électricité entraîne cependant de nouvelles problématiques à l’échelle du territoire.

 

En effet, le réseau électrique a été conçu à l’origine pour acheminer une électricité produite de façon centralisée, de la centrale vers le lieu de production. L’adaptation des infrastructures et le recours aux smartgrids est aujourd’hui incontournable.

 

Les transformations dans le secteur du bâtiment impactent également le territoire dans son ensemble. Tout est lié, et nous sommes bien en présence d’une vague de fond, d’un changement de paradigme. La filière du bâtiment a toutes les cartes en mains pour être le véritable moteur de ce changement.

 

 

Rémy Costa Alves Jorge Maxime Le Borgne, Cabinet d'avocats ANTELIS

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