La mobilisation des Ehpad ne fait pas plier le gouvernement

La mobilisation des Ehpad ne fait pas plier le gouvernement

31.01.2018

Action sociale

Les personnels des Ehpad et de l'aide à domicile ont répondu à l'appel de toutes les organisations syndicales en se mobilisant et parfois en se mettant en grève. Mais la délégation qui a été reçue par le cabinet de la ministre des solidarités et de la santé n'a pas obtenu de réponses à la hauteur des attentes. Le mouvement devrait se poursuivre.

"Dans mon Ehpad, y'a du travail comme ça..." Sur l'air de "Dans mon pays d'Espagne", les sonos de la manifestation des personnels d'Ehpad et de l'aide à domicile alternent chansons détournées et slogans mobilisateurs ("On va rien lâcher", "Des emplois pour nos aînés"). Ils sont 400 à 500 personnes à se retrouver devant le ministère de la santé dans le très chic VIIe arrondissement parisien ce 30 janvier (1). Tous les manifestants ont répondu à l'appel de l'ensemble des organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC, Unsa et Sud) soutenues par les directeurs de l'AD-PA et des associations de proches de résidents ou de retraités. Beaucoup portent une chasuble de couleur (l'orange pour la CFDT, le rouge pour la CGT, le bleu pour l'Unsa, etc.), mais tout le monde se mélange allègrement. L'ambiance est bon enfant, sans aucune agressivité vis-à-vis des forces de l'ordre qui protègent l'entrée du ministère.

"Ce n'est pas loin de péter"

Dans le cortège, on trouve des tas de professionnels de base venus crier leur ras-le-bol. Parfois on est là par solidarité vis-à-vis de ses collègues. C'est le cas de deux jeunes psychologues (CGT) qui travaillent dans des Ehpad publics du Val-de-Marne. "Ce n'est pas loin de péter, disent-elles. Le taux d'absentéisme chez les soignants est très fort ; le nombre de RTT a été réduit ; des soignants sont régulièrement appelés pendant leurs congés pour venir travailler. Les résidents ressentent cette dégradation des conditions de travail." Toutes deux considèrent que le mouvement ne doit pas s'arrêter en si bon chemin. "Cela fait des années qu'on attend une mobilisation. Il faut un vrai projet de société pour les gens qui vieillissent. Des solutions doivent être trouvées", espèrent-elles.

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L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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"On devient maltraitants malgré nous"

A côté, les militants CFDT s'époumonent sur l'air de "Nous sommes des richesses". Parmi eux, Malika, déléguée syndicale chez Korian, le géant du secteur. "On est sous pression, en sous-effectif, sollicité en permanence. Chaque aide-soignante doit s'occuper de 8 à 10 résidents extrêmement diminués. On fait de l'abattage : 10 à 15 minutes par personne pour la laver, l'habiller et faire son lit. C'est très simple : je cours en permanence." Elle qui travaille depuis 18 ans dans son établissement constate une dégradation du service. "On devient maltraitants malgré nous car on nous maltraite. Je vois des soignants de 40 ans, usés au point de ne plus pouvoir travailler." Elle explique que le groupe Korian dont "les actionnaires s'en mettent plein les poches", est secoué régulièrement par des mouvements de protestation.

Loi santé du 26 janvier 2016

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Quand Laurent salue Philippe

Dans le cortège, on croise la députée France insoumise Caroline Fiat ("la première aide soignante à entrer à l'Assemblée"), le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger qui salue son homologue de la CGT Philippe Martinez. Quelques salariés de l'aide à domicile essaient de tirer leur épingle du jeu, comme Annie venue de Bretagne pour exprimer son besoin d'être reconnue. On y trouve même des TISF comme Valérie : "On ne parle jamais de nous, de la branche famille ; ce n'est jamais le moment", s'exaspère cette militante CFTC.

"C'est possible d'obtenir des réponses"

A quelques mètres de là, campe un petit groupe de militants du syndicat autonome Unsa. Geneviève est responsable syndicale pour une quinzaine d'établissements parisiens où l'Unsa est bien implantée. "Nous vivons une situation exceptionnelle. Je n'ai jamais vu autant de collègues mobilisés, même si tout le monde ne fait pas grève." Elle témoigne des conditions de travail pénibles dans ces Ehpad parisiens. "On se retrouve avec des situations où deux aides-soignantes doivent s'occuper de 28 personnes âgées très dépendantes. C'est l'enfer. Nous sommes dans une vraie maltraitance institutionnelle." Elle aussi est assez confiante sur la pérennité du mouvement. "Dans les équipes, les gens réalisent que c'est possible d'obtenir des réponses à nos difficultés. Il faut absolument qu'on aille vers un ratio d'un soignant pour un résident."

"La relation humaine disparaît peu à peu"

"ABCD en colère (2)"... une dizaine de personnes portent ce bandeau sur le front. Pourquoi sont-elles en colère ? Elles parlent de la fin des emplois d'avenir qui assuraient un rôle important dans leurs établissements, de l'inhumanité qui gagne du terrain. " Regardez comment on soulève des personnes âgées avec des machines. La relation humaine qui est la base de notre métier, disparaît peu à peu", expliquent en choeur Florence et Chantal qui voudraient qu'advienne une nouvelle logique : "Si on accompagne mieux les personnes âgées, on fait reculer la dépendance et on fait gagner de l'argent à la société". Elles aussi estiment que le mouvement ne doit pas s'arrêter là.. "Si on ne fait rien, nos établissements vont devenir des mouroirs comme c'était le cas il y a 50 ans".

"Le Président lâche ses aînés."

Il est plus de quinze heures. La délégation syndicale reçue par une membre du cabinet de Buzyn rend compte du contenu de cette entrevue. Rien de neuf sous le soleil, pourrait-on résumer. Seul point semble-t-il nouveau : l'engagement de geler cette année les suppressions de poste dans les Ehpad concernés par la convergence tarifaire. Pour le reste, des "nous verrons" ou "nous regarderons". Conclusion d'un représentant syndical : "Le gouvernement fait preuve d'autisme par rapport à ce qui se passe dans les établissements." Toutes les organisations devaient se retrouver le soir même pour envisager la suite du mouvement. Rien n'indique qu'il devrait faiblir.

En partant, on croise Malika, la déléguée syndicale de chez Korian. Très remontée. "Je suis scandalisée. Nous n'avons pas été entendus. C'est honteux. Le Président lâche ses aînés."

 

(1) De nombreux autres rassemblements ont eu lieu en régions. Celui d'Angers, par exemple, aurait réuni 1 500 personnes.

(2) ABCD est un groupement d'établissements publics du Val-de-Marne.

Noël Bouttier
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