La qualification de non-professionnel du comité d'entreprise, au sens du code de la consommation, et son impact sur les contrats à tacite reconduction

La qualification de non-professionnel du comité d'entreprise, au sens du code de la consommation, et son impact sur les contrats à tacite reconduction

13.02.2017

Représentants du personnel

Nous vous proposons régulièrement des chroniques rédigées par des membres du comité des CE auprès du Conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables. Aujourd'hui, Francis Marquant, expert-comptable, et Sylvie Alleno, chargée de mission au département des études du conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, s'intéressent à la qualification du CE lorsque celui-ci conclut des contrats avec des fournisseurs.

Le comité d'entreprise peut être amené à conclure des contrats avec des fournisseurs de biens ou des prestataires de services dans le cadre des missions qui lui sont confiées par la loi, y compris des contrats contenant une clause de tacite reconduction. Dans ce cas, est-il considéré comme un professionnel ou un non-professionnel au sens du code de la consommation ?

Une évolution des textes et de la jurisprudence qui clarifie enfin la qualification du CE

Très logiquement, la Cour de cassation a exclu la qualification de "consommateur" s'agissant du CE puisque ne peut être considéré comme consommateur, qu'une personne physique alors que le CE est une personne morale (Cass. soc., 2 avr. 2009, n° 08-11.231).

En revanche, la réponse était moins évidente quant à la qualification de non-professionnel ou professionnel. En effet, si la loi Hamon du 17 mars 2014 avait pris le soin de définir le consommateur comme "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale", la notion de non-professionnel n’avait pas pour sa part, été définie par le législateur.

Ainsi, dans une affaire où le CE avait conclu un contrat tacitement reconductible avec un professionnel prestataire de services et avait résilié ce contrat après la date de reconduction tacite, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait décidé que les dispositions du Code de la consommation précitées ne s'appliquaient pas s'agissant d'un contrat qui avait un rapport direct avec l'activité professionnelle du CE. Pour la chambre commerciale, le CE, dans le cadre de la gestion des ASC, avait donc contracté en tant que professionnel (Cass. com., 16 févr. 2016, no 14-25.146).

Depuis cette décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation, critiquée en ce qu'elle contredisait de nombreux jugements des juridictions du fond qui avait considéré le CE comme un non-professionnel puisqu'il n'exerçait pas d'activité à but lucratif (1), une refonte du Code de la consommation est intervenue à travers l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, entrée en application le 1er juillet 2016.

Quelque peu différente de celle retenue par la jurisprudence, la définition du non-professionnel est la suivante : "Toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole" .

C’est dans ce contexte que le 15 juin 2016, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, anticipant la définition du non-professionnel intégrée au Code de la consommation à compter du 1er juillet 2016, a revu son analyse, et qualifié de non professionnel le comité d’entreprise lorsqu'il conclut un contrat dans le cadre de la gestion des ASC (NDLR : voir l'article d'actuEL-CE du 29 juin 2016). Pour la première chambre civile, l'article L. 2323-83 du Code du travail disposant que "le comité d'entreprise assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires", la gestion des ASC par le CE relève d'une mission légale et non d'une activité professionnelle. Lorsque le CE conclut de tels contrats avec des professionnels, il ne fait qu'exercer sa mission légale et n'agit pas à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. (Cass. 1re civ., 15 juin 2016, no 15-17.369).

L’arrêt de la première chambre civile du 15 juin étant un arrêt "publié", à l’instar de l’arrêt de la chambre commerciale du 16 février, cela démontre bien la volonté de la première chambre civile, qui est le juge naturel dans ce type de dossier, de montrer que l’arrêt de la chambre commerciale n’était qu’un "incident de parcours" dont il convient désormais de ne plus tenir compte, comme le souligne le cabinet Gaillard Avocats (2).

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Conséquences attachées à la qualification de non professionnel : le CE bénéficie des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation

D’après l'article L. 136-1 du Code de la consommation, tout professionnel prestataire de services qui a conclu avec un consommateur ou un non-professionnel un contrat à tacite reconduction doit l’informer par écrit, avant l’arrivée du terme, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat. Il doit le faire au plus tôt 3 mois et au plus tard 1 mois avant la fin de la période dont dispose le consommateur ou le non-professionnel pour faire savoir qu’il ne souhaite pas se réengager. Si le professionnel ne respecte pas cette formalité, son cocontractant peut, à tout moment, mettre un terme au contrat tacitement reconduit. Autrement dit, la tacite reconduction ne joue plus.

En leur reconnaissant la qualité de non professionnels, l’arrêt du 15 juin 2016 permet aux comités d’entreprise de se prévaloir de l’article L. 136-1 du code de la consommation pour échapper à des condamnations qui pouvaient atteindre des montants très importants, correspondant souvent à deux années de prestations non réalisées, parce que les comités d’entreprises, lorsqu’ils souhaitaient mettre fin à un contrat de prestation de services ou tout simplement changer de prestataire, avaient oublié de procéder dans les délais prescrits à la dénonciation du contrat conclu initialement.

Les contrats à l’origine de ces condamnations, souscrits généralement pour une durée initiale de deux années, prévoyaient en effet d’une part une clause de tacite reconduction automatique pour le même délai, sauf dénonciation préalable respectant un certain délai de préavis et d’autre part une autre clause imposant le versement intégral du prix pour toute la période reconduite du contrat en cas de dénonciation tardive.

Ainsi, si par exemple, un comité d’entreprise décidait de changer de prestataire et qu’il oubliait de dénoncer en temps voulu le contrat initial, il devait payer deux fois la même prestation : avec le nouveau prestataire (pour une prestation réelle) et avec l’ancien (sans la moindre prestation). Désormais, les prestataires devront donc attirer l’attention du comité d’entreprise sur l’arrivée proche du terme de la dénonciation sous peine de voir leurs contrats dénoncés à tout moment, ce qui permettra tout d’abord et en pratique de limiter un grand nombre d’oublis.

Resterait–il des doutes sur l’étendue de la qualification de non-professionnel à l’ensemble des missions confiées aux CE par le législateur ?

La rédaction de l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation serait-elle de nature à laisser planer un doute en ce qu’elle lie la qualification de non-professionnel à l'exercice des activités sociales et culturelles définies à l'article L. 2323-83 du Code du travail, pour lesquelles les CE ne disposent pas de contribution financière obligatoire, alors qu’ils disposent d’une subvention obligatoire pour leur fonctionnement ?

En d’autres termes, se pourrait-il que le comité d’entreprise puisse agir en tant que non professionnel quand il gère les activités sociales et culturelles et qu’il agisse en qualité de professionnel lorsqu’il intervient dans le domaine de ses attributions économiques et professionnelles, essentiellement consultatives ?

Cette lecture est assez peu crédible, car la Cour de cassation prend le soin de préciser que le comité exerce ici une mission qui lui a été confiée par la loi, ce qui est également le cas de ses activités économiques.

Pourrait-on considérer que lorsque le comité d’entreprise agit dans le cadre de ses attributions économiques et professionnelles, il exerce à proprement parler une activité professionnelle ?

La question se pose notamment lorsque le CE conclut un contrat avec un expert-comptable, qu’il s’agisse de se faire assister dans ses missions économiques et professionnelles ou qu’il lui confie l’établissement de ses propres comptes ?

Dans ce registre, il n'agit pas davantage à des fins entrant dans le cadre d'une activité professionnelle entendue comme une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole qui lui serait propre. Comme Sébastien Tournaux, professeur à la Faculté de droit de Bordeaux le souligne, "Le comité d'entreprise ne vend rien, ne produit rien, ne créée rien" et diriger ou être membre d’un CE ne s’apparente pas à l’exercice d’un métier ou d’une profession (3).

Le CE est composé de salariés élus non rémunérés pour leurs mandats

Il convient de rappeler, comme le souligne le cabinet Gaillard Avocats dans l’article précédemment cité, que le comité d’entreprise est composé de salariés élus :

  • qui ne perçoivent pas la moindre rémunération dans le cadre de leurs mandats ;
  • qui n’ont aucune compétence professionnelle particulière (ou en tout cas ne sont pas censés en avoir une) et
  • qui sont élus pour une durée limitée, de sorte qu’en l’absence de rappel par le prestataire sur l’arrivée de l’échéance d’un renouvellement de contrat, il est tout à fait possible (voire courant en pratique) qu’il y ait de nouveaux élus n’ayant aucune connaissance des termes approfondis (et parfois peu clairs) des contrats souscrits par leurs prédécesseurs, surtout lorsque ceux-ci n’appartiennent pas à la même majorité syndicale…

Il faut également rappeler que le comité d’entreprise trouve d’abord et avant tout son origine dans l’article 6 du préambule de la Constitution, selon lequel "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

Il faut admettre que les CE de par leur nature atypique restent difficiles à classer dans la nouvelle définition du non-professionnel telle que définie par Code de la consommation, à savoir : "Toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole".  En effet, en aucune manière ils n’ont d’activité que ce soit commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

Il serait appréciable, il est vrai, de pouvoir compter sur une nouvelle décision de la Cour suprême statuant au vu de la nouvelle définition du non-professionnel intégrée au code de la consommation depuis le 1er juillet 2016. Dans cette attente, la prudence recommande d’appliquer l’interprétation de la chambre civile et de retenir la qualification de non-professionnel sans distinction des missions du CE.

par Francis Marquant, expert-comptable, membre du comité CE du conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, et Sylvie Alleno, chargée de mission au département des études du conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables.

 

(1) voir M. Bourgault et J. Cadot, « Le CE : un professionnel au sens du Code de la consommation ? », Les Cahiers Lamy du CE, no 159, mai 2016. Voir aussi l'article d'actuEL-CE du 12 avril 2016

(2) Voir l'article  de Samuel Gaillard, "Contrats conclus par le CE et code de la consommation : l'heureux revirement de la Cour de cassation"

(3) Voir l'article de Sébastien Tournaux, "Le comité d'entreprise, non professionnel au sens du droit de la consommation"

Ordre des experts-comptables
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