"La réponse à donner à la fusion des IRP, c'est de nous implanter dans les entreprises"

"La réponse à donner à la fusion des IRP, c'est de nous implanter dans les entreprises"

08.11.2017

Représentants du personnel

"Les ordonnances nous font courir le risque de n'être plus des représentants syndicaux", a alerté hier Pascal Pavageau, qui succédera en avril à Jean-Claude Mailly à la tête de FO. Dans ce premier salon FO des CE, les élus se sont vus conseiller de négocier des moyens supplémentaires pour leur CSE. L'ambiance n'était guère à la fête, malgré une table ronde sur le thème de la culture.

En ouverture du salon des comités d'entreprise organisée par FO, mardi 7 novembre près de la Tour Eiffel à Paris, Pascal Pavageau, qui devrait succéder à Jean-Claude Mailly à l'issue du congrès FO de Lille en avril 2018, a livré un discours combatif concernant les ordonnances et la politique sociale de l'Exécutif. A ses yeux, l'absorption des différentes instances (CE, DP, CHSCT) dans le futur comité social et économique (CSE) représente clairement une menace, non seulement pour la représentation du personnel dans les entreprises, mais aussi pour l'avenir du monde syndical : "Moins d'élus et moins de moyens pour les IRP dans l'entreprise, ce sont les unions départementales et les fédérations qu'on déshabille", car les militants d'entreprise, accaparés par un mandat polyvalent, n'auront plus de temps à consacrer à leurs instances syndicales extérieures. 

La réponse que nous devons donner, c'est de continuer à revendiquer 

"On peut même se demander si la finalité de cette réforme ne consiste pas à supprimer la représentation syndicale. Le risque, c'est qu'on devienne des représentants du personnel et plus aussi des représentants syndicaux". C'est à dire, faut-il comprendre, des militants n'ayant plus les moyens de faire vivre leurs instances syndicales, celles-là mêmes qui nourrissent l'analyse et les revendications syndicales. Et le secrétaire confédéral d'ajouter à l'adresse des élus de CE présents : "La réponse que nous devons donner à cette fusion des IRP, c'est de nous implanter dans les entreprises, c'est de revendiquer, c'est en somme de faire notre travail de syndicalistes" (*). Pascal Pavageau a également invité les élus à préparer dès à présent les négociations sur la mise en place du CSE dans les entreprises en étant vigilants sur les nouvelles possibilités apportées par les ordonnances : "Ne tombez pas dans le piège de la triennalisation des expertises : trois ans, c'est trop long, vous ne savez pas ce qui peut arriver demain dans l'entreprise. Restez sur un rythme annuel". Le responsable syndical a mis aussi en garde les élus "contre le double piège du cofinancement des expertises du CSE et de la fongiblité des deux budgets de l'instance", les ordonnances rendant désormais possible l'utilisation du reliquat annuel du budget de fonctionnement vers le budget des activités sociales et culturelles (ASC), ou inversement. "Les loisirs et les spectacles, c'est bien sûr important mais les ne considérez pas les ASC comme un moyen de donner du pouvoir d'achat aux salariés. Le pouvoir d'achat, ce n'est pas le CSE qui l'améliore, c'est l'employeur, via des augmentations de salaire revendiquées lors des NAO". Face à ce qu'il a qualifié "d'attaque du monde syndical", dans laquelle il inclut une remise en cause du paritarisme, Pascal Pavageau a lancé un appel à la mobilisation pour le 16 novembre, une nouvelle journée d'action contre les ordonnances à laquelle Jean-Claude Mailly, pourtant réticent, a dû se rallier. 

La nouvelle définition de la masse salariale paraît défavorable pour l'instance 

Sylvie Vercleyen, du cabinet d'expertise Legrand, est ensuite revenue, lors d'un des quatre ateliers de la journée, sur les modifications apportées par les ordonnances concernant les budgets et les expertises. Elle a souligné que le budget de fonctionnement restait de 0,2% de la masse salariale, seules les entreprises de plus de 2 000 salariés devant le porter à 0,22%. Mais la nouvelle définition de la masse salariale donnée dans l'ordonnance sur le CSE risque d'être moins avantageuse pour l'instance car ne seront prises en compte que les rémunérations et gains soumis à cotisations sociales, ce qui exclut les sommes versées à l'occasion de la rupture de CDI. "Pour une entreprise qui ne fait pas ou peu de licenciement, la différence sera faible. Mais pour des entreprises qui sont en restructuration permanente avec des PSE réguliers, les sommes qui ne seront plus prises en compte pour le calcul de la subvention du CSE pourraient être importantes", explique-t-elle.

Sylvie Vercleyen attend en revanche les décrets avant de se prononcer sur l'effet de la prise en compte dans la masse salariale -une autre nouveauté de l'ordonnance- "des sommes effectivement distribuées aux salariés dans l'année de référence en application d'un accord d'int��ressement ou de participation". L'experte-comptable a également mis en garde les élus présents contre la tentation de transférer le reliquat du budget fonctionnement vers les ASC : 'Ne vous transformez pas en comité des fêtes car votre instance va devoir cofinancer davantage d'expertises, sans que ce cofinancement ne soit plafonné" (voir notre article).

Les expertises CHSCT en France, c'est à peine le coût de l'installation d'un ERP dans une entreprise 

Jean-Claude Delgènes, du cabinet Technologia, a également déploré, dans l'atelier consacré au CHSCT, l'effet que produira l'obligation pour le CSE de financer 20% de l'expertise lancée en cas de changement important modifiant les conditions de travail. La charge pesant sur l'employeur de financer les expertises CHSCT n'était pourtant pas si lourde, a-t-il argumenté : "Sur les 26 000 CHSCT qui existent en France, 5% recourent à l'expertise, ce qui représente un budget annuel de 5 millions d'euros, ce qui ne représente même pas le coût d'un budget d'installation d'un ERP (progiciel de gestion intégré) dans une entreprise". Le fondateur du cabinet d'expertise, qui a également regretté la disparition du droit d'alerte des DP sous les 50 salariés, y est aussi allé de ses conseils aux élus. Cela va être compliqué pour vous, a-t-il dit en substance, mais il va vous falloir tenter de négocier pied à pied pour imposer des commissions santé-sécurité-conditions de travail y compris dans les sites de moins de 300 salariés. Comment ? "Faites peser sur l'employeur sa responsabilité en cas de refus. On peut penser qu'en cas d'accident ultérieur ou de maladie professionnelle, sa responsabilité puisse engager s'il a refusé la mise en place d'une commission spécialisée sur la santé, la sécurité et les conditions de travail", a-t-il argumenté, tandis que Didier Porte, de FO, annonçait la volonté de la confédération de contester juridiquement la disparition du CHSCT comme instance autonome. Dans un troisième atelier, Frédéric Gérard, du cabinet Syncea, a pointé le problème de la faible qualité, du point de vue des informations données et de leur actualisation, des bases de données sociales et économiques (BDES) existantes.

Négociez des représentants de proximité 

Raison de plus, a-t-il ajouté, pour se méfier des possibilités données par l'ordonnance de négocier à la baisse le niveau d'information que l'employeur doit livrer pour la consultation annuelle sur les orientations stratégiques. En conclusion de la journée, Jean-Claude Mailly, l'actuel secrétaire général de FO dont la ligne avait été contestée par une partie de la base, a lui aussi demandé aux élus de "négocier le plus possible, partout, le nombre d'élus du CSE, leur crédit d'heures", en tentant de passer un accord favorable de droit syndical comprenant aussi des représentants de proximité. Si "nous avons fait bouger les lignes et sauvegardé la branche", et "si nous avons obtenu qu'en début d'année, il y ait un texte qui nous permettra de nommer des DS de façon plus souple (**), a-t-il estimé, "les ordonnances ne sont pas positives, que ce soit sur la fusion des IRP ou le licenciement". 

 

(*) Une déclaration qui fait penser à l'analyse de Laurent Berger, de la CFDT, qui disait récemment dans une interview à Libération vouloir davantage de présence syndicale auprès des salariés dans les entreprises.   

(**) Si l'on comprend bien, cette disposition viserait, si les autres élus d'un syndicat expriment ne pas vouloir d'un mandat syndical, à permettre à un syndicat de nommer un salarié DS, à la condition toutefois qu'il ait obtenu au mois 10% des voix aux élections, même s'il n'a pas été élu. 

 

Favoriser l'accès à la culture grâce au CE, mission devenue impossible ?
"Il est du rôle des CE de favoriser l'accès à la culture des salariés, cela fait partie de l'émancipation", a souligné Jean-Claude Mailly en conclusion du débat sur le travail et la culture. Nora Miloudi, DS FO de la Redoute, ne pouvait qu'approuver : elle a joué dans une pièce de théâtre écrite par Ricardo Montserrat et qui raconte l'histoire, ou le drame, des salariés de la Redoute, pièce qui met en scène la décision de François Pinault "de nous lâcher, nous les salariés". Un témoignage émouvant : "Notre CE avait une bibliothèque et même un bibliobus qui desservait tous les sites. Un jour, la direction nous a demandé de vider les locaux de tous ces livres. Et le bibliobus a fini dans un champ". Ce drame n'empêche pas, au contraire, la déléguée syndicale de toujours défendre l'action culturelle des CE : "Quand on est élu d'un CE, on n'est pas là pour faire plaisir aux salariés mais plutôt pour leur proposer de faire des choses qu'ils ne feraient pas autrement, comme d'aller en vacances, au théâtre, à la piscine, et c'est ce qui les rendra heureux". En dépit de ce témoignage, le débat a laissé sur leur faim de nombreux élus, qui attendaient des suggestions précises. Ils ont en effet été confrontés à des discours d'analyse du passé (les grandes heures de l'action culturelle des CE de la CGT, l'historien Jean-Pierre Le Crom rappelant qu'il s'agissait aussi à l'époque d'une approche très politique qui passait par le choix d'auteurs plutôt que d'autres, censurés), soit à l'exemple d'un très grand CE, celui d'Airbus Opérations à Toulouse, dont les chiffres ont laissé pantois la salle : 432 salariés employés par le CE, une activité de 80 millions d'euros par an, une salle de spectacles de 390 places, plusieurs terrains de sport, un gymnase, 41 associations, 1 200 prêts et retours chaque jour dans la médiathèque du comité, etc. "Ca rapporte quoi en termes de représentativité ?" a questionné un élu. "En 2014, FO a obtenu 57% des voix aux élections professionnelles. On s'est dit qu'on ne se trompait pas beaucoup dans la gestion des ASC", a répondu la secrétaire du CE, Isabelle Cadillon-Sicre. L'avocat Christophe Baumgarten, du cercle Maurice Cohen, a relativisé ce type d'exemple en observant que la donne avait changé dans la plupart des entreprises, avec des sites éclatés, aux horaires décalés, "si bien qu'il devient difficile d'imaginer des activités sur un même lieu et au même moment". Un propos illustré par un élu de PSA Sochaux : "Notre CE est passé de 400 salariés à 17. Avec le CSE, nous aurons beaucoup moins d'élus. Comment allons-nous faire vivre le comité, comment allons-nous inciter les salariés à aller vers la culture ?" Christophe Baumgarten a estimé que la question des ASC méritait une véritable réforme : "Rien n'a bougé sur les ASC alors que les prérogatives du CE n'ont cessé d'être réformées ces dernières années", a-t-il noté en plaidant pour une mutualisation entre CE sur un même site. 

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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