L'action de groupe en matière environnementale est désormais possible

01.12.2016

Gestion d'entreprise

Exercée devant le juge judiciaire ou administratif, elle tend à la cessation du manquement et/ou à la réparation des préjudices, laquelle peut être individuelle ou collective.

La  loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle (JO, 19 nov.) crée l'action de groupe environnementale. Le nouvel article L. 142-3-1 du code de l’environnement (L., art.89) constitue, à ce titre, l’aboutissement d’un débat parlementaire plus ancien. En 2014, la loi « Hamon » relative à la consommation  avait finalement renoncé à ouvrir cette voie de recours aux actions environnementales, pour la circonscrire strictement à la protection des consommateurs (C. consom., art. L. 623-1 réd. L. n°2014-344, 17 mars 2014, art.1er : JO, 18 mars). Les réticences qui avaient présidé à la réception timide par le système français de la " class action"  américaine ont visiblement été surmontées puisque le texte du 18 novembre 2016 instaure simultanément 3 autres actions de groupe : en matière de discriminations (L. art. 87 et 88), en matière de santé (L. art.90) et en matière de protection des données à caractère personnel (L. art. 91). Leur mise en oeuvre devant  le juge judiciaire et le juge administratif  fait l’objet de dispositions communes (L., art. 60 et s.), auxquelles s’ajoutent quelques modalités propres à chaque type d’action de groupe.

L’engagement d’une action de groupe environnementale est ainsi réservée aux associations agréées et aux associations régulièrement déclarées, depuis 5 ans au moins, dont l'objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ou la défense des intérêts économiques de leurs membres et aux associations de protection de l'environnement agréées (en application de l'article L. 141-1 du code de l'environnement).

Objet de l'action de groupe, qualité pour agir et introduction de l'instance

L’objet de l’action de groupe environnementale est défini largement, par référence aux domaines dans lesquels les associations agréées peuvent se constituer partie civile (protection de la nature et  de l’environnement,  du cadre de vie,  de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages,  l'urbanisme, la pêche maritime, la lutte contre les pollutions et nuisances,  la sûreté nucléaire et radioprotection, les installations classées, les pratiques commerciales et publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur et comportant des indications environnementales, C.envir., art. L.142-2).  Dès lors que plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent des préjudices résultant d'un dommage dans ces domaines, causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée devant une juridiction civile ou administrative.

Cependant, aucune action ne peut être introduite avant l'expiration d'un délai de 4 mois à compter de la réception d'une mise en demeure, préalablement adressée à l’auteur du manquement. Une action trop précoce encourt l’irrecevabilité qui peut d’ailleurs être soulevée d'office par le juge (L., art. 64).  Si la mise en demeure est restée vaine,  la procédure suivie comprendra les 2 phases déjà prévues en droit de la consommation : une phase de jugement sur la responsabilité de l’auteur des faits et une phase de liquidation au cours de laquelle les personnes concernées peuvent adhérer au groupe et obtenir réparation (L. art. 66).

Cessation du manquement, réparation des préjudices
L’objectif  fondamental de l’action de groupe environnementale est de mettre un terme au manquement et de réparer les préjudices corporels et matériels résultant du dommage causé. S’agissant d’une demande de cessation du manquement, le juge enjoint à son auteur de prendre, dans un délai qu'il fixe, toutes mesures utiles à cette fin, le cas échéant sous astreinte liquidée au profit du Trésor public (L. art. 62). Comme l'action de groupe en matière de consommation, les manquements considérés peuvent être aussi bien légaux que contractuels (un effet de "copié-collé" entre les textes est notable). Néanmoins, le fait que l'action de groupe "consommation" soit limitée à la réparation des préjudices patrimoniaux (C. consom., art. L.623-2) prohibait notamment son emploi pour la réparation des préjudices corporels suscités par des produits tels que les pesticides, acquis sur la foi d'indications mensongères quant à leur absence de toxicité sanitaire ou d'informations lacunaires sur leurs risques réels d'utilisation. Les exploitants agricoles, victimes de pathologies, parfois lourdes, causées par l'usage de phytosanitaires, pourraient trouver dans l'action de groupe environnementale un moyen supplémentaire de faire valoir leurs droits à réparation, pour peu qu'une association, satisfaisant aux conditions de recevabilité, engage le recours. Réciproquement, il n'est pas exclu qu'ils soient eux-mêmes les cibles d'une action de groupe environnementale, notamment pour usage irrégulier de produits de traitement.
Les hypothèses d’exercice de l’action de groupe ne sont pas non plus  similaires à celles dans lesquelles les associations agréées de protection de l’environnement peuvent engager une action en représentation conjointe. Afin de faciliter les recours des victimes, la loi « Barnier » du 2 février 1995 a permis aux associations agréées d’être mandatées par au moins 2 personnes physiques ayant subi des préjudices du fait d’une même personne et ayant une origine commune dans les domaines de la protection de l’environnement, pour agir en réparation en leur nom (C. envir., art. L.142-3). Cette action ne permet donc pas d’obtenir la fin d’un manquement aux règles ; en revanche, elle n’est pas limitée à la seule hypothèse d’un comportement fautif, comme l’action de groupe.
Action de groupe et action en représentation conjointe conservent cependant pour point commun : la réparation de préjudices individuels (« corporels et matériels », précise le texte du 18 novembre) ce qui interdit leur usage pour obtenir réparation des préjudices écologiques dans les conditions récemment précisées par la loi n° 2016-1087 du 8 août pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (C. civ., art. 1246 et 1252).
Jugement sur la responsabilité
Lorsque l'action de groupe tend à la réparation des préjudices subis, le juge statue sur la responsabilité du défendeur. Il définit le groupe de personnes à l'égard desquelles elle est engagée, les préjudices susceptibles d'être réparés et le délai dans lequel les personnes souhaitant se prévaloir du jugement peuvent adhérer au groupe (L., art. 66). Il ordonne à cette fin, lorsque le jugement ne peut plus faire l'objet d'un recours, des mesures de publicité à la charge du défendeur (L., art. 67).
Remarque : l'adhésion au groupe n'interdit pas d'agir selon les voies de droit commun pour obtenir réparation des préjudices n'entrant pas dans le champ ainsi défini.
Le juge peut également mettre en oeuvre une procédure collective de liquidation des préjudices si l'association le demande et que les éléments produits ainsi que la nature des préjudices le permettent. Il habilite à cette fin le demandeur à négocier avec le défendeur l'indemnisation des préjudices subis par chacune des personnes constituant le groupe, et  il détermine le montant ou les éléments permettant leur évaluation ainsi que les délais et modalités selon lesquels la négociation et la réparation doivent intervenir (L., art. 68).
Procédure individuelle de réparation des préjudices
Les personnes qui souhaitent adhérer au groupe adressent une demande de réparation soit à la personne déclarée responsable, soit au demandeur à l'action, qui reçoit ainsi mandat aux fins d'indemnisation (L., art. 69). La différence avec l’action en représentation conjointe est ici manifeste : l’adhésion au groupe, après que la responsabilité de l’auteur du manquement ait été établie, suffit pour être indemnisé. Seules les victimes ayant donné un mandat écrit à l’association, avant l'exercice du recours en représentation conjointe, peuvent au contraire obtenir réparation. Cette exigence explique, que, depuis 1995, cette action n'ait guère été utilisée.

La personne déclarée responsable indemnise individuellement les personnes ayant adhéré au groupe et ayant subi des préjudices résultant du fait générateur de responsabilité reconnu par le jugement (L., art. 70). Les personnes dont la demande n'a pas été satisfaite peuvent saisir le juge ayant statué sur la responsabilité en vue de la réparation de leur préjudice (L., art. 71).

Procédure collective de liquidation des préjudices
Les personnes intéressées peuvent se joindre au groupe en se déclarant auprès du demandeur à l'action. L'adhésion vaut mandat à son profit aux fins d'indemnisation. A cette fin, il négocie avec le défendeur le montant de l'indemnisation dans le cadre fixé par le juge (L., art. 72). Ce dernier est ensuite saisi aux fins d'homologation de l'accord intervenu entre les parties et accepté par les membres du groupe. Étant garant de la protection de l'intérêt des parties, il peut renvoyer à la négociation tout accord insuffisant pour une nouvelle période de 2 mois. Si le demandeur ou le défendeur à l'instance fait obstacle à l'accord de manière dilatoire ou abusive, une amende de 50 000 € peut lui être infligée. Et en l'absence de tout accord,  le juge est saisi aux fins de liquidation des préjudices subsistants. A défaut de saisine à l'expiration d'un délai d'1 an à compter du jour où le jugement décidant la mise en oeuvre d'une procédure collective de liquidation des préjudices a acquis force de chose jugée, les membres du groupe peuvent demander réparation au responsable. La procédure individuelle de réparation des préjudices est alors applicable (L., art. 73).
Médiation
Les associations susceptibles d'engager l'action de groupe environnementale peuvent participer à une médiation afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels (L., art. 75). Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l'homologation du juge. L'accord précise les mesures de publicité nécessaires pour informer de son existence les personnes susceptibles d'être indemnisées sur son fondement ainsi que les délais et modalités pour en bénéficier (L., art. 76).
Entrée en vigueur
L'action de groupe en matière environnementale est applicable aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur au 20 novembre 2016, date d'entrée en vigueur de la loi  (L., art. 92).
Précision : les dispositions de l'article 89 de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle ont été déclarées conformes à la Constitution, comme n'étant pas inintelligibles et ne méconnaissant aucune autre exigence constitutionnelle (Cons. const., déc. n° 2016-739, 17 nov. 2016 : JO, 19 nov.).
 
Véronique Inserguet-Brisset, Maître de conférence en droit public - Faculté de droit de l'université de Rennes

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