Lanceurs d’alerte : une proposition de la Commission européenne ambitieuse mais…

Lanceurs d’alerte : une proposition de la Commission européenne ambitieuse mais…

25.04.2018

Gestion d'entreprise

La directive, que souhaite voir adopter l’exécutif européen, définirait des règles communes de protection des lanceurs d’alerte pour l’ensemble des États membres. Elle irait cependant moins loin que le cadre français introduit par la loi Sapin II.

La Commission Juncker se jette à l’eau. Largement poussée par l’opinion publique et le Parlement européen, elle présentait lundi une proposition de directive visant à protéger les révélations de violations du droit européen. Il y a près de 2 ans, la directive sur les secrets d’affaires était adoptée à la suite de discussions animées pour éviter son application aux lanceurs d’alerte. Des scandales, comme les LuxLeaks, ou plus récemment l’affaire Cambridge Analytica, ont rendu célèbres des whistleblowers sans qui les médias n’auraient pas pu faire de scoops. Et les députés européens ont sciemment demandé à la Commission de présenter une proposition législative le 24 octobre dernier. Pourtant, pendant longtemps Bruxelles faisait la sourde oreille : sans base légale, impossible de rédiger un projet de texte. Finalement, l’exécutif européen a trouvé une solution qui s’articule autour d’une vingtaine d’articles.

Un projet restrictif ?

La Commission propose que les lanceurs d’alertes soient protégés mais selon un champ d’application resserré. Il ne couvrirait que les révélations faites d’une activité illégale ou d’un abus de droit au sens des règles de l’UE. Et une liste limitative de domaines dans lesquels la protection jouerait est dressée.

La référence à une activité illégale ou à un abus de droit (pouvant se matérialiser par un acte ou une omission, actuelle ou même potentielle, d’une entreprise) implique qu’une activité légale, mais contraire à l’intérêt général, ne bénéficierait pas du régime européen de protection des lanceurs d’alerte. Dans le cas LuxLeaks, par exemple, c’est ce qui a valu à Antoine Deltour, ancien salarié de PwC, à l’origine des révélations sur les rulings fiscaux, de se retrouver devant la justice Luxembourgeoise. En France, la loi Sapin II a contourné cette difficulté, en précisant que la révélation d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général resterait couverte par son dispositif de protection.

Concernant les domaines ensuite, la proposition de directive garantirait une « protection en cas de lancement d’une alerte portant sur une violation de la législation de l’UE concernant :

  • les marchés publics,
  • les services financiers,
  • le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme,
  • la sécurité des produits,
  • la sécurité des transports,
  • la protection de l’environnement,
  • la sûreté nucléaire,
  • la sécurité des denrées alimentaires et aliments pour animaux,
  • la santé et le bien-être des animaux,
  • la santé publique,
  • la protection des consommateurs,
  • le respect de la vie privée,
  • la protection des données et la sécurité des réseaux et systèmes d’information.

Elle s’applique également aux atteintes aux règles de l’UE en matière de concurrence, aux violations et abus de la réglementation applicable à la fiscalité des entreprises et aux préjudices portés aux intérêts financiers de l’UE ». Le texte liste ensuite les règlements et les directives, limitativement concernés - car adoptés dans ces différents domaines -, dans une annexe en neuf pages. On retrouve, notamment, le RGPD. En dehors d’une violation aux règles mises en place par ces textes donc, pas de protection européenne du lanceur d’alerte. Car le projet n’a pas utilisé de référence globale au droit de l’UE. Et certains textes de l’acquis communautaire ne figurent pas en annexe, tels que la directive sur la protection des secrets d’affaires. Peut-être parce qu’elle institue davantage des droits pour les entreprises que des devoirs à leur encontre. Et qu’elle ne vise pas à protéger un secret illégalement détenu. Néanmoins l’articulation entre les deux textes pose question.

Une procédure de recueil des signalements en trois étapes

Les lanceurs d’alerte seraient ensuite protégés dans le cadre d’une relation de travail, cette fois-ci largement définie. Qu’ils soient salariés d’une entreprise, profession libérale, actionnaires, stagiaires ou même contractants, sous-contractants ou fournisseurs.

Puis le texte décrit les procédures de recueil des signalements, que l’UE pourrait attendre des entreprises, après transposition de règles dans les différents droits des États membres. Ce que la Commission exige à ce stade se rapproche de ce qui existe déjà dans la loi française. « Toutes les entreprises de plus de 50 salariés ou dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 10 millions d’euros seront tenues de mettre en place une procédure interne pour traiter les signalements des lanceurs d’alerte ». Les PME seraient donc exclues du dispositif. Sauf si une règle de l’UE leur impose une protection des alertes, comme dans le domaine financier, par exemple. La Loi Sapin II serait déjà conforme à ces exigences.

Un processus de signalement en trois étapes serait ensuite demandé par la directive :

  • tout d’abord passer par une procédure interne de recueil de signalement,
  • avant de faire une révélation à une autorité publique compétente,
  • ou d’en informer le public via les médias notamment.

Un délai de 3 mois de traitement des alertes serait exigé des entreprises. Et la révélation aux médias pourrait être automatique en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public. La confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte devrait être assurée par les droits nationaux. Ces différentes procédures, les délais accordés, et les minimums garantis sont ceux imposés par la loi Sapin II. Le texte de l’UE n’aborde cependant pas la question de la protection financière du whistleblower.

Des sanctions à assurer

Enfin, le projet demande aux États membres d’interdire toute forme de représailles potentiellement prises par une entreprise à l’égard du salarié : qu’il s’agisse d’une suspension, d’un refus de promotion, de mesures disciplinaires, d’un traitement discriminatoire, etc. Des sanctions seront à définir dans ce cadre. De même qu’en cas de révélation du nom du lanceur d’alerte protégé, d’entrave au signalement ou de mesures vexatoires prises à son encontre. L’assistance d’une autorité compétente permettant au lanceur d’alerte de vérifier le bénéfice de la protection au regard du droit européen devrait être mise en place.

Et concernant les actions judiciaires menées contre le whistleblower :

  • d’une part il appartiendra au demandeur de prouver que son action de représailles n’a pas de rapport avec l’alerte réalisée ;
  • et d’autre part, concernant une action en diffamation, en violation d’un brevet, d’un secret, ou une action menée pour la révélation d’information confidentielle imposée par un contrat de travail, le texte précise que le lanceur d’alerte devrait pouvoir opposer au demandeur sa conformité avec le droit européen. Une référence à la directive secret des affaires est finalement faite dans le texte présenté lundi. Mais l’exemption manque de clarté.

En droit français, sont déjà punies de sanctions civiles et pénales :

  • la révélation de l’identité d’un lanceur d’alerte,
  • l’entrave à la procédure de recueil des signalements,
  • ou une procédure judiciaire abusive en diffamation.

Le texte de la Commission invite les États membres à aller au-delà de ses préconisations. C’est déjà chose faite en droit français.

La transposition de la directive ne serait pas demandée avant mai 2021. Il appartient désormais aux députés européens et au Conseil de l’UE de clarifier la proposition de texte.

Sophie Bridier

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