Le Conseil constitutionnel valide la loi « asile et immigration »

10.09.2018

Droit public

A l'exception de quatre censures de procédure sans réelles conséquences, le Conseil constitutionnel valide l'essentiel des dispositions litigieuses de la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ».

Par une décision du 6 septembre 2018, le Conseil constitutionnel valide la quasi totalité des articles de la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie » (adoptée définitivement le 1er août 2018 par l’Assemblée nationale) soumis à son examen, à l'exception de quatre dispositions, deux d'entre elles étant des cavaliers législatifs, les deux autres ayant été introduites en violation des règles de procédure législative.
Remarque : les dispositions invalidées sont marginales et concernent l’extension des missions des centres provisoires d'hébergement, l’autorisation de recourir aux ordonnances pour légiférer en matière de répartition des compétences juridictionnelle (censurées car résultant d'amendements introduits en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale), la prolongation de l'autorisation d'exercice de la médecine accordée à certains praticiens étrangers et l’obligation pour le gouvernement de définir des orientations et un plan d'action en matière de migrations climatiques (censurées car résultant d'amendement introduits en première lecture, elles ont été jugées comme ne présentant pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi).
En définitive, l’intérêt de la décision réside dans le raisonnement du Conseil constitutionnel qui, à l’heure de confirmer la constitutionnalité de dispositions très contestées, s'appuie notamment sur la nécessaire conciliation entre les droits et libertés et les exigences de sauvegarde de l'ordre public ou l'intérêt général.
Remarque : le Conseil constitutionnel se prononçant dans les limites de sa saisine, de nombreux articles de la loi n'ont pas été soumis à son contrôle. Ils pourront le cas échéant, au gré des contentieux, faire l'objet d'autant de questions prioritaires de constitutionnalité.
Sur le droit d'asile
Sanction du dépôt tardif de la demande d'asile, une question d'intérêt général
Selon le Conseil constitutionnel, la sanction du dépôt tardif d'une demande d'asile par le placement en procédure accélérée est parfaitement justifiée, au nom de l'intérêt général, « afin que la question de la régularité du séjour de l’intéressé soit tranchée diligemment ». En effet, pour les Sages, les garanties procédurales (obligation de procéder à l’audition de l’intéressé et droit au maintien sur le territoire, notamment) sont bien maintenues et respectées et la sanction ne peut être prise que si aucun motif légitime ne justifie un tel retard.
Non suspensif, un recours reste effectif
Les dérogations au droit au maintien sur le territoire, qui privent l'intéressé du bénéfice du caractère suspensif du recours ouvert devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), sont également validées.
 
Alors que la liste des dérogations s'est grandement allongée (ce qui laisse penser que, dans les faits, le droit au maintien finira par faire figure d'exception plutôt que de principe), pour le Conseil constitutionnel, il n'y a aucune difficulté au regard du droit à un recours effectif dès lors que le demandeur peut toujours exercer son droit au recours et demander la suspension de l'exécution de toute mesure d'éloignement dans l'attente de la décision de la CNDA.
Confirmation du principe de la fixation de la langue de procédure
Sans argumentation particulière, hors le rappel des garanties prévues par le législateur (obligation d'information, contestation devant la CNDA), le Conseil constitutionnel juge que les modalités de fixation de la langue de la procédure dès le dépôt de la demande d'asile ne méconnaissent pas le droit à un procès équitable.
Remarque : le Conseil constitutionnel a aussi jugé qu'il n'appartient pas au législateur de prévoir des « dispositions » spécifiques garantissant que l’administration conserve une preuve de la convocation du demandeur d’asile et de sa réception. Il estime toutefois qu’il revient au juge de contrôler « si le moyen utilisé garantissait une réception personnelle de cette convocation par le demandeur ».
Vidéo-Audiences : des garanties procédurales qui pallient le sacrifice du consentement
Mettant en avant la bonne administration de la justice (à laquelle la mise en œuvre de ces technologies contribue) et  le respect des garanties prévues par la loi, le Conseil constitutionnel estime que l'éviction du consentement des personnes sur le recours desquels il est statué au terme d'une procédure mettant en œuvre la vidéo-audience, notamment devant la CNDA, n’affecte ni le caractère équitable du procès, ni l'exercice des droits de la défense, ni le droit à un recours effectif, ni le principe d'égalité de tous devant la loi.
Remarque : ce brevet de constitutionnalité est accordé aux procédures devant la CNDA, mais également à toutes les autres procédures auxquelles sera appliquée la vidéo-audience (refus d'entrée sur le territoire, maintien en zone d'attente, jugement des OQTF et des décisions connexes notifiées aux personnes en rétention, assignées à résidence ou détenues), en raison « des caractéristiques des procédures ».
Sur les privations de liberté
Intérêt supérieur de l'enfant à ne pas être séparé de l’adulte qui l’accompagne
A question délicate, réponse gênée. Le Conseil constitutionnel, qui a dû trancher la question de savoir si le fait de placer en rétention ou de maintenir en zone d'attente un enfant n'était pas contraire, par principe, à son intérêt supérieur, a jugé que « le placement en rétention du mineur [dans les trois hypothèses prévues par la loi] est justifié par la volonté de ne pas le séparer de l’étranger majeur qu’il accompagne ». Là réside en premier lieu l'intérêt de l'enfant. Justifié par la sauvegarde de l'ordre public ou les contraintes liées aux nécessités du transfert en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement, un tel placement n'est décidé que si l'intérêt supérieur de l'enfant « fait l'objet d'une attention particulière dans la mise en œuvre de ces mesures ».
 
Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, les dispositions litigieuses concilient « l’intérêt qui s’attache, pour le mineur, à ne pas être placé en rétention et, d’autre part, l’inconvénient d’être séparé de celui qu’il accompagne ou les exigences de la sauvegarde de l’ordre public ».
Des privations de liberté toujours plus longues, mais toujours conforme à la Constitution
C'est sans grande surprise que le Conseil constitutionnel valide l'extension des durées de différentes mesures de contrainte, jugées compatibles avec le respect de la liberté d'aller et venir et de la liberté individuelle, telles que :
 
- la prolongation de six heures de la retenue pour vérification de situation, portée à vingt-quatre heures dès lors qu'elle a pour objet la protection de l’ordre public et que le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment (bien que, dans les faits, une telle hypothèse soit improbable) ;
 
- la prolongation de quarante-cinq jours de la rétention administrative, ainsi portée à quatre-vingt-dix jours, jugée « adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public poursuivi par le législateur », sous réserve, toutefois que le juge des libertés et de la détention puisse aussi y mettre fin à tout moment.
Remarque : Le Conseil constitutionnel écarte également, sans plus argumenter, le grief visant la durée de dix heures durant laquelle un étranger, bénéficiant d'une ordonnance refusant la prolongation du maintien en zone d'attente, reste maintenu à la disposition de la justice afin que le procureur de la République puisse décider d'interjeter appel suspensif.
Fixation du lieu de résidence des étrangers frappés d'une OQTF
Le Conseil constitutionnel confirme aussi le nouveau pouvoir octroyé au préfet d'imposer un lieu de résidence à l'étranger frappé d'une obligation de quitter le territoire (OQTF) assortie d'un délai de départ volontaire. En effet, il s'agit pour lui ici de « renforcer le suivi de l’exécution des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière », ce qui participe à la poursuite de « l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public ».
Délai de recours contre les OQTF en détention : le droit à un recours effectif respecté
Enfin, le délai de quarante huit heures pour exercer un recours contre une OQTF notifiée en détention est jugé compatible avec le droit à un recours effectif. En effet, pour le Conseil constitutionnel, dès lors que l'intéressé est « informé de la possibilité de demander, avant même l’introduction de son recours, l’assistance d’un interprète et d’un conseil » et que, pendant le délai accordé au juge pour statuer, il peut « présenter tous éléments à l’appui de son recours », le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif d’éviter le placement de l’étranger en rétention administrative à l’issue de la détention.
Remarque : cette solution laisse présager de la réponse que donnera le Conseil constitutionnel à la question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise par le Conseil d'Etat (CE, 18 juill. 2018, n° 409630) et qui se rapporte à cette difficulté.
Sur le « délit de solidarité »
Le Conseil constitutionnel, qui, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, avait censuré les dispositions de l'article L. 622-4 du Ceseda en tant qu’elles incriminaient l'aide au séjour apportée dans un but humanitaire (Cons. const. déc, n° 2018-717/718 QPC, 6 juill. 2018,), refuse de transposer la solution et d'étendre l'exemption de poursuites au délit d'aide à l'entrée irrégulière, même si cette aide est apportée dans un but humanitaire. Pour les Sages, une telle aide contribue en effet « à faire naître une situation illicite » sur le territoire (ce qui n'est pas le cas de l'aide au séjour).
Sur les conditions d'acquisition de la nationalité française à Mayotte
Le Conseil constitutionnel valide enfin les conditions supplémentaires imposées aux enfants nés à Mayotte, qui, pour revendiquer la nationalité française, devront désormais démontrer qu'au moins un de leur parents était en situation régulière sur le territoire depuis au moins trois mois au moment de la naissance ou, pour ceux nés avant l'entrée en vigueur de la loi, depuis au moins cinq ans.
 
Examinant les dispositions litigieuses au regard de l’article 73 de la Constitution (qui prévoit que dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités »), les Sages constatent notamment  que la collectivité mahoraise est « soumise à des flux migratoires très importants » et jugent que ces circonstances sont « de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, d'y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France ».
Remarque : les dispositions adoptées ajoutent une condition spécifique à l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol (C. Civ, art. 21-7) pour tous les enfants nés à Mayotte : celle du caractère régulier et ininterrompu, pendant les trois mois précédant la naissance de l’enfant, de la résidence en France de l’un des parents (C. civ. art. 2493). Une condition de résidence régulière qui s’applique également (tout en étant portée à cinq ans) aux hypothèses d’anticipation de l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol avant la majorité de l’enfant, prévues par l’article. 21-11 du code civil (C. civ. art. 2494).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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