Le fantôme du scandale Arthur Andersen

Le fantôme du scandale Arthur Andersen

20.03.2018

Gestion d'entreprise

Le régulateur britannique de la profession comptable invite l’autorité de la concurrence à étudier l’opportunité de démanteler les Big four. Le risque de disparition d’un grand réseau comptable reste présent malgré la réforme européenne de l’audit.

"La séparation entre l’audit et les autres travaux doit être reconsidérée au sein des grands cabinets. Nous sommes heureux de l’ouverture d’une nouvelle enquête de l’autorité de la concurrence", affirme le FRC (financial reporting council), le régulateur britannique de la profession comptable, quelques jours après les révélations du Financial Times. Ce gendarme reconnaît "être préoccupé par le fait que le marché de l'audit légal des comptes des entités d'intérêt public se concentre sur trop peu de cabinets. Cela rend ces cabinets d'importance systémique et la défaillance ou le retrait de l'un des plus grands d’entre eux poserait un risque important pour la confiance dans les marchés financiers britanniques et les institutions financières", argumente un porte-parole que nous avons contacté.

Effondrement d’un géant britannique du BTP

Cette concentration du marché de l’audit des entités d'intérêt public (EIP) n’est pas nouvelle. Elle alimente la crainte d'une nouvelle disparition d’un grand cabinet. Crainte qui ressurgit dès qu’une grosse affaire comptable éclate comme c'est le cas de Carillion. Ce géant britannique du BTP a dû mettre la clé sous la porte en début d’année. Et le travail de son auditeur légal est sous les projecteurs. En l’occurrence, il s’agit de KPMG, cabinet sur lequel le FRC a ouvert une enquête pour les années 2014 à 2017 (voir la liste des enquêtes en cours conduites par le FRC en matière de contrôle légal des comptes). L’année dernière, ce gendarme britannique a infligé une amende de 5,1 millions de livres sterlings à PwC et de 1,8 millions de livres sterlings à EY. Des montants qui ne sont peut-être pas dissuasifs, comme le laisse entendre une étude réalisée récemment… pour le FRC.

Pas d’amélioration

Le problème de la qualité d'audit n’est pas limité au Royaume-Uni. Et il se pose sur les secteurs les plus sensibles de l'économie. Chaque année, les régulateurs nationaux du contrôle légal des comptes mettent en exergue, au travers de l'Ifiar, de nombreux doutes qui pèsent sur les états comptables des plus grandes banques et assurances au monde. "Il n'y a pas eu d'amélioration fondamentale depuis la disparition d'Arthur Andersen, résumait en 2015 l’enseignant Jim Peterson. C'est même pire puisqu'il n'y a plus que quatre grands réseaux internationaux qui auditent les plus grandes entreprises mondiales. Si un Big four disparaissait, il n'y aurait plus que trois Big. Le système ne serait pas viable", diagnostiquait-il. Et pour lui, "un Big four pourrait disparaître en un mois".

Faibles ressources financières des grands cabinets

La probabilité d’une disparition rapide d’un des quatre grands réseaux comptables internationaux repose sur l’hypothèse selon laquelle ces grands réseaux comptables possèdent peu de ressources financières pour couvrir leur exposition au risque. Ce sujet a été examiné dans PDF iconune étude publiée en 2006 qu’il serait peut-être bon de revisiter. Selon elle, les grands réseaux seraient obligés de mettre à contribution leurs associés pour faire face à de lourds contentieux perdus. Mais le seuil de tolérance de ces associés serait vite atteint. "Bien qu’il n’existe aucune estimation précise, les discussions avec les représentants des Big Four suggèrent qu’une baisse de 15 à 20 % des revenus sur 3 ou 4 ans serait supportable. Les Big Four ont suggéré qu’au-delà, les associés partiraient en masse, ce qui conduirait à une disparition du cabinet très probablement rapidement après", avançait l’étude.

Une idée présente dans le projet d’origine de la réforme européenne

Le risque de la disparition rapide d’un Big four n’est donc pas nouveau. Et l’idée de démanteler ces grands réseaux pour y palier non plus. L’un des objectifs de la réforme européenne de l’audit, achevée en 2014, consistait à déconcentrer le marché de l’audit des entités d’intérêt public (EIP) en injectant plus de concurrence via des mesures telles que la rotation périodique obligatoire des cabinets, le recours à des appels d’offre ou l’interdiction de clauses contractuelles imposant de travailler avec des cabinets particuliers. Le commissaire européen alors à la manœuvre, Michel Barnier, voulait même scinder les plus grands réseaux comptables en les obligeant à choisir entre l’audit légal et les autres services. Finalement, son voeu n'a pas été exaucé en tant que tel. La séparation est limitée aux services fournis à l’entité d’intérêt public contrôlée. A la grande joie de Deloitte, EY (ex Ernst & Young), KPMG et PwC.

Risque de conflit d’intérêts

On peut se demander si le Parlement européen ne souhaite pas, certes implicitement, aller dans le sens d'un démantèlement de ces structures géantes. Afin de restaurer la justice fiscale, à la suite de scandales tels que celui des Panama papers, il a récemment préconisé un certain nombre de règles pour encadrer davantage les cabinets. Ainsi, il "demande à la Commission [européenne] de présenter une proposition législative visant à établir une séparation entre les cabinets d’expertise comptable et les prestataires de services financiers ou fiscaux ainsi que tous services de conseil, y compris un régime d’incompatibilité de l’Union pour tous les conseillers fiscaux, afin de veiller à ce qu’ils ne puissent pas prodiguer des conseils à la fois aux autorités fiscales et aux contribuables et de prévenir d’autres conflits d’intérêts". Si l’on suit le fil de ce raisonnement, il serait logique d’étendre cette demande de démantèlement aux cabinets d’audit. En effet, le contrôle légal des comptes relève explicitement, en droit de l’Union européenne, d’une mission de service d’intérêt général laquelle nécessite que les cabinets soient indépendants de l’entité contrôlée — ce qui n'est pas le cas de l'activité de production comptable. Or, on peut difficilement imaginer que la réglementation des experts-comptables soit plus stricte que celle des commissaires aux comptes notamment en matière de séparation des activités.

Ludovic Arbelet

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